mardi 6 mai 2014

KRANT 5 . CARGAISON . première partie

Le Kritik était à quai . Nous avions contourné l'île de Bornholm par le
sud et abordé au port de Rönne dans la nuit . Krant tenait à cette escale
car c'est à Rönne que nous chargions le sable fin , le plus beau sable du
monde , aquatique , infiniment roulé par l'Öresund , au grain parfait ,
quartzifère et minuscule …

Cependant , même à Rönne , le capitaine ne mettait pied à terre ; il s'ar-
rangeait pour que nous accostions sans détour sous la bouche des silos .

A cinq heures , le soleil émergeait des falaises à l'autre bout de l'île et ,
de la passerelle , je le voyais monter vers les étoiles finissantes , à tra-
vers les brumes qu'il levait sur la lande , enveloppant chaque chose et
chaque être , grues , môles , cuves , brise-lames , hommes d'équipage
ou de quai , d'une écorce métallique .

Les premiers dockers ouvraient en bâillant les vannes et , pendant une
heure , sous une nuée couleur sable , comme un nuage d'Afrique , des
milliards de particules déferlaient avec furie contre les parois de fer ; dans
un terrible crissement , les silos dégueulaient leur matière en haletant au
rythme des clapets et , à chacun de leurs haut-le-coeur , le Kritik s'enfon-
sait un peu plus dans les eaux du port .

Tout cela , je l'observais de la cabine de pont avec le capitaine et le
quartier-maître . Après le spasme final , un silence brutal , l'air tout à coup
étale , stationnaire , masse sans poids et malgré tout s'abattant sur l'équi-
page du Kritik et les débardeurs , le nuage pulvérulent souillait en retom-
bant les abords de la cale ou se dissolvait autour du bateau . Un cône
blanc , vision miraculeuse , dépassait du pont que nos hommes viendraient
aplanir avec des râteaux avant que les panneaux d'écoutille fussent
replacés sur les barrots .

                                                          ( à suivre )

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