mardi 13 mai 2014

LETTRE DU NORDESTE

Mon nom est Joào Matos . Je survis à Ipupiarà . Est-ce qu'on peut parler
d'un village à propos d'Ipupiarà ? . Est-ce qu'un village n'est pas ramassé
autour d'un lieu de culte , ou d'une fontaine ou - prosaïquement - d'un bar ?
où la communauté se retrouve dans la supplication , la purification ou l'alcool ?

Or , à Ipupiarà , il n'y a ni église , ni source et pas même un établissement où ,
pour un quart de peso et un verre de cachaça , noyer sa tristesse d'exister …
Pas de centre et pas de rues non plus . L'habitat est diffus . On ne vit pas
ensemble mais chacun pour soi , dans la promiscuité familiale et animale
des baraques où s'entassent la nuit progéniture et bovins , au milieu des
sables accablants du sertào . Le bouvier mène chaque matin son cheptel
famélique à pâturer dans la caatinga et si - par quelles suites absurdes de
conjectures ? - il croise un voyageur , il ne lui adresse ni parole ni salut ,
car nul n'est bienvenu à Ipupiarà ; et cette façon inhospitalière est bien la
seule action solidaire que le caboclo , lorsqu'il se présentera devant Lui ,
pourra déposer entre les mains du Bon Jésus , car on n'incite personne à
rester ici , non que la brousse infinie soit impartageable mais parce qu'on
n'en réchappe que sous un tas de cailloux ainsi qu'en témoignent les croix
qui jalonnent les chemins de travail .

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire