Perm' ...
Sur le chemin qui nous éloignait du front mais où on n'était pas à l'abri d'une
marmite ennemie , Martial me proposa de faire un crochet , "par là" dit-il , en sor-
tant de sa poche un de ses plans foireux . Un de son village était artilleur sur nos
arrières .
- Moi : "Tu es sûr que c'est par là ?"
- Martial , air faussement surpris : "Oui … tu verras … Le Guen est un gars épatant …
il ne pense qu'à rire …"
- Moi : "Il est peut-être mort …"
- Martial : "Le Guen !? … mort !? … ah , ah !"
Nous longeâmes ce qui avait été une forêt , traversâmes ce qui avait été un hameau
et débouchâmes sur un tertre dans un effroyable tintamarre . Trois pièces étaient à demi-
enterrées que chargeaient une quinzaine d'artilleurs . Les culasses étincelaient de fureur ,
elles ruaient . Il me sembla qu'elles bavaient . Elles éjectaient les douilles qui tintaient
dans les bizarres séquences de silence en tombant sur le sol . Les trois canons fumaient
et crachaient sur le ciel noir leurs ogives . La batterie résonnait comme un orgue . C'était
donc cela qu'on entendait battre derrière nos lignes comme le coeur de la guerre !
Les obus à expédier étaient alignés sur des claies . Une poussière chaude sortait de
partout : des affuts , des tubes , des lumières , des culasses , du sol tremblant et des
artilleurs eux-mêmes . D'Ypres à Verdun , il pleuvait . Ici , pas une goutte n'aurait pu
toucher terre .
Nous nous approchâmes de la première pièce . Un gars , couleur de craie , se tourna
vers nous .
- Martial , les mains en porte-voix : "Le Guen ?"
- Le gars fit un geste vague qui signifiait : 'Là-bas !"
Là-bas , il y avait trois croix et un casque sur chacune . Sur l'une : "Ael Le Guen .
Caporal chef . 206e Régiment d'Artillerie"
- Martial : "Sacré nom d'un chien !! … Le Guen ! …"
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