Nous sommes relevés … A la tombée de la nuit , notre compagnie patauge dans les
ornières d'une de ces routes qui , hasardées et flottantes comme les pistes fourmilières ,
fournissent la chair à canon et recrachent à jets souffreteux leurs lots de survivants .
A l'écart de ce chemin de croix , nous repérons une grange aux trois-quart effondrée .
Jadis , l'an dernier , dans une autre vie , il y avait une ferme mais nous ne sommes pas
d'accord . "Non , cette ferme aux murs gris , c'était plus loin " … "et moi , je te dis
qu'elle était là … il y avait un gros chêne …" … "Un chêne !? … quel chêne ? … ça
ressemble à quoi un chêne ? … ça ressemble à quoi un arbre ?"
Nous enjambons des poutres fracassées . Au fond de ce fantôme de grange , une
dizaine de balles chamboulées et miraculeuses …
- Martial : "Je rêve !? … les gars , de la paille !" … il tâte : "De la paille sèche !" . Nous
nous jetons sur cette litière imprévue comme un troupeau de bovins et , sur-le-champ ,
nous nous endormons , sacs , capotes et Lebel mêlés .
Je dors . Je dors . Une heure au moins . Je n'existe plus . Quelqu'un me secoue . C'est
Martial : "Vieux , viens voir ça …" . Il chuchote …
- Moi . Je grommelle : "…..??….. nom de Dieu , Martial … laisse-moi dormir !"
- Martial me secoue … me secoue … : "Un miracle je te dis … une apparition … je n'en
crois pas mes yeux !"
- Je roule sur le côté , paupières collées : "Tu m'emmerdes Martial ! … qu'est-ce que tu
racontes ? … tu as vu la Vierge Marie ?"
- Martial me secoue , me secoue : "Bien mieux que ça ! … viens ! … mais viens donc ! …"
J'ouvre les yeux . Martial est à quatre pattes . La flamme de son briquet le précède .
- Martial : "Suis-moi … c'est par là …" . Je me débarrasse de mon sac . Je me suis endormi
avec le sac sur le dos ! . A quatre pattes donc , derrière Martial .
- Martial : "Incroyable ! … j'en reviens pas ! … par là …" . Nous contournons les copains
enchevêtrés et leur ronflement communautaire . Martial rampe entre les balles de paille ,
s'engage dans un trou étroit qui semble déboucher sur une cavité plus large .
- Martial : "Le bon Dieu existe , vieux ! … merveilleux … jamais vu une chose pareille ! …
ou il y a si longtemps que j'ai oublié …"
- Moi . Je rigole : "Une femme ?"
- Martial : "Non … si … oui … si tu veux … oui … une femme !" . Il s'arrête de ramper .
Devant , des poussières de paille dansent le cake-walk à la lueur de la flamme .
- Martial : "Viens-là … regarde ça !" . Je me glisse à côté de lui . Une petite chatte blanche
nous regarde en clignant des yeux . Elle allaite quatre petits ...
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