vendredi 16 mai 2014

COTE 137 . 6 . LE PRISONNIER

En mars 1917 , il nous tomba entre les mains un officier allemand .
C'était un colonel ; il fut de toute la guerre notre plus belle prise . Comme il
parlait deux mots de boche , le capitaine chargea Martial de l'interroger ; et ,
comme il sembla au capitaine que ce colonel était de haut lignage - Von Kekelberg
lut-il sur ses papiers militaires - il prêta sa casemate pour l'instruction et il pressa
Martial de rester poli . Martial ferma la porte en fer . Dans la tranchée , sous cette
pluie qui ne prendrait fin qu'avec la guerre , nous nous étions groupés derrière
le capitaine pour savoir comment notre camarade allait tirer les vers du nez de ce
prussien …
D'abord Martial l'injuria . C'est ce que nous déduisîmes du ton car Martial
hurlait et frappait du poing sur la table . A un charabia teuton , Martial mêlait
des expressions tout à fait françaises et des plus ordurières . L'autre répondait avec
calme et peu de mots . Puis la conversation - car l'interrogatoire tournait à la conver-
sation - s'apaisa et les répliques s'équilibrèrent . Au bout de dix minutes , nous
entendîmes le rire de Martial , suivi de près par celui de Von Kekelberg … un
bouchon sauta - prosit ! - et des verres s'entrechoquèrent …
Martial ouvrit la porte . Il était hilare .
- Martial : "Il a parlé , capitaine !"
- Le capitaine : "Qu'a-t-il dit ?"
- Martial : "Il demeure en Basse-Saxe … il tient une ferme comme moi et n'est
point noble … trente têtes de bétail … des laitières … un peu de céréales … sa
femme s'appelle Hilda … il a trois filles : 16 , 8 et 6 ans … blondes … il passe
ses vacances à Saint Jean de Luz … il préfère Saint Jean de Luz à Verdun …
et le bordeaux aux vins d'Alsace … capitaine ! : votre champagne est de première
bourre !" .
- Le capitaine : "Martial ! … avec des gars comme vous , on va peut-être gagner
cette foutue guerre" .
La 52e compagnie a éclaté de rire .

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