Alors Krant sortait de la cabine et le quartier-maître et moi , nous
l'escortions tels les thuriféraires d'une insolite liturgie ou d'un exor-
cisme jusqu'à la cale 10 . Nous approchions le cône blanc déférents
et craintifs comme s'il se fut agit d'un dieu destructeur ou d'un dé-
mon et que la cale 10 fut possédée . Nous faisions trois fois le tour
de l'orifice sans quitter des yeux le monstre encagé qui vivait ses
ultimes tassements . Krant s'accroupissait , tendant un bras timide
comme si le démon ( ou le dieu ) , pour se venger , allait le happer
par les épaulettes , puis il l'effleurait du bout des doigts pour se
convaincre de son inertie et , rassuré , plongeait les deux mains et
laissait couler entre elles l'admirable matériau .
- Krant : "Ne m'avez-vous pas dit que le temps n'existe pas ?"
Il s'adressait à moi , lui toujours accroupi , et moi debout derrière
lui , avec le quartier-maître , mais comme si le quartier-maître
pensait moins qu'un hareng fumé .
- Moi : …………………………
- Krant : "Savez-vous ce qu'on fait de ce sable ?"
- Moi : "… dame non , capitaine …"
- Krant : "… des horloges à sablon … voilà ce qu'on fait de ce
sable … des sabliers … pour mesurer ce qui - selon vous - n'existe
pas …"
Et , pendant qu'il parlait , je revoyais sur la table de sa cabine
l'ampoulette que le capitaine , dans ses méditations , retournait
toutes les 28 secondes .
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