vendredi 26 décembre 2014

COCKTAIL BRANCHÉ-VERNISSAGE

- Un : "De la crotte , je te dis !"
- Une : "A Hâââ'vet ! … des études brillantissimes …"
- Une autre à l'une : "Hâââ'vet ?"
- Un philosophe à une avocate : "… la temporalité … oui , le sens de la temporalité …"
- Une autre apercevant l'autre parlant à l'une : "Ah , ma chère … comment-talé vous ?"
- Un : "… de la merde …"
- Son ami pacsé : "T'exagères !"
- A deux coupes de champ' : "Vou zici ! … wouote e surpraïze !"
- L'une de tout à l'heure : "Hâââ'vet … côte ouest … Massachiou'sètsse … oui …un
master …"
- Près du buffet : "…911S … départ arrêté : 4 secondes …"
- Sa copine , près du buffet : "C'est chou … c'est bio ? …"
- Un grand à un petit : "… Une paire de lolos , vieux ! …"
- Un petit à un grand : " … son directeur financier … je lui ai dit carrément , non , non"
- Un sérieux : "… sur le long terme …"
- Bronzé : "… vue exceptionnelle … sur le lagon direct"
- Rire : "Ah , ah … non !? … il a fait ça !?"
- Une (pas celle du début) : " … du boulot ? … non … un entretien avec le grand chef …
tu t'rends compte ?"
- Un : "Nulle à chier cette expo …"
- L'ami : "T'exagères !"
- Un à grosse paire de lunettes : " … tu cliques sur …"
- Le philosophe : " … la photo … un art mineur …"
- Une en chignon : " … du marketing direct …"
- Un à pochette : " … Duponchelle lui-même , mon vieux … en personne … non …
non … le père !"
- Un : "Le champ' est dégueulasse"
- L'ami : "Non ! … t'exagères !"
- Un pakistanais ; "I tried to help him …"
- Un : "Du caviar , çà !?"
- Le bronzé : "Burdy au10e … si , je t'assure !"
- Une (celle du début) : "Après l'agrég' ? … Stan' , peut-être … ou Supdeco …"
- Une petite conne : "Trop ! … ah , c'est trop ! … une mobylette !?"
- Un (le premier) : "C'est où qu'on gerbe ?"
- L'ami : "T'exagères !"

mercredi 24 décembre 2014

"ZOUAVE" IN "ANALYSE DES TEXTES SACRÉS"

    L'insulte qui hérisse le poil du Professeur Tournesol dans "Objectif Lune"
est "zouave" . Ce n'est pas "bachi-bouzouk" comme l'affirme certain exégète
pressé . C'est un peu comme si on confondait dans leurs effets salivaires et bi-
lieux les mots "monothéiste" et "polythéiste" . Bien que les bachi-bouzouks
et les zouaves fussent à l'origine payés par l'armée ottomane , on ne saurait
prendre les uns pour les autres . Les uns , cavaliers mercenaires , vivaient de
grand air et de cruelle bonhomie . Ils étaient résolument hétérosexuels et on
ne compte plus les villages d'Anatolie et d'ailleurs où ils enfilèrent les dames
comme des perles . Les zouaves , les pauvres ! , à force de traîner leurs guêtres
en Crimée , dans des campagnes d'Italie insensées et des expéditions mexicaines
idiotes respiraient la poussière des chemins et n'avaient de perspective que le cul
du tambour-major . Raisons pour lesquelles ils dormaient en tas au bivouac ,
dans une promiscuité pédérastique . D'où la colère du Professeur , amant de
la Castafiore ...

mardi 23 décembre 2014

JULES 8 . CORPS NOIR

    Soeur Marie de la Croix est assise sur le bord du lit .

- SMdlC : "Imaginez un corps totalement absorbant en équilibre thermodynamique
avec son milieu … vous imaginez ?"
- Jules : "………..?………..vaguement …"
- SMdlC : "Ah ? … il produit un rayonnement électromagnétique … vous me suivez ?"
- Jules : "… euh … de loin … de très loin …"
- SMdlC : "C'est le rayonnement du corps noir !"
- Jules : "Ma soeur , je suis perdu …"
- SMdlC : "Calmez-vous" . Elle prend les mains de Jules et articule lentement : "Imagi-
nez une enceinte fermée maintenue à une température T … vous voyez ? … un four …
vous percez la paroi d'un trou minuscule … d'accord ?"
- Jules : "Jusque là , çà va …"
- SMdlC : "Les parois du four sont supposées totalement absorbantes … tout rayonne-
ment extérieur qui pénètre par le petit trou que vous avez percé … OK ? … subit de …"

    Que des rayonnements pussent entrer et sortir par le petit trou , c'était compréhensible
par le plus crétin des littéraires … La démonstration de la Soeur où il était question de
répartition énergétique spectrale et d'intervalle élémentaire de fréquence était pour Jules
un arc de couleurs et quand - sans cesser de faire vibrer l'air - Soeur Marie de la Croix
plaça le verre d'aspirine dans la main qu'il tendait , un flot impétueux jaillit sous
l'arc en ciel au milieu de pâturages fluorescents .

- SMdlC : "…..ce rayonnement est appelé rayonnement du corps noir !"

    Ça semblait une conclusion . Soeur Marie de la Croix tenait toujours les mains de
Jules . Elle regardait au fond de son âme et Jules regardait le nimbe de son auréole .

- SMdlC : "Compris ?"
- Jules : " … Où allez-vous chercher tout çà ?"
- SMdlC : "Doux Jésus ! … c'est le B-A-BA !"

lundi 22 décembre 2014

KRANT 22 . RAISON RAISONNANTE

- Krant : "Mais nous qui raisonnons …"

    Je m'acharnais à fermer à contre-vent le panneau d'écoutille pour protéger la
salle des machines des paquets de mer quand le capitaine ( je vis au-dessus de moi
son visage détaché sur le ciel tourmenté de la dépression que nous avait annoncée
une flotille qui navigait plus à l'ouest et ses sourcils , comme les buissons ras d'une
lande avancée , étaient tour à tour secoués et plaqués ) hurla ce qui suit dans le col
agité de sa vareuse :
- Krant : "… raisonnons et résolvons les questions de raison avec un certain succès …
dans les limites de l'expérience … je choisis les bonnes routes et vous nous menez
sains et saufs , non ? … et nous avons fabriqués les outils …"

    S'il n'y avait eu les cartes marines et les baromètres , et le télégraphe électroma-
gnétique pensè-je , qui eut pu dire à ce moment quelles vagues et quelles vagues de
quel océan malmenaient les flancs du Kritik et où prenaient forme ces énormes
nuages qui venaient sud-sud ouest et s'ils allaient crever sur nos cirés ou déverser
leurs entrailles , plus loin , sur une jungle ou une ville où l'on suivait avec effroi la
baisse du mercure .

- Krant ( il laissa passer deux énormes bourrasques) : " … et pourtant chef , la raison
nous pousse hors de l'expérience possible … les questions insolubles …"

    Un mécanicien vint tirer avec moi sur la poignée et quand enfin nous fermâmes
l'écoutille , j'entendis encore la voix du capitaine : "La raison n'est pas raisonnable ,
chef ! …"

    Un coup de boutoir sur le plat-bord embarda le Kritik sur sa quille , comme rappel
des puissances naturelles .

dimanche 21 décembre 2014

PARADIS 23 . LES INDISPENSABLES

- Dieu à Adam : "Tu t'ennuies Adam ?"

Adam tourne en rond devant l'atelier de Dieu en poussant du gros orteil un caillou .

- Adam : "Oui … j'm'embête … j'ai rien à faire … qu'est-ce que j'peux faire ?"
- Dieu : "Mais Adam ! … pourquoi toujours faire quelque chose !? … assieds toi
et profite de ma création : les luminaires qui sont dans le ciel , les poissons de la
mer , les oiseaux du ciel , l'herbe portant semence ! …" et il fait du bras un mouve-
ment à 360° … "Tu peux aussi chanter mes louanges … ou célébrer mon nom …"
- Adam poussant son caillou : "J'm'embête ! … qu'est-ce que j'peux faire ? … j'sais
pas quoi faire !"
- Dieu : "Et ta wargame ?"
- Adam : "J'en veux plus !"
- Dieu : "Et les filles ?"
- Adam : "Quelles filles ? … Ève ?"
- Dieu : "Elle ne te plaît pas ?"
- Adam : "Bof !"
- Dieu : "Pourtant … au début !"
- Adam : "C'est chiant les filles !"
- Dieu . Il croise les bras sur son infinie sagesse : "Chiantes , les filles !? … mais
Ève , je la trouve super ! … c'est la plus grande réussite de ma création ! … nom de …
nom d'une pipe !"
- Adam : "T'as d'la bière ?"
- Dieu : "Oui … au frigo … tu en veux une ?"
- Adam : "J'veux bien …"
- Dieu . Il farfouille dans son frigo : "Leffe ou Kronembourg ?"
- Adam : "Une Kro ……………. t'as une télé ?"
- Dieu : "Une quoi ?"
- Adam : "Une télé …"
- Dieu : "Qu'est-ce que c'est que ce truc-là ?"
- Adam . Il explique … les chaînes , les paraboles , les matches de foot …
- Dieu : "Ah ? … non , je n'ai pas créé çà … c'est indispensable ?"
- Adam : "Avec la bière … oui …"

DÉPRIME D'AUTOMNE

    Chez le psy :

    Je ris parce que l'automne est à nos portes . Les feuilles mourantes ,
comme suspendues au dernier fil de vie , tremblent contre le grand silence
qui vient et qu'il faut bien , Docteur , que je remplisse … comprenez-vous ? …
Déjà , on ne voit plus les rives de l'ancienne saison … les râteaux sont aux
clous mais bientôt on entendra le raclement de leurs dents contre la terre …
Trangsene , dites-vous ? … deux par jour … et demain , les oies cacardantes
passeront sur nos têtes comme le cycle imperturbable du temps … je ris pour
occuper l'intérieur de mon corps … vide ? . Si je me sens vide ? … oui …
vide et vidée … comprimés ou gélules ? … vous revoir dans trois mois ? …
au printemps ? … une marée obscure impossible à mesurer et le bruit écrasant
des feuilles mortes … il faut rire absolument ; rions … elles tombent sans poids
sur ma terrasse ; elles vont pourrir là … j'ai l'air de rire … mais ce n'est pas mon
rire , Docteur … c'est l'automne qui ricane .

samedi 20 décembre 2014

VERS LIBRES POUR NOËL

Le soir de tes maternités
Je suis l'âne broutant
L'herbe des collines
A deux pas de la crèche

J'attends ,
Les flancs chargés de sacs ,
Que tu viennes
Avec le fruit de tes entrailles .


ZULMA

    Avais-je oublié Zulma ? . Non , pas tout à fait . Je l'avais exilée au nord ,
dans les roseaux d'un grand fleuve , derrière l'inextricable réseau de mes sy-
napses et , cependant , elle réapparaissait parfois dans ce pays où mon ima-
gination peine à se déployer . Je repêchais dans des eaux insensibles aux
marées des bouts de cette inconnue qui jadis mettait le feu au bus 29 entre
Pajupita et Sacapulas . Quand je rassemblais assez de morceaux de sa robe
rouge , il me semblait que Zulma marchait sur les eaux . Si je m'étais avancé
pour lui tenir la main , je me serais enfoncé dans la terre molle de l'oubli :
Zulma était hors d'atteinte .

    Je ne prendrai plus le bus 29 . On a rasé l'usine de torréfaction . Zulma
est un souvenir et doit le rester .

COTE 137 . 21 . LE POTAGER

- Ah , les salauds !

    Martial au bord d'un trou . Au fond du trou , un bric à vrac de piquets et de barbelés .

- Ah , les salauds !
- Le capitaine : "Ils l'ont pas fait exprès , Martial ! … une erreur de tir …"
- Martial . Il n'en démord pas : "Ah , les salauds !"

    Le capitaine et moi lui allongeons des claques consolantes dans le dos . Il y avait là
(jadis) trois rangs de poireaux . C'était le carré que Martial cultivait dans un repli de la
tranchée . Contre toute logique potagère , ses plants avaient survécu à la pluie continue
et si nous avions moqué l'entreprise à son début , elle agrémentait à merveille nos rations
militaires .

- Martial . Son oeil bleu a viré au noir . Il fixe sa baïonnette au bout du fusil Lebel :
"Je m'en vais leur expliquer la culture des poireaux à ces salauds !"
- Le capitaine expose qu'une attaque en solitaire est vouée à l'échec … qu'en l'occur-
rence , on n'a pas prévenu la hiérarchie que le soldat Martial a l'intention de quitter la
tranchée sans ordres pour prendre la cote 137 à lui tout seul … qu'en conséquence , ce
soldat est passible de la cour martiale et son supérieur immédiat , son capitaine , d'un
avertissement …

    Rien n'y fait . Nous nous mettons à douze pour réduire notre camarade et l'enfermer
dans la casemate .

SANTA CLOTILDE

    Sur chaque table , une corbeille de fruits : pommes , poires , cerises ,
oranges . Dans chaque maison de Santa Clotilde , il y a dans l'entrée une
table et sur la table une corbeille qui déborde de fruits . Il est inutile d'at-
tendre que le maître ou la maîtresse de maison vous ait invité à vous ser-
vir pour croquer les fruits les plus juteux de la planète car - à moins que
vous ne débarquiez en pleine nuit par le ferry d'Iquitos , et dans ce cas le
maître et la maîtresse de maison , les enfants et les domestiques seront
probablement couchés - la maison est déserte . Le maître et la maîtresse
sont dans leur verger sur la rive droite du Napo avec les domestiques qui ,
entre le lever et le coucher du soleil , font office d'ouvriers agricoles . Les
enfants sont à l'école , au bord du fleuve . On leur enseigne l'arboriculture
fruitière à l'exclusion de toute autre matière .

    A quoi serviraient les mathématiques et la maîtrise de la langue anglaise
quand on a à la porte de sa maison des cerisiers sensationnels !?

jeudi 18 décembre 2014

JULES 7 . ONDE-PARTICULE

    Çà y est ! . Jules a terminé la lecture de "La Physique Quantique pour les
Nuls" . 415 pages . Un an de pénible concentration . Des milliers de notes en
marge au crayon à mine . En vérité , ses yeux ont perçu la totalité des mots ,
graphiques et équations - et plutôt dix fois qu'une ! - mais , du point de vue de
la psychologie cognitive dans ses plus récentes avancées , peut-on affirmer que
les concepts aussi multiplement décrits ont atteint sa compréhension ?

- Jules , de lui-même : "Non !"

    A l'instant précis ("précis" est inapproprié car l'intervalle de temps entre la
prise de conscience par Jules de son incompréhension de la plupart des concepts
quantiques et son aveu par l'emploi de l'adverbe de négation "non" correspond
à un saut quantique des électrons au coeur des atomes , mesurable si toutefois
Jules avait disposé d'un laser UV produisant des émissions pulsées à 250 atto-
secondes , or Jules n'a ni cet appareil ni la compétence qui va avec) où Jules
exprime ce "non" exclamatif , Soeur Marie de la Sainte Croix entre dans la
chambre , précédée par un verre où efferverce un cachet d'aspirine .

- SMdlC : "Alors ?"
- Jules : "Alors quoi ?"
- SMdlC : "La dualité onde-particule ?"
- Jules : "C'est pas la même chose ?"
- SMdlC : "Disons que ce sont les deux facettes d'un même phénomène"
- Jules : "Donc , c'est la même chose … c'est ce que je dis !"
- SMdlC : "Et le principe d'indétermination ?"
- Jules : "Ouais … une particule , on ne sait jamais où elle est"
- SMdlC : "Oh , Monsieur Jules ! … vous progressez …"
- Jules : "Vous trouvez !? … si j'ai bien compris (il montre , au pied de son lit ,
son exemplaire de "La Physique Quantique pour les Nuls") , on n'est plus sûr
de rien"
- SMdlC : "En quelque sorte …"
- Jules : "C'est un progrès ?"
- SMdlC . Elle se signe : "Doux Jésus , oui !"

dimanche 14 décembre 2014

TROIS MOUCHES 25 . PRINCE CONSTRUCTEUR

    "Elle sera gigantesque" dit le Prince . La première pierre était posée sur
l'herbe . Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre
nos chapeaux de paille . Nous prîmes joyeusement nos pelles et nos pioches .

    Une muraille merveilleuse bourdonnait sous nos chapeaux de paille . Nous
prîmes une pierre gigantesque . "C'est la première" dit joyeusement le Prince .

    Un prince gigantesque avait en tête une muraille . Il posa sur l'herbe sa cou-
ronne vermeille , chassa trois mouches qui bourdonnaient dans son chapeau de
paille et - joyeusement - prit une pioche .

jeudi 11 décembre 2014

DESMOND 16 . MADEMOISELLE

    Sonnerie du téléphone rouge .

- "Allo , Desmond ? … hi … je sais que vous êtes un homme très occupé … j'ai
un problème … Marilyn est absente … congé de maladie … et je dois envoyer un
message ultra-confidentiel … il me faut une personne de confiance … puis-je abu-
ser de votre précieux temps , Desmond ?"
- Moi : "Bien entendu , Monsieur le Président "

    Je monte quatre à quatre par l'escalier A . Je frappe à la porte du Bureau Ovale .

- Le Président : "Entrez Desmond ! … entrez ! …"
- Moi : "Bonjour , Monsieur le Président"
- Le Président : "Bonjour , Desmond … asseyez-vous … et prenez note … un texte
en français …"

    J'ouvre mon bloc et j'attends , pointe Bic en suspens .

- Le Président : "Mademoiselle …" . Il réfléchit en se pinçant les lèvres … "Aidez-
moi , Desmond … je ne sais comment dire ces choses"
- Moi : "Euh … quelles choses voulez-vous dire , Monsieur le Président ?"
- Le Président , interloqué : "Mais enfin , Desmond ! … j'écris à une demoiselle …
de quoi voulez-vous que je parle ? … de la guerre froide ? … du prix du baril ? …
du cours du yen ? … Desmond ! … une demoiselle ! … un cerveau de moineau …
mais , Desmond , des seins ! … des seins comme vous n'avez pas idée ! … Des-
mond … des seins … vous savez encore ce que c'est au service de l'incinération ? …
Desmond … votre libido … pensez à votre libido !"
- Moi : "…………………"
- Le Président , le visage dans les mains cherche des mots : "Mademoiselle …
mademoiselle …" . Puis , redressant le buste et regardant juste au-dessus de ma
tête : "Elle n'est pas mariée au moins ?" . Me fixant dans les yeux mais comme à
travers eux : "Desmond … est-elle mariée ?"
- Moi : "Euh … Monsieur le Président … de qui parlons-nous ?"
- Le Président : "De Mireille Mathieu , pardi !"

BERLIN

    Aucun des analystes ne comprit pourquoi , dans un immeuble évacué en
raison de la proximité des zones interdites , K. Kolb utilisa un ascenseur
anormalement en état de marche . Kolb avait - en plus de son intelligence -
une solide expérience des choses du Service. Pas plus qu'on ne trouvait d'ex-
plications au fait qu'il avait désactivé le microphone placé dans la poche
intérieure de sa gabardine , et pourquoi il avait laissé dans le couloir d'entrée
sa caisse à outils et l'enveloppe en papier kraft qui contenait les instructions ,
pourquoi il avait abandonné ses chaussures à bouts renforcés sur le palier du premier ,
pourquoi - devant une circonstance imprévue : la bonne marche de l'ascenseur -
il n'en avait pas référé au Cinquième Bureau , pourquoi il n'avait pas envoyé
le signal convenu avant d'agir et - tout bonnement - pourquoi il avait pris
l'initiative d'ignorer l'escalier ?

    Enfin , pourquoi un vopo  découvrit à trois heures du matin le tronçon
inférieur de Kolb entre les grilles fermées de l'ascenseur et le tronçon du haut
au quatrième étage ?

    Son chef direct fut longuement interrogé , quelque peu malmené puis congédié
avec trois ans de salaire et une prime confortable .

    Car la réputation de la Société Otis est à ce prix , et juteux le marché des
ascenseurs berlinois .

KRANT 21 . LE PÉRIMÈTRE DU CHAT

- Krant : "Chef … Hume raisonne-t-il ? …"

    Nous venions de sortir du chenal d'Aabenraa … J'étais remonté sur le gaillard
d'arrière où le capitaine bourrait sa pipe pendant qu'à l'est , embrasés par le couchant ,
les portiques , les palonniers et les grues portuaires , becquetant l'immense vasière ,
levaient flèches et poutrelles vers le ciel non moins immense comme pour un envol
imminent .

- Moi : "Non , capitaine … Hume dort"

    De fait , Hume dort et il exerce cette sempiternelle occupation en quatre inamovibles
lieux par lui élus : la tuyauterie de sortie de chaudière , le coussin le plus profond du
carré , une caisse en carton où l'homme de barre , son quart rendu , jette ses gants et ,
en solennelles occasions , les genoux mêmes du capitaine . Hume dort les moustaches
entre les coussinets et , si la raison l'habite , elle ne quitte pas l'étroit périmètre de son
pelage rayé . Je n'ai jamais vu Hume circuler sur la passerelle de commandement avec
un air pensif et s'est-il jamais soucié de notre route ou du charbon à embarquer ?

    Je sentis contre mes bottes un frôlement et je vis Hume sous mon bras accoudé , en
extraordinaire sortie de pont . Il posa son cul entre nous , queue arrondie autour des pattes
jointes , et considéra au loin les portiques , les palonniers et les grues portuaires trans-
figurés par les bas-côtés de ma raison en quêteurs de vers et qui , sagesse de chat ,
n'étaient point des oiseaux et , bien entendu , ne prendraient jamais leur envol .
   

mercredi 10 décembre 2014

PARADIS 22 . LA GIMLASTIC

- Dieu : "Qu'est-ce que tu fais , Ève ?"
- Ève . Elle pédale , les jambes en l'air : "De la gimlastic"
- Dieu . Il corrige : "De la gymnastique , Ève … de la gymnastique … du grec
gymnos ... pourquoi tu fais ça ?"
- Ève : "Pour les fesses … et les ablominos …"
- Dieu : "Les abdominaux , Ève …"
- Ève . Elle s'arrête de pédaler : "C'est pas les ablominos ?"
- Dieu : "Non , Ève … je suis sûr … c'est moi qui ai inventé les abdominaux et
c'est moi qui ai inventé le mot"
- Ève : "C'est quoi alors les ablominos ?"
- Dieu : "Mais c'est rien du tout ! … ça n'existe pas … regarde dans le dictionnaire …
le Petit Robert , c'est le meilleur …"
- Ève : "C'est quoi un fricsonnehair ?"
- Dieu : "… Pfff ! … Ève !! … j'aurais dû te faire en brune … un dictionnaire ! …"
- Ève : "Je suis blonde , non ?"
- Dieu : "Ben oui …"
- Ève : "C'est quoi une brune ?"
- Dieu : "Euh … c'est une fille qui réfléchit … qui sait faire des trucs qui servent à
quelque chose …"
- Ève : "… Et ses ablominos , y sont comment ? … aussi jolis que les miens ?"
- Dieu . Il hausse les épaules : "J'en sais rien Ève … je n'ai pas créé de brunes …
les brunes , c'est une vue de l'esprit …"
- Ève . Elle se remet à pédaler en l'air : "J'en ai fait 200 !"
- Dieu : "200 quoi ? … tu sais compter maintenant !?"
- Ève : "200 pedalings … c'est mon fitness program …" . Elle s'arrête de pédaler :
"Dis , tu pourrais me créer une wii fit ?"
- Dieu : "Qu'est-ce que c'est ?"
- Ève : "Une planche de fit …"
- Dieu : "………….?………….."
- Ève : "Tu pourrais ? …"
- Dieu : "T'as rien d'autre à faire ?"
- Ève : "Non"

WALTER SCHWIEGER

    "Sournois … tu es sournois … un reptile !" disait ma mère qui ne voyait en moi
que ruse et cruauté . Mon enfance se résuma à ceci : parfaire cette image . J'étouffai
dans l'oeuf les bonnes dispositions propres aux bambins et me glissai par ondulations
et rétractions alternatives dans la peau d'un serpent aquatique . Combien de mes jeunes
condisciples présentèrent sur leurs mollets ou dans le gras de leurs fesses la trace
typique d'une morsure par crochets ! . Plus tard , adolescent , je fascinais les filles en
les regardant fixement . Mes yeux semblaient dépourvus de paupières ; une écaille
transparente teintée d'un pâle bleu aryen les couvrait comme un verre de montre et
peu de ces femelles échappèrent à mon magnétisme . J'évoluais , furtif , dans la société .
Je changeais souvent de peau , aussi n'étais-je jamais là où m'attendaient les humains ,
mais ailleurs , frôlant des talons ingénus . A vingt ans , j'entrai à l'Académie de Marine
de Kiel où je devins Kapitänleutnant . La guerre et l'invention de l'U-boat décidèrent
de mon destin . C'est au fond de la mer que devait s'épanouir ma nature . Je demandai
et obtins le commandement de l'U-20 .

    Le 7 mai 1915 , je coulai le Lusitania au large de l'Irlande avec ses 1200 passagers .

mardi 9 décembre 2014

COTE 137 . 20 . LE SUBJONCTIF (cf cote 137 . 10)

    Un colonel très chic vint visiter notre tranchée .

- Le colonel à Martial , avisant ses bottes neuves : "Sont-ce des bottes neuves , soldat ?"
- Martial au garde-à-vous : "Elles le sont-ce absolument , mon colonel !"
- Le colonel : "Mais ne sont-ce des bottes allemandes ,"
- Martial , regardant droit devant lui : "Elles sont-ce complètement allemandes ,
mon colonel"
- Le colonel : "Eussiez-vous détroussé un cadavre ?"
- Martial : "Je l'eussiez ! … mais il était vivant , mon colonel"
- Le colonel : "Fut-il votre prisonnier ?"
- Martial : "Mon colonel , il le fut-il … prénommé Adolf …"
- Le colonel , touchant les bottes de Martial du bout de sa badine : "Sont-ce des
bottes confortables ?"
- Martial : "Elles le sont-ce … confortisses … j'eûtes dit inégalasses , mon colonel"
- Le colonel : "Que fîtes-vous de ce prisonnier ?"
- Martial : "Je n'en fîtes rien , mon colonel … je le frites partir …"
- Le colonel : "…………….!?……………."
- Martial : "Mon colonel … il causait une langue barbare … sans tsubjonktif …
nous pensâtes que c'eût pu être quelque africain …"
- Le colonel s'éloigna … Au capitaine : "Capitaine , se peut-il que cet homme se moquât ?"
- Le capitaine , troublé : "En effet , mon colonel il se put-il …"

ZONE BLANCHE

    Il y aurait entre Kolpasevo et Orlovka une zone blanche . Une zone blanche
est une terre inconnue d'un genre particulier . Elle n'a rien à voir avec la "Terra
Incognita" , étendue vierge de toute carte et de tout repère , où l'humanité cepen-
dant concentre un comble de curiosités , voire d'appétits , mais dont l'accès est
provisoirement interdit par la dangerosité ou l'extrémité . Au seul écho de ses six
syllabes - Terra Incognita - les baroudeurs de tous acabits bouclent leurs sacs et
tentent à leurs risques et périls d'y poser le pied .

    Au lieu qu'une zone blanche est un territoire qu'aucun obstacle ne retranche
du reste des continents . Tout bonnement on a oublié de l'explorer ou de le tra-
verser parce qu'on suppose qu'il n'a aucun intérêt , ni stratégique , ni économi-
que , ni touristique , qu'on n'y fera pas brouter un troupeau de rennes , qu'on
n'y bâtira aucun château-fort - pour surveiller quelle route et quels pillards puis-
qu'il n'y a ni l'une ni les autres - et qu'il fait détour plutôt que raccourci . Tout
juste voit-on de Kolpasevo et d'Orlovka une orée de bouleaux . Ce qu'il y a
derrière , personne ne songe à l'imaginer : marais , steppe , buissons ? … sauf
parfois , brièvement , un poète ou des hurluberlus que rien n'empêche de rêver
qu'au bout de la ligne électrique un maigre village envoie par intermittence des
signes de vie ...

TROIS MOUCHES 24 . CANICULE

    Berthe avait un revers destructeur et un service faiblard . Trois mouches
vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .
"Zéro-trente" dit l'arbitre . De l'autre côté du filet , l'été gagnait du terrain .

    Les pailles bourdonnaient . Berthe prit le terrain à revers et d'un coup de
filet encercla trois mouches faiblardes . Je quittai mon service . "L'été sera
destructeur" me dit Berthe .

    Trois mouches bourdonnaient en cercle . L'été nous prenait à revers .
"Trente degré au-dessus de zéro !" soupirait Berthe . Elle était faiblarde et
suait sous son chapeau de paille .

DESMOND 15 . FORMATION CONTINUE

- "Desmond !?"

    C'est la voix du Président .

- "Où donc étiez-vous passé ? … ça fait des mois !! … Pat me demandait de vos nou-
velles … mais quoi lui dire ?"
- Moi : "J'étais en stage , Monsieur le Président"

    Le Président s'avance vers moi . Il est bronzé , son rictus est plus blanc que jamais .
Il s'avance vers moi à terrifiantes enjambées en me tendant une main au bout d'un bras
enthousiaste . Je pose mes documents sur la moquette . Vigoureux shake-hands : "Hi ,
Desmond ! … how are you ?"
- Moi : "Very well , thank you , Mister President " (Dois-je traduire ce dialogue en
français ?)
- Le Président : "Quelle sorte de stage ? … le brûlage des documents … il y a une for-
mation continue ?"
- Moi : "Yes , Mister President"

    Il me prend par l'épaule et me fait entrer dans le Bureau Ovale : "Racontez moi ça ,
Desmond … j'adore quand vous racontez ! …"
- Moi : "C'est que … hum …"
- Le Président , sourcils circonflexes : "C'est que quoi ?"
- Moi : "Hum … c'est … c'est top-secret , Mister President"
- Le Président , rigolard . Il s'approche de moi et me fiche l'index entre les côtes : "Allez
Desmond , parlez … parlez … dites à votre Président … quelles améliorations … com-
ment brûle-t-on les documents compromettants … hein ? … ces écoutes téléphoniques …
ces coups tordus … ces traquenards … ces rétro-commissions … ces pots de vin …
hein ? … toutes ces joyeusetés qui font le charme de notre quotidien …"

    Le Président passe derrière moi , me ceinture et , d'un coup de genou , m'envoie assis
sur la moquette . : "Ah , ah , Desmond ! … c'est un stage de close-combat qu'il vous faut !"

lundi 8 décembre 2014

ATHABASCA

    La bataille d'Athabasca aurait eu lieu là où s'étend la ville du même nom .
Une classe moyenne y déroulerait une vie moyenne si , à l'image des collec-
tionneurs de plantes tropicales dans leurs serres surchauffées , elle ne cultivait
le souvenir de la Grande Bataille . Les pavillons préfabriqués plongent leurs
maigres fondations dans un sol que les édiles prétendent mêlé de sang et
d'héroïques ossements . Qu'un éclat affleure au fond d'un potager et chacun ,
abandonnant son programme TV , endosse l'habit d'archéologue et bientôt ,
des quatre bouts de son plan orthogonal , la ville vibre de savantes supputations .
Le tracé de la Grande Rue superposerait son enrobé à l'ancienne piste mais
l'ancienne piste est un mythe . Qui , prétendant au gouvernement de la ville ,
oserait clamer que de piste il n'y eut jamais , ni guerriers , ni bataille , devrait
fuir sous des jets de pierres . A la mi-juillet , on rend hommage à un guerrier
dont on a perdu le nom . La place arbore ce jour-là des répliques d'étendards
et le maire , après le dépôt d'une gerbe , ranime la flamme sans qui la ville
d'Athabasca périrait d'ennui .

vendredi 5 décembre 2014

JULES 6 . LA CONSTANTE h

    Un cachet d'aspirine bruit paisiblement sur la table de nuit .

- Soeur Marie de la Croix est assise au bord du lit : "Max Planck … Saint Max
Planck ! …"
- Jules : "…………………"
- MdlC : "La constante h …"
- Jules : "…………………"
- MdlC : "La loi spectrale du rayonnement d'un corps noir … ça vous dit quel-
que chose ?"
- Jules : "Rien du tout …"
- MdlC : "Ça devrait"
- Jules : "……..?…………."
- MdlC : "C'est bien joli de nier en bloc l'existence de Dieu … mais qu'est-ce
qu'on fait du Monde ?"
- Jules : "……..? ………… L'existence de Dieu , c'est une sornette"
- MdlC : "D'accord … qu'est-ce qu'on met à la place ?"
- Jules : "…………………."
- MdlC : "Je vais vous conseiller une bonne lecture"
- Jules : "La Bible ? … Panorama Chrétien ? …"
- MdlC : "Non … La Physique Quantique pour les Nuls"
- Jules : "……..?………….."
- MdlC : "Après , je vous filerai "Le Principe de la Conservation de l'Énergie" …
vous verrez , c'est passionnant … on en aura fini avec les sornettes … tenez"

    Elle tend à Jules le verre d'aspirine .

- "Doux Jésus !" , soupire-t-elle .

KRANT 20 . A PROPOS DES QUESTIONS

- "Et bien , Chef !"

    Nous naviguions sur je ne sais plus quelle mer . Ce devait être près d'un
tropique , sous une de ces latitudes de l'Atlantique sud et certainement le matin
très tôt car la chaleur montante était encore traversée de fraîches brisures . On
n'entendait que les grincements inhérents au déplacement d'un morceau de fer-
raille sur un fin clapot .

    J'étais sur le pont et Krant , au-dessus de moi , accoudé à la rambarde supérieure .

- Krant : "Ne sommes-nous pas accablés de questions ?"
- Moi : "Oui , capitaine , nous le sommes …"
- Krant : "Et quelles questions vous accablent donc ?"
- Moi : "Quelle quantité de charbon , quelle pression pour la chaudière … et quelle
température …"
- Krant : "Mais ne raisonnez-vous pas ?"
- Moi : "Sûr , capitaine que je raisonne … et nous arrivons à bon port ! …"
- Krant : "C'est donc bien la raison qui impose ses questions et les résout"
- Moi : "……………………….."
- Krant : "Et cependant , il y a des questions sans réponse …"
- Moi : "……………………….."
- Krant : "Cela ne vous paraît-il pas singulier que la raison impose des questions
qu'elle sait sans réponse ?"
- Moi ; "Capitaine , je n'ai pas de réponse à celle-là …"

PARADIS 21 . WAR GAME

    Dieu est en tournée d'inspection ; Ève trottine derrière Lui . Son ventre a la forme
 d'une mappemonde . Pour nous - observateurs lointains - elle est enceinte de sept mois .
- Ève : "J'en aurai combien ?"
- Dieu , poursuivant sa marche dans les herbes portant semences : "Un , Ève"
- Ève . Elle s'arrête de marcher comme clouée par l'info : "Un !? … un seul ?"
- Dieu . Il s'arrête aussi et se retourne vers Ève . Elle est là , nue et superbe , ventre
rond , seins pointés , cambrure à damner , et Dieu se dit en Lui-même foutre Dieu ,
qu'elle est belle ! : "C'est bien assez , Ève … tu ne te rends pas compte … un enfant ,
c'est du boulot !"
- Ève : "Du boulot ?"
- Dieu : "Oui , Ève … tu sais , si je t'ai sous-traité la fabrication des humains , c'est pour
me décharger un peu … j'ai un travail fou avec la ménagerie : les oursons , les chatons ,
les tigrons , les éléphanteaux , les larves , les petits de crabes … sans compter les végétaux
et toutes les herbes portant semences … tiens , cette nuit , j'ai démonté pour la Xeme fois
les choux de Bruxelles ! … alors , si en plus , je dois m'occuper de la marmaille !"
- Ève : "Quand même ! … un , c'est pas beaucoup !"
- Dieu . Il reprend sa marche et Ève le suit : "Ève … si tu calcules …"
- Ève : "Calcules ? … c'est quoi ?"
- Dieu : "C'est faire des multiplications … je t'expliquerai …"
- Ève : "Mais … si je savais calculer … et ben quoi ?"
- Dieu : "Vous seriez six milliards en 2014 après Mon Fils"
- Ève . Elle a une idée : "Adam … il pourrait m'aider !"
- Dieu . Il lève les yeux au ciel et hausse ses épaules toutes puissantes : "Pfuff ! …
Adam ! … tu sais où il est en ce moment ?"
- Ève : "Pas la moindre idée ! … j'm'en fous !"
- Dieu : "Avec sa War Game …"
- Ève : "C'est quoi ?"
- Dieu : "Un jouet … c'est bourré d'électronique"
- Ève : "Ça sert à quoi ?"
- Dieu : "A rien … c'est pour l'occuper … et lui donner des idées …"
- Ève : "Il a pas d'idées tout seul ?"
- Dieu : "Si … des mauvaises …"
- Ève . Elle revient au sujet : "C'est quoi War Game ?"
- Dieu : "Ça sert à limiter la population"

jeudi 4 décembre 2014

COTE 137 . 19 . LA POMME

- "Baïonnette au canon !" . Ordre du capitaine .

Nous venons d'essuyer un pilonnage en règle qui peut annoncer une attaque .
Les baïonnettes forment une haie au bord de la tranchée .

- Le capitaine ; "Qu'est-ce que cela , Martial ?"
- Martial : "Une pomme , mon capitaine"

Une pomme est empalée sur la baïonnette de Martial .

- Le capitaine : "Je le vois bien Martial … mais que fait-elle là ?"
- Martial fait au capitaine un clin d'oeil : "C'est un piège , mon capitaine … le boche
prendra ça pour une pomme !"
- Le capitaine : "Mais n'est-ce pas une pomme ?"
- Martial : "Si mon capitaine … une Golden"
- Le capitaine . Il surveille aux jumelles les mouvements de ceux d'en-face , cote 137 :
"C'est quoi ce piège , Martial ?"
- Martial : "Le fruit défendu … vous avez entendu parler de ça , mon capitaine ? …
au caté …"
- Le capitaine : "Oui , et alors ?"
- Martial : "Qui mange la pomme tombe en enfer"
- Le capitaine : "Nous n'y sommes pas déjà ?"
- Martial . Il décroche la pomme et la croque : "Si … vous avez raison , mon capitaine …
celle-la , les fridolins ne l'auront pas …"

mercredi 3 décembre 2014

LE ROI DES TCHOUKTCHES

    Je suis en Tchouktchie le plus tchouktche des tchouktches . En toute circonstance ,
j'adopte la tchouktche-attitude et quand je voyage à l'étranger , je stimule autant que je
peux la tchouktchphilie si - par hasard et par bonheur - je croise un tchouktchphile à
jeun . J'ai fort à faire car l'ours blanc du Kamchatka , le bébé-phoque de la mer
d'Okhotsk et la baleine grise de l'Océan Arctique ont meilleure presse dans les foyers
douillets des peuples sédentaires que leurs chasseurs . J'émaille mes discours de pro-
verbes tchouktches , je déclame la poésie tchouktche , je pratique l'humour tchouktche ,
je cite à tout propos les philosophes tchouktches et je prescris les remèdes tchouktches .
C'est pourquoi , où que j'aille en Tchouktchie , du Cap Erri à la baie d'Anadyr ou de la
rivière Indiguirka aux montagnes Palpal , je suis reçu comme un roi tchouktche . Les
portes des yourtes partout me sont ouvertes : celles du District Autonome de Tchou-
kotka comme celles de la République de Sakha-Yakoutie ; dans l'oblast de Magadan ,
la vodka m'est servie avec obligation de garder la bouteille ; les mâles du kraï de
Kamchatka m'offrent leurs femmes .

   

TROIS MOUCHES 23 . LES CARPES

    Papa pêche . Sa canne est équipée d'un moulinet cormoran . Trois
mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnent contre nos chapeaux
de paille . Maman dort près de l'épuisette . Sous les appâts , les carpes
fouillent le fond de la rivière .

    Trois carpes merveilleuses dorment près de l'épuisette . Papa fouille
les appâts de Maman pendant qu'un cormoran mouline au-dessus de nos
chapeaux de paille .

    Une carpe a mordu et le moulinet cormoran de Papa bourdonne . Ma-
man tend l'épuisette . Nos trois chapeaux de paille dorment sur la rivière .

DANS UN SAC DE DAME

Dans un sac de dame ,
Sous les sept fars à paupières ,
Pinceau blush n° 42
Poudrier et disques sans acétone ,
Sous la lime Todikori ,
Mini-pince à épiler Chupa Chups ,
Trois anticernes , dix rouges à lèvres
Deux crayons , le Gloss
Et quatre mascaras .

Huit balles flèche de chasse
Gros gibier calibre 12/70
Bimétallique sans plomb
Vitesse initiale élevée
540 m/s
Excellente précision
Pouvoir destructeur incomparable .

DESMOND 14 . CHOU

    Bureau du Président . Dans la main droite du Président , le téléphone rouge .

- "Allo … Chou ?" . Il pose la main sur le microphone . A moi : "C'est Chou ,
Desmond … Chou en laï …"
- Le Président : "How are you , old fellow ? … yeah … yeah … oh , my god ! …
yeah … yeah … no … no … de la trois en un … vous n'avez pas ça au super
market du secteur ?" . Cachant le microphone : "Desmond , notez : un milliard
de chinois et pas une burette d'huile" … S'impatientant devant mon air stupéfait :
"Desmond ! … c'est stratégique , ça … l'huile … l'entretien des chars !!" . Re-
prenant sa conversation intercontinentale : "No , Chou … il y a une vis en-dessous …
oui … la desserrer dans le sens contraire des aiguilles d'une montre … oui … quel
sens ? … comment sont-elles vos montres en Chine ? … de droite à gauche et de
haut en bas ? … merde … et vous lisez l'heure comment ? … vous la lisez pas ? …
au pif ?"
- A moi : "Ils donnent l'heure au pif , Desmond ! … notez … notez tout ça … en
cas de guerre nucléaire , vous vous rendez compte , Desmond ?"
- A Chou : "Chou , mon Chou … tu tournes doucement dans le sens de … oui …
as-tu coupé ? … non , écoute-moi … as-tu coupé l'eau ? … ah , oui … première-
ment : couper l'eau … comment ? … il n'y a pas d'eau ? … alors laisse tomber …
c'est pas le robinet … tu comprends , Chou , pour remplir la châsse , il faut de
l'eau … yeah …"
- A moi : "Bon Desmond , c'est pas demain qu'ils vont nous envahir les chinois …
il a un problème avec les chiottes de la Cité Interdite"

mardi 2 décembre 2014

JULES 5 . UNE ÉTAPE

    Le cachet d'aspirine dégage un bruyant lot de bulles gazeuses .

- Jules , de but en blanc : "Croyez-vous en Dieu ?"
- Marie de la Croix : "Doux Jésus , oui !"
- Jules : "………………………………….."
- MdlC : "… C'est une étape …"
- Jules : "……..?…….. une étape ? …"
- MdlC : "Une étape dans le dévoilement du Monde"
- Jules : "Une étape , ma soeur , c'est bien un lieu intermédiaire ? … un endroit où
on se repose avant d'aller plus loin ?"
- MdlC : "Oui … un lieu intermédiaire et provisoire"

    Dans le verre d'eau , l'acide acétylsalicylique a calmé ses molécules ; il ronronne .

- Jules : "Le bon Dieu serait une sorte de phase ..."
- MdlC : "Croyez-vous en Dieu ?"
- Jules : "Pas du tout !"
- MdlC : "Quel dommage ! … une si belle explication du Monde ! … si pratique …
si simple …"
- Jules : "… si simplette …"
- MdlC : "Certes … mais si jolie …"
- Jules : "Ma soeur … le moins qu'on peut attendre d'une explication c'est qu'elle soit
autre chose que jolie … qu'elle cadre avec le réel par exemple !"
- MdlC . Elle lève les bras au ciel : "Quelle idiotie ! … êtes-vous naïf Monsieur Jules ? …
si vous prétendez connaître le réel , vous ne lui cherchez pas d'explication et si vous
émettez une hypothèse , c'est que le réel est hypothétique ! … la certitude qu'une ex-
plication du réel "cadre" avec le réel , quelle idée saugrenue !!" . Elle hausse les épaules .
- Jules : "Si je vous entends bien , le bon Dieu est une hypothèse non vérifiée …"
- MdlC : "C'est même deux hypothèses : qu'Il existe et qu'Il est bon … la foi c'est ça …
le coup de poker … et le bon Dieu n'abat jamais ses cartes !"
- Jules : "Alors ?"

    Le suspense est comme qui dirait insoutenable . Côté aspirine , c'est le calme plat .

- MdlC : "Alors ? … il faut passer à autre chose …"
- Jules : "………….?…………."
- MdlC . Elle s'asseoit sur le bord du lit et prend les mains de Jules dans les siennes :
"Connaissez-vous Max Planck ?"

KRANT 19 . EXIGENCE ET BONHOMIE

    Dans l'oeil de Krant , exigence et bonhomie s'embrouillaient et c'est contre un quai
de Manakara que je démêlai l'une de l'autre .

    Le capitaine nous avait convoqué dans le carré des officiers . Quand nous franchîmes
la porte de fer , il nous engloba dans un coup d'oeil unique comme les hypostases d'une
trinité et comme l'entité indispensable aux déplacements marins . Nos trois rapports étaient
posés côte à côte sur la table d'acajou (à ses bords graisseux , je reconnus le mien entre les
deux autres) , et dès lors que Krant avait placé à gauche sa casquette et sa pipe à droite , je
saisis que l'exigence habitait ses pupilles . Dans le parallélisme de la posture : les coudes ap-
puyés, le capitaine saisissait à tour de rôle chacun de nos rapports et , dans un mouvement
ascendant , il actionnait ses avant-bras comme deux potences de levage pour les porter à
lecture verticale . Ses pupilles rétrécissaient comme des rayons de si brûlante sévérité qu'ils
perforaient le papier au point de leur convergence , prenaient à revers nos écritures mala-
droites (Krant cependant jamais ne se gaussa de nos erreurs syntaxiques de prussiens orien-
taux quasi-analphabètes) , se métamorphosaient en souples filins d'acier pour entraver nos
jambages et abattre dans le sable et aux fins d'examen nos observations techniques . Krant
pesait chaque mot , jaugeait chaque chiffre et , au moindre soupçon de poésie , y portait le fer .

- Krant : "Chef … vous dites que le mardi 7 mai , la mer était belle ! … Qu'est-ce que signifie
cette envolée ? … qu'est-ce qu'une mer belle ?"
- Moi : "La pression était de 1012 hPA et le vent , capitaine , à peine trois noeuds !"
- Krant : "Alors dites que la pression , le mardi 7 mai , était de 1012 hPA et la force du vent :
trois noeuds … car , Chef , il n'y a pas de mer belle … il n'y a pas de mer laide … il y a
la mer …"

    Le capitaine nous fit rompre le rang . Il se leva et ouvrit le hublot côté quai . En contre-
bas , une foule nègre braqua son visage vers le carré ; de sa bouche édentée exhalait un
brouhaha de prières et ses mains agrippaient les mâts de charge ou se pressaient contre le
bordé . Krant tourna vers nous une bienveillante marée bleue où on devinait encore l'ombre
des pupilles.

- Krant : "Que veulent ces gens?"
- Moi : "Nous vendre du corossol , du kaki ou des bananes-plantain , capitaine !"
- Le quartier-maître : " … et les hommes leurs bras …"
- Le timonier : "   et les femmes leur corps …"

lundi 1 décembre 2014

PARADIS 20 . LES FICELLES

    Ève entre dans l'atelier de Dieu .

- Ève : "C'est joli ces ficelles !"

    Du plafond de l'atelier pendent des milliers de ficelles de couleurs différentes et
marquées par des petits repères . Elles s'enroulent autour de poulies actionnées par
des engrenages , des transmissions , des pignons et des manivelles .

- Ève : "Qu'est-ce que c'est ? … c'est toi qu'a fait ?"
- Dieu : "Oui , c'est moi ma chérie … c'est les ficelles du monde …"
- Ève : "Oh la la … comment ça marche ?" . Elle effleure une manivelle .
- Dieu : "Nom de Dieu (c'est Lui) , Ève ! … ne touche pas , malheureuse ! … Je
suis seul à tirer les ficelles ! … c'est très délicat ce truc-là ! …surtout ne touche à
rien ! … Adam a touché tout à l'heure et son engin ne montait plus … j'ai passé
une heure à tout remettre en ordre … tu comprends , Ève , la moindre fausse ma-
noeuvre et le monde est par-terre … il faut que je sauvegarde … éviter le bug …
c'est très important la sauvegarde … sinon c'est la fuite de mémoire ou une erreur
de segmentation dans les opérations d'allocation de mémoire … tu me suis ?"
- Ève : "Non … j'y comprends rien du tout !"
- Dieu : "La sauvegarde … je mets ces trucs sur un disque dur et , hop ! , dans ce
petit rack"

    Il tend un index menaçant vers Ève : "De ce petit rack , Adam et toi vous ne
toucherez pas , de peur que vous n'appreniez ce que vous ne devez savoir …"

COTE 137 . 18 . LA CROIX DE GUERRE

    Comment nous obtînmes la Croix de Guerre , Martial et moi .

    Nous étions en patrouille et , comme d'habitude , Martial , sûr de son fait , nous
avait perdus . Il suivait disait-il l'Étoile Polaire mais ce qu'il identifiait comme Étoile
Polaire pouvait être aussi bien Vénus ou , une autre nuit , la queue de la Grande
Ourse . Il avait donné des noms aux boyaux que nous empruntions : rue Solférino ,
avenue de la Grande Armée , et des noms de places aux trous d'obus : place de la
Concorde parce qu'on s'y était étripé , place du marché aux chevaux parce que
finissaient d'y pourrir deux infortunés bidets , mais , à sa décharge , les artilleurs des
deux camps s'ingéniaient à chambouler le plan de cette fiction qui s'étalait entre
notre tranchée et la Cote 137 . Aussi , cette nuit-là , nous étions perdus et Martial
était de méchante humeur . "Mais enfin , vieux , je te dis que le boulevard Magenta
coupait hier la rue des cisailles à barbelés !" . Moi : "Martial , c'était hier … ils ont
fait des travaux …" . Martial sortant sa boussole et scrutant le ciel bourré de nuages
(il pleuvait) : "L'Étoile Polaire ! … foutre Dieu … les nuages sont avec les boches !"
Je m'étais hissé au bord de l'entonnoir où nous pataugions . Je me figeai : "Hep !" .
Martial au fond du trou tourna vers moi deux points d'interrogation . Je mis mon
index sur mes lèvres en me laissant glisser près de mon camarade . Je chuchotai à
son oreille : "Nom d'une pipe , Martial ! … nous sommes chez eux … là … derrière ! …
à cinq mètres … filons ! …" . Martial : "Pas possible !" . Il tire de sa poche un papier
froissé où il avait gribouillé un plan personnel : "Là où tu dis , à cinq mètres !? …
des fridolins dans la rue des Gaulois !? … C'est impossible !" . Moi , marmonnant de
rage et de trouille : "Triple idiot ! … les nôtres avec des casques à pointe !?" . Je
dégoupillai une grenade pour couvrir notre fuite . Martial : "T'es fou !" .

    Ma grenade explosa . Il y eut une lueur rouge et des cris de modèle germanique .
Par hasard , j'avais détruit la mitrailleuse qui nous martyrisait depuis quinze jours .

    Joffre en personne nous épingla .

dimanche 30 novembre 2014

L'AFFAIRE MARKUS FRODI

    Jusqu'à son mariage , Jakob Heppni mena la vie d'un paisible citoyen islandais .

    Trois ans après son mariage , il divorça . C'est une péripétie commune au tiers de
la population et il n'y avait là rien qui put susciter un peu de curiosité .

    Sesselja , son ex-femme , l'avait quitté pour un autre , ce qui est horriblement banal .
Sauf que cet autre , c'était le père de Jakob : Pétur , veuf depuis trois ans . Comme
Jakob était incapable de tenir seul une maison , il retourna chez papa et se trouva vivre
sous le même toit que son ex-femme qui , entre-temps était devenue sa belle-mère .

    Jakob et Sesselja avait eu un fils : Agust ; et Sesselja et Pétur en firent un autre : Jon .
De sorte que Jon et Agust étaient demi-frères mais que Jon était aussi l'oncle d'Agust .
Or il arriva qu'un jour , Pétur était au marché . Jakob et Sesselja étaient seuls à la maison
et ils liquidèrent dans le lit de Pétur le reste de leur amour .

    Neuf mois plus tard naissait Maria que Pétur , râvi , s'empressa de reconnaître ,
persuadé qu'il était le père . Marie était donc la demi-soeur de son père et la fille de son
grand-père . Elle était aussi la nièce de son frère Jon et la tante d'Agust , son autre frère .

    Avant Agnès , sa femme décédée , Pétur avait été marié à Sigga , une veuve qui avait
une fille : Gunna . Gunna était très belle . Lors d'une visite à Akureyri où demeure la
famille Heppni , Agust tomba amoureux d'elle et il l'épousa . Ils eurent beaucoup d'enfants .

    Quand Pétur mourut , on alla voir le notaire , Markus Frodi .

    Quinze jours plus tard , Markus Frodi se tirait une balle dans la tête .

vendredi 28 novembre 2014

JULES 4 . ASTRE MORT

    Il semblait à Jules que Soeur Marie de la Croix lui tournait autour .
Que voulait-elle ?

- "Je suis un astre mort" murmura-t-il un soir . La religieuse le bordait
et , contrairement à ce qu'il avait prévu ("Je suis un astre mort" était un
test ) elle ne le fit pas répéter .
- "Je suis un astre mort" articula Jules .
- "Je ne suis pas sourde … vous vous intéressez à l'astrophysique ?"

    La bibliothèque de Jules , dédiée aux Nuls , était planquée sous son
matelas .

- "Non … et vous ?"
- "Doux Jésus !" soupira Soeur Marie de la Croix .

Elle sortit mais avant de fermer la porte et couiner de la semelle , elle dit
en doublant la focale :
- "Je vous convertirai …"

TROIS MOUCHES 22 . VOYAGE ORGANISÉ

    L'autobus est au bout de la rue . Trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnent contre nos chapeaux de paille . "Le voilà !" s'écrie Berthe et ses
épaules nues frissonnent de bonheur . Autour , on s'active à grouper les bagages .

    L'autobus se range au bord du trottoir . Ses portes pneumatiques , comme des
épaules nues , frissonnent à l'ouverture . Bousculade . Berthe monte , je la suis .
Les mouches sont au bout de la rue et de guingois nos chapeaux de paille .

    L'autobus démarre . Les épaules nues de Berthe de guingois contre mon
chapeau de paille se regroupent . Dans la soute , les bagages frissonnent et ,
au bout de la rue , trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnent .
"Vivement la mer !" dit Berthe .

DESMOND 13 . LES PHOTOS

- Le Président : "Ah , Desmond ! … content de vous voir ! … où étiez-vous passé ? …"
- Moi : "Monsieur le Président … j'étais ici … à l'incinérateur B …"
- Le Président : " Ah ? … oui , bien sûr … c'est que j'étais en Chine … le ping-pong …
vous savez , Desmond , ce jeu idiot … c'est horripilant le ping-pong , vous n'imaginez
pas … ploc … ploc … ploc … entrez dans mon bureau , Desmond … ah , ça me fait
plaisir de vous voir … scotch ? …"
- Moi : "Mister President … il est à peine 6h du matin …"
- Le Président : "Oh , excusez-moi , Desmond … le décalage horaire , vous comprenez …"
Il appuie sur le bouton de l'interphone : "Henry ? … yeah , dear Henry ! … rejoignez-nous
dans le Bureau Ovale … avec Desmond … oui … le gars de l'incinérateur B … oui …
avec les photos"
- Le Président : "C'est ce cher Henry … alors , Desmond , quoi de neuf ?"
- Moi : "… euh , Monsieur le Président … les choses suivent leur cours …"
- Le Président . Il se sert un double scotch : "Leur cours ? … quel cours ? … les choses
suivent un cours ?" . Levant son verre , il déclame :
                                   "Vois-tu , passant , couler cette onde
                                    Et s'écouler incontinent ?
                                    Ainsi fuit la gloire du monde
                                    Et rien que Dieu n'est permanent"
De qui , Desmond ?"
- Moi : "Agrippa D'Aubigné : inscription pour une fontaine"
- Le Président : "Merde , Desmond ! … vous êtes incollable !"
Entre ce cher Henry : "Hi , Desmond ! … hello Mister President … bien remis ? …"
- Le Président : "Henry , je suis en pleine forme … alors … ces photos ? …"
- Henry jette sur le bureau un tas de photos en vrac : "Jetez un coup d'oeil là-dessus ,
Desmond"
C'est tout juste si mes cheveux ne se dressent pas sur ma tête . Les deux autres me regardent
d'un air sinistre .
- Henry : "On ne peut quand même pas publier ça ! … Desmond : incinérateur B !"

jeudi 27 novembre 2014

EN REGARDANT MON CHAT

Sur une autre planète
J'aurais été ce chat
A horizon de pierres
Faisant sur un long mur
Un rêve à petites ondes

J'aurais été cet oeil
Ocre , couleur de terre
Désertée par les eaux
Comme d'une mer morte

J'aurais pu être aussi
Sur une autre planète
La pierre d'un mur à chats
Ou l'onde d'un long rêve

Ou ,
A l'horizon d'un oeil :
La couleur du désert
L'eau ocre d'une mer
Ou d'une terre morte

Je regarde mon chat
Faisant sur un long mur
Ce que j'aurais pu faire :
Un rêve à ondes courtes

JULES 3 . PETITE FILLE

    Jules avait abandonné l'idée d'approcher son être dans ce qu'il a de plus
minuscule car , malgré un effort conceptuel douloureux , jamais il ne parvint
à tenir dans un même ensemble onde et particule . En manière de consolation ,
il se fit offrir par sa petite fille (Elle le visitait à l'hospice une fois par semaine)
"L'Astrophysique pour les Nuls" et il se sentit immédiatement plus à l'aise
dans l'infiniment grand . Cependant , quand il apprit à la page 312 paragr.2
qu'un astre pouvait produire de la lumière des millions d'années après sa mort ,
il s'inquiéta . Il demanda à sa petite fille de vérifier par un baiser qu'à l'image
du Jules qu'elle percevait entre les oreillers de son lit médicalisé était associé
un Jules en chair et en os .

mercredi 26 novembre 2014

KRANT 18 . L' ÎLE INVISIBLE D'ARRAN

    C'est sur le North Channel de la Mer d'Irlande , dans l'un de ses mauvais cotons ,
que j'approchai le coeur du mystère . J'étais monté sur le pont pour voir où en était
cette scabreuse navigation …
    A tribord , le phare de Stranraer délivrait sa parole muette et discontinue par-dessus
les brumes appliquées comme une tenture de cristal sur le mur du monde , pendant qu'à
l'ouest les mornes collines du Comté d'Antrim se tassaient sur elles-mêmes comme une
sage-femme auprès d'un enfant mort-né , car je tenais les aurores de ce coin de terre
pour de fatales naissances .
    Krant était sur le pont , jumelles pendues au cou , mains croisées derrière le dos ,
dans la posture hiératique d'un sphinx coupeur de flots . Il regardait droit devant lui ,
vers l'île pourtant invisible d'Arran . J'allais passer derrière l'éclat doré de ses épaulettes
pour gagner l'échelle d'accès à la passerelle quand (bien que ne m'ayant pas vu) il
m'interpella :
- "Chef ! … que trouvez-vous donc à ces campagnes ?"
    A quiconque et à mes lecteurs non avertis , la question du capitaine paraît en un tel
lieu insolite . Mais je sus d'emblée que Krant évoquait mes escapades derrière Koenigs-
berg quand , au printemps , entre deux voyages , le Kritik en cale sèche panse ses plaies .
Alors , passés les faubourgs et les dernières isbas , je longe et franchis des fossés pleins
de la fonte des neiges de redoux ou foule à pieds humides les hautes herbes vert cru des
champs de seigle jusqu'aux bois qui bordent la Pregolia .
- Moi : "La paix , capitaine … l'odeur de la sève … le frissonnement des coquelicots …",
répondis-je sur un ton de défi respectueux car , de toutes ces choses les mers sont vides
et elles indiffèrent cet indécrottable marin ; nul n'a jamais vu Krant dans un chemin creux
et nulle vache de Prusse Orientale n'a jamais senti passer la paume du capitaine sur son
museau .
- Le capitaine : "La campagne est un décor … c'est un paysage … un objet …" . Ceci
assorti d'un haussement d'épaulettes .
    En empoignant la rampe de l'échelle , j'eus de ces illuminations si rares dans nos
existences : ce que cherchait le capitaine sur les mers du globe sont ces minuscules
secondes d'indéniable présence . Plénitude . Être . Unité .
    Je regardai encore ce dos puissant : Krant à ce moment était océan .

PARADIS 19 . CRÉATION ET SOUFFRANCE

- Dieu : "Ah ! … Ève ! … j'ai oublié de te dire … c'est un inconvénient de rien
du tout mais je dois te dire … Ève ! : tu enfanteras dans la souffrance !"
- Ève : "Eh ! … c'était pas prévu , ça !"
- Dieu : " … Ma cocotte ! … toute création suppose souffrance ! … penses-tu
que la verdure , l'herbe portant de la semence , les arbres donnant du fruit , les
grands poissons , les oiseaux , le bétail , les reptiles et les animaux terrestres ,
le virus H1N1 , je les ai créés sans souffrances ?" . Il montre à Ève son établi
où un Raphus Cucullatus est en cours de montage (c'est un Dodo , une espèce
de grosse dinde au plumage moiré , aujourd'hui disparu) …
- Ève : "Et lui ? …" . Elle désigne Adam d'un coup de son joli menton .
- Dieu . Il entraîne Ève par le coude et chuchote : "Lui ? … ma pauvre Ève ,
tu l'as regardé cet Adam ? … sale comme un peigne … occupé dix heures par
jour à retourner la terre … c'est un bon à rien … un destructeur … tu ne voudrais
pas que je lui sous-traite une partie de ma création !?"
- Ève . Elle hausse les épaules : "A quoi qui sert ?"
- Dieu : "C'est un sac à spermatozoïdes … avec un robinet …
- Ève . Elle regarde l'engin : "Hi , hi !"

mardi 25 novembre 2014

COTE 137 . 17 . LE PHONOGRAPHE

Où Martial avait-il dégoté ce phonographe ?

Il n'y avait autour de nous que la terre retournée .

L'artillerie pilonnait Montrepont .

- Le capitaine : "Saperlipopette , Martial , où l'avez-vous trouvé ?"

Un phonographe et un disque . Le capitaine lut le titre de la chanson :
"The Ship of Zion"

Martial remonta la manivelle . Le capitaine posa le disque sur la platine
et Martial l'aiguille sur le disque . La moitié de la compagnie était tassée là .
Une voix nègre s'éleva entre les chevaux de frise

                    "O , is your bundle ready ?
                      Hosann-sann
                      O , have you got your ticket ?"

L'artillerie pilonnait Montrepont .

                     "De gospel ship is sailin'
                       O , Jesus is de captain ,
                       De angels are de sailors ,
                       Hosann-sann"

- Martial : "Qu'est-ce qu'il dit , mon capitaine ?"
- Le capitaine :
                       "Ton baluchon est-il prêt ?
                         As-tu pris ton ticket ?"
- Martial : "Oui , mon capitaine , notre baluchon est prêt ,
                  Et nous avons notre ticket"
- Martial , à nous . Large sourire :
                 "Pas vrai , les gars ?"

ASSAPH

J'étais au lit-cage
Penché sur ta blondeur .

Les glaces dérivaient comme au jour sevré .

Déjà , vomissant à la mer
D'écoeurants laitages ,
Tu quittais le mouillage .

Au premier quart d'heure ,
Pouvais-je résoudre l'énigme du linkage ?

JULES 2 . SOEUR MARIE

    Soeur Marie de la Sainte Croix posa sur la table de nuit un verre d'eau où
bouillonnait un cachet d'aspirine . Jules attendit qu'elle fut sortie , qu'elle eut
fermé la porte et que le crêpe de ses chaussures eut cessé de couiner sur le
parquet hyper-ciré du couloir avant de s'allonger sur son lit et sortir de sous
son matelas "La Physique quantique pour les Nuls" . Que la Soeur Marie de
la Sainte Croix sache qu'il ne bornait pas ses lectures à l'éditorial de "Pèlerin
magazine" importait peu mais cette fouineuse , l'apprenant , aurait posé ses
jalons pour des explorations futures . Le marque-page était planté entre les
pages 12 et 13 , là où il avait tracé au crayon à mine un point d'interrogation .
C'était cette nuit , dans la marge du paragraphe intitulé : "Catastrophe ultra-
violette" , sur lequel sa compréhension s'était fracassée et ce n'est pas le rem-
voi pédagogique à la "Résolution classique du corps noir" qui l'avait aidé à
surmonter l'obstacle, bien au contraire . Finalement , il s'était endormi et Soeur
Marie de la Sainte Croix , diagnostiquant les prémisses d'un AVC avait à tout
hasard prescrit de l'aspirine …

    Jules était-il parmi les nuls , le plus nul ? . Cette question subsidiaire , il se
la posait et elle resta provisoirement sans réponse .

TROIS MOUCHES 21 . FÊTE FORAINE

    C'était dimanche . La grande roue tournait derrière nous et Berthe sentait
le nougat . Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre
nos chapeaux de paille . J'étais amoureux . La foule nous serrait de près .

    C'était dimanche . La foule bourdonnait et trois mouches amoureuses
nous serraient de près . Nos chapeaux de paille tournaient sur les manèges
et la roue , merveilleuse grande roue ! , sentait le nougat .

    C'était dimanche . La grande roue et les manèges tournaient . Berthe me
serrait de près ; elle était amoureuse . La foule sentait le nougat et lançait aux
mouches ses chapeaux de paille .

dimanche 23 novembre 2014

DESMOND 12 . LE BOUTON ROUGE

- "Vous voyez ce bouton ?"
Je suis dans le bureau du Président . Il a ouvert un coffre mural . Au fond , il y a
un bouton rouge .
- "J'appuie là-dessus et je vitrifie la planète !"
- Moi . Je m'avance : "…………?……………."
- Lui : "Allez pas toucher à cette saleté , hein ! … est-ce que vous m'aiderez , Desmond ?"
- Moi : "Vous aider , Mister President ?"
- Lui : "…… à appuyer …"
- Moi : " … Jamais de la vie , Monsieur le Président !!"
- Lui . Il tourne sur lui-même comme s'il cherchait quelque chose : "Putain de Bureau
Ovale … y a pas un coin où se tasser en position foetale … la tête enfouie dans les bras …"
- Moi : "……………………………….
- Lui : "C'est fait exprès … si un jour je vous appelle , Desmond … "Desmond , montez
dans mon bureau … j'ai un service à vous demander" … vous guiderez mon doigt ?"
- Moi : "Non , Monsieur le President"
- Lui : "On se servirait un triple scotch , vite fait … avant que les salopards d'en-face …
pour se donner du courage … on serait assez pété pour appuyer …"
- Moi : "Non , Monsieur le Président , non !"
- Lui : "Vous croyez que ça m'amuse ?" . Il referme le coffre et compose un numéro de
code … "Je vous donnerais bien le code , Desmond … et la clé …"
- Moi : "Je n'en veut pas , Monsieur le Président"
- Lui : "B ….. L ….. E ….."
- Moi . Je me bouche les oreilles : "Non , Monsieur le Président !"
- Lui . Il éclate de rire : "Mais c'est une blague , Desmond ! … vous ne pensez pas que
je vais confier le sort de la planète à un freluquet à peine sorti d'Harvard !?"
- Moi : "… Bien sûr , Monsieur le Président … "
- Lui : "Il faut des couilles pour faire mon boulot … et le strict minimum dans la tête …
scotch ?"
- Moi : "Il est à peine 15h , Monsieur le Président !"
- Lui : "Et alors ? … je suis bourré toute la journée … sinon , comment je prendrais les
décisions ultimes ? … hein , comment ?"
Telephone . Ligne sécurisée .
- Lui : "Ah , Henry ! … hello , old fellow ! … au Guatemela ? … situez-moi ce truc …
en gros , Henry … en gros ………. ah , les salauds ! … foutez-leur sur la gueule !"

KRANT 17 . ÉQUATEUR

    Les voyages marchands abandonnent parfois aux forçats que nous sommes des
minutes exubérantes . Nous passions ce jour-là la ligne entre Pini et Tanah Masa .
Déguisé en triton et crachant mes poumons dans une conque , j'assistais le quartier-
maître qui officiait en Neptune . Nous ordonnions à quelques gros bras que fussent
plongés dans un baquet plein d'eau les matelots non affranchis et le timonier lui-
même qui n'avait couru que des mers baltiques . Aspersions , rires et jurons en
dialecte haut-letton traversaient la moiteur insupportable du jour . Nous étions
presque nus .

    De la passerelle de navigation , Krant observait cette scène burlesque . Le fan-
tôme de sourire qui déportait le tuyau de sa pipe dans l'angle de sa bouche valait
consentement à de tels débordements . Le capitaine portait sa tenue habituelle - la
même sous toutes les latitudes - à peine avait-il troqué les bottes pour une impeccable
paire de chaussures en toile blanche . Noeud de cravate serré, casquette droite , boutons
astiqués , plis nets , pas traces d'auréoles , comme si la vapeur tropicale l'exemptait de
ses lourdeurs .

    Quand le capitaine quitta la passerelle , chacun sut qu'il devait regagner son poste .
Nous abordions ce couloir qui sépare l'archipel et la Grande Sumatra . Krant m'inter-
pela alors que je contournais le château par tribord avec ma queue de triton sous le
bras . Il était sur le passavant , au-dessus de moi , devant la porte de sa cabine .

- "Pensez-vous , chef , qu'un letton sait ce qu'il vient de passer ?"
- "Sûr , capitaine … l'équateur !"
- J'entends bien ... c'est un mot … est-ce qu'un letton a jamais regardé une carte …
ou une mappemonde ?"
- "J'en doute , capitaine …"
- "Je vous le dis , chef (il brandissait une pipe prophétique) … ce que nos lettons ont
franchi n'est qu'une promesse de cuite … celle qu'ils tiendront cette nuit au port ……
à Padang …"
- "Interdirez-vous la bordée , capitaine ?"
- Krant me tourna le dos et poussa la porte de sa cabine . "Non … les hommes perçoivent
le monde par le gosier …"

samedi 22 novembre 2014

PARADIS 18 . DRÜCKER

    Au 7e jour , Dieu se reposa de toute son oeuvre .

    Pendant qu'Il dormait , l'Homme prit les choses en mains . Il débita,
arracha , débroussailla , tronçonna , pompa , compacta , nivela , décortiqua ,
exfolia , désinsectisa , perfora , sonda , concassa , tritura , suça , desherba ,
pulvérisa , pelleta , excava , bétonna , débarda , chaluta , carotta , défibra ,
exhuma , défonça , démantibula , défricha , extirpa , bouscula , chassa ,
dessala , assécha , déboisa , déblaya et remblaya , défolia , incendia ,
chamboula , déchiqueta , essarta , charria , désossa , amoncela , salopa ,
tritura , piocha , gratta , dragua , effeuilla , chambarda , tassa , fouilla ,
démoustiqua , endigua …

    Il fit cela les 8° - 9° - 10° - 11° - 12° et 13° jours . Au 14° jour , l'Homme
alluma sa TV car c'était "Vivement Dimanche" avec Michel Drücker ; Il pria
Dieu de reprendre Sa Création .

    Alors Dieu dit : "Ça va pas la tête !?"

vendredi 21 novembre 2014

CHOI-NAM N'EST PAS LÀ

    Que l'absence aurait sur la présence un léger excédent de réalité ,
telle est la thèse qu'avancent les nuages et le quadrilatère de lumière
entrés dans cet ordre par la fenêtre ouverte de Choi-nam Yang . La
forme de Choi-nam , le parfum de Choi-nam , l'air déplacé par Choi-
nam , les fleurs peintes sur le mur par Choi-nam sont plus de présence
que Choi-nam . A l'inverse et ailleurs , hors de notre perception , il
n'est pas impossible que la présence de Choi-nam excède son défaut
d'être de quelques paroles plaisantes ...

COTE 137 . 16 . NINI

    Retour de permission .

    Martial déroule une affiche : le moulin Rouge , Nini Patte en l'Air , presque nue .

- Martial : "Mon capitaine !"

    Le capitaine passe la tête hors de son abri .

- Martial : "Ai pensé à vous mon capitaine … pour agrémenter votre casemate …
regardez-moi ça … Nini Patte en l'Air !"
- Le capitaine (Les lazaristes l'ont éduqué) : "Martial , vous n'y pensez pas !? …
cette créature chez moi !?"
- Martial , retournant l'affiche vers lui : "Mince , mon capitaine !! … elle ne vous
plaît pas !? … comment c'est-y possible ? … mince ! … ces flotteurs … ces hanches …
ces gambettes ! …"
- Le capitaine : "C'est un poste de commandement , ici ! … pas un bouge ! …" . Et
il disparaît .

- Martial s'asseoit . Il enroule son affiche : "Bon … ben … qu'est-ce qu'on va faire
de toi , ma belle ?" . Puis il file à demi-courbé dans la tranchée car les abeilles enne-
mies bourdonnent . Il emmène Nini et ses plumes sous son bras .

- Retour de Martial avec une planche et trois clous . A moi : "Voilà qui fera l'affaire
mon vieux" . Il fiche la planche dans la boue et l'enfonce à coups de pince à barbelés .
Nini Patte en l'Air ou la Beauté dans notre tranchée .

    Minuit . Il se met à pleuvoir .

- Martial : "Merde ! … Nini !"
- Et Martial tambourine à la porte du capitaine : "Mon capitaine , mon capitaine ,
réveillez-vous … il y a là une dame toute nue … mon capitaine ! … il pleut ! …"
- Le capitaine , de l'intérieur : "Faites-la entrer Martial !"

JULES 1 . L'HOSPICE

    A 80 ans , Jules se décida à vendre sa maison et - par voie de conséquence -
sa bibliothèque . Il n'emporta à l'hospice qu'un seul livre . Son entourage conjec-
tura . Certains penchaient pour une oeuvre russe , "Les Frères Karamazov" ou
"Guerre et Paix" , d'autres pour "Les Sept Boules de Cristal" , d'autres encore
-plus aventureux - pensaient que le best-seller d'Hervé Bazin "Lève-toi et marche"
était jouable . Or , cette littérature de haut vol , Jules la vendit pour son poids de
papier . Le livre qu'il glissa entre ses chemises et ses slips avant de fermer la porte
de sa maison vide était une brochure chiffonnée et piquée de marque-pages : "La
Chimie expliquée aux nuls" . De l'hydrogène , du carbone et de l'oxygène , Jules
pressentait que son corps était imbibé mais qu'en était-il de l'azote , du sodium , du
chlore , du magnésium et des acides aminés ? … N'entrait-il du calcium dans la com-
position de son squelette et du fer dans son sang ? . Dès qu'il aurait posé sa valise sur
le châlit et sa brosse à dents sur la tablette en porcelaine , il se promit de relire le cha-
pitre relatif au rôle du phosphore dans l'excitation des tissus nerveux . Demain , si
les Soeurs de la Charité lui accordaient une permission de sortie , il irait à la librairie
de la Grand-Place pour acheter "La Physique Quantique pour les nuls" afin d'appro-
cher les plus fines particules de son être .

jeudi 20 novembre 2014

ROANOKE

Pas de papiers gras .

Pas - quelle horreur ! - de merdes de chiens , pas de chiens pour les faire et pas de
trottoirs pour les poser car à Roanoke - Alabama - il n'y a pas de piétons ; on cir-
cule en voitures .

Pas de pauvres , pas d'étrangers , pas de petites coupures .

Maisons blanches .

De style .

Gazons de genre anglais , verts sans complexes et tirés au cordeau . Arrosage auto-
matique , on puise dans le réservoir de Cordell Hull . A Roanoke , le ciel est bleu
toute l'année mais , à la Saint Médart , on convoque les nuages du golfe pour rem-
plir les nappes , ce qu'ils font avec une ponctuelle bonne volonté .

On travaille sur écrans . Ni sueur , ni courbatures … jouissance est ici maître-mot .

Dollars .

Personnel stylé , trié sur le volet .
Employés municipaux suréquipés / surpayés .
Police et vigiles à fort coefficient intellectuel .

Haies géométriques .

Temple et pasteur .

Tennis - Piscines - Bronzage - Jus d'orange .

Chimiothérapie sans ostentation .

Enfants propres .

Sexe à l'horizon .

mercredi 19 novembre 2014

TROIS MOUCHES 20 . ANGE ORSINI

    Un espace vaguement cerné de broussailles accote la bergerie d'Ange Orsini .
Les garçons sont placés à l'avant-plan comme il se doit et les filles refoulées au
pied d'un mur ronceux . L'oeil noir de la chambre photographique , indifférent
et morne , assiste à cette anthropologique mise en scène . Au centre , l'âne et le
curé découpent leur stupide silhouette sur le ciel de Corse et (cependant que trois
mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnent contre nos chapeaux de paille)
je n'ai pas envie de rire .

    Une merveilleuse envie de rire cerne la chambre des filles pendant que les
garçons , accotés au mur du curé , bourdonnent contre le ciel de Corse , l'oeil
stupide , et découpent dans un espace vaguement anthropologique la bergerie
d'Ange Orsini . Des chapeaux de paille refoulent trois mouches dans un morne
roncier et l'âne , noire silhouette , assiste à la scène .

    Mon chapeau de paille vaguement découpé dans un ciel morne cerne trois filles
à l'oeil merveilleux . Indifférentes , elles refoulent à mes pieds leur envie de garçons
et leur rire stupide . Silhouettes noires au centre de ma chambre , elles bourdonnent
comme une broussaille et dehors , entre les ronces vermeilles , la Corse espace les
murs accotés à la bergerie d'Ange .

lundi 17 novembre 2014

DESMOND 11 . LES STABILOS

- "Marilyn !! … these stabiles are absolute trash ! … fuck it ! …" . C'est le Président .
Il hurle . Il sort de son bureau comme une bumper car au moment où je passe dans le
couloir avec des documents top-secrets à détruire après lecture ; il me percute et le
choc est si violent que la pile m'échappe et que se répandent sur la moquette les tur-
pitudes de la terre entière …
- Le Président : "Oh , Desmond ! … I'm so sorry ! … c'est cette peste de Marilyn …
elle m'a refilé des contrefaçons chinoises … ces stabilos sont a load of crap ! …"
J'entreprends , à quatre pattes , de ramener vers moi ce monceau d'ordures interna-
tionales et le Président s'accroupit pour m'aider .
- Le Président : "Vous comprenez , Desmond , j'ai absolument besoin de stabilos …
sans ça , I'm completely lost … the red one pour ces gros ballots de moujiks com-
munistes , yellow for the chintoks , the black one for negroes , and so on …"
Hurlant : "Marilyn ! … what the hell are you doing !?"
Marilyn s'incarne dans une paire de talons aiguilles rouge vif plantés dans la moquette .
- Marilyn : "Yes , Mister President ?"
- Le Président : "Marilyn , ma chérie … mes stabilos … qu'est-ce que c'est que ces
merdes dans mon plumier ? … je vous l'ai dit cent fois : des stabilos boss de la marque
Stabilo ! … pas ces cochonneries à deux cents de dollar namibien made in China ! …"
- Marilyn : " Dickie ! … y z'en n'ont plus à la papeterie de Calvert Street !"
- Le Président . A quatre pattes comme moi : "Quelle papeterie , Marilyn ? … il y a une
papeterie à Calvert Street ? … ma cocotte … des vrais stabilos , y en a autant qu'on
veut à Dupont Circle ou à Tysons Corner … chez Walker …
- Le Président . Il frotte ses genoux pour ôter les minous : "Vous comprenez , Desmond …
je dois stabiler ces putains de rapports … red-one pour les moujiks …"
- Moi : "Euh … Monsieur le Président … si je puis me permettre : "stabiler" est incorrect …
"stabiloter" ou "stabilobosser" sont les deux vocables admis"
- Le Président : "Vous êtes sûr ? … vous avez vu Bled sur ce point ? …"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président"
- Le Président . Il pose sa main sur mon épaule : "Vous êtes un homme précieux ,
Desmond …" . A Marilyn : "Remuez-vous les fesses Marilyn ! … d'urgence ! … j'ai
à stabilobosser ! " . A moi : "Est-ce bien ainsi , Desmond ?"
- Moi : "C'était parfait , Mister President !"

dimanche 16 novembre 2014

FUNÉRARIUM

    Dans la pénombre , sous mon corps momifié , on devinait
les bords dentelés de la table à tréteaux où il reposait , et ce qui
semblait six grands cierges . Pourquoi mon épouse , mariée
depuis 72 ans avec le même homme (moi) , avait-elle prié l'en-
baumeur d'ériger six grands cierges autour de ma dépouille ?

    Mystère !

    Pour y voir enfin clair en moi ?

    Ou dans l'espoir qu'une escarbille mette le feu à la gomme de
mes bandelettes et qu'on en finisse avec ces rites d'un autre temps ?

KRANT 16 . DIEU , ENCORE

    C'était un de ces soirs annonciateurs de tempête . Des nuages chargés d'eaux
arctiques filaient à ras d'horizon contre un ciel bleu pâle . Toutes choses projetaient
des ombres géantes sur la darse n°5 jusqu'au mur des entrepôts où elles bondissaient
à la verticale . Chaque objet présentait sur sa face ouest un anormal éclat . Krant venait
vers moi , non pas avec intention mais parce que nos chemins allaient inévitablement
se croiser . Nous étions distants encore d'une quinzaine de mètres quand : "Chef …
ne vous ai-je pas dit l'autre jour que Dieu n'existe pas ?"

- Moi : "Oui , capitaine , vous l'avez dit ! … nous étions au bout du môle …"

- Krant . Il s'était arrêté de marcher pour agencer ses pensées avant que je sois près de
lui . Les boutons de son plastron étincelaient comme l'or et ses sourcils étaient un
buisson ardent . Rallumant sa pipe éteinte : "J'ai eu tort …"

- Moi . J'ai 61 ans . À cet âge , on ne plaisante pas avec l'inexistence de Dieu , vu que
s'il existe un Dieu de compassion , prêt à concéder à un marin rongé par le sel un
potager pour solde d'éternité , ce marin est preneur . Aussi dis-je : "Parce qu'Il existe ?"

- Krant , tirant deux bouffées inaugurales ; "Je n'en ai aucune idée !" . Une zone sombre
passa à toute vitesse sur la darse . "Avez-vous l'idée d'infini , chef ?"

- Moi : "Oui , bien entendu capitaine !"

- Krant : "Vous l'avez vu ?"

- Moi : "Non , capitaine , c'est impossible !"

- Krant : "On a donc l'idée de choses impossibles à voir ?"

- Moi . Le froid maintenant passait à travers ma vareuse : "… Ainsi , Dieu n'existe pas ?"

- Krant : "Je n'ai pas dit ça ; chef … ce qui existe , c'est l'idée de Dieu … mais la question
de son existence est aussi idiote que de savoir quel temps il fera ici dans trois mois …"

vendredi 14 novembre 2014

PARADIS 17 . ÉRECTION

Ève se promène toute nue dans le jardin d'Eden .
- Dieu : "Ève , tu enfanteras"
- Ève : "C'est quoi enfanter ?"
- Dieu : "C'est faire des enfants , ma chérie"
- Ève : "C'est quoi des enfants ?"
- Dieu : "C'est des petits … comme ton chaton" (Dieu lui a offert un mistigri
pour la Sainte Catherine)
- Ève battant les mains et tressautant des lolos : "Oh , chic alors ! … c'est un
nouveau jeu ! … quand c'est qu'on commence ?"
- Dieu : "Du calme , Ève ! … on a besoin d'Adam …"
- Ève . Son sourire se fige et ses lolos s'immobilisent : "Oh , flûte ! … Adam ! …
quelle barbe ! … on peut pas jouer rien qu'à nous deux ?"
- Dieu : "C'est pas gentil ce que tu dis … il a bien le droit de jouer aussi , non ? …
d'ailleurs , j'ai bricolé un système … on a besoin de lui …"
- Ève : "Ah …"
- Dieu : "Mais rassure-toi ma cocotte (Il fait un clin d'oeil) , je t'ai réservé le beau
rôle . Tu feras presque tout … Adam , c'est pour pas le vexer , tu comprends …"
- Dieu : "Adam !"
Adam entre dans la Clarté de Dieu . Il est nu sauf les bottes en caoutchouc , et il
est sale .
- Dieu : "Adam , tu as remué la terre ! … je t'ai dit trente-six fois d'arrêter ces jeux
idiots et sans avenir ! … viens ici , on va jouer avec Ève .
Dieu explique aux deux les règles du nouveau jeu : d'abord les prémisses , les car-
resses , les mots tendres , les baisers , la délicatesse , les frôlements … mais déjà
le sexe d'Adam est dressé .
- Dieu , à part Lui : "Mon Dieu (c'est Moi) , quel crétin !"

jeudi 13 novembre 2014

COTE 137 . 15 . LES CERISIERS

    Accalmie .

    Il ne pleut pas .

    Pas de pluie . Pas d'obus .

    Martial déballe son paquetage humide et suspend chaque objet au moyen de ficelles ,
fils de fer et bon équilibre aux dix mètres de barbelés qui protègent la tranchée : deux
couvertures roulées dans une toile de tente , une paire de chaussures de rechange , une
brosse à dents , un blaireau , un rasoir coupe-chou , une flasque , un fusil Lebel portant
baïonnette , un couteau , une peau de mouton , une pelle-pioche , une gamelle et ses cou-
verts , un roman écorné : "Paris en feu" par Henri Barbot , un briquet , une pipe , une
blague à tabac , un bouthéon pour les vivres de réserve , un dénoyauteur de cerises ,
un bracelet d'identification , une gourde avec sa housse moutarde , un litron de vin , un
quart en fer blanc , une boîte à savon , un havre-sac , deux musettes , une cartouchière
et 200 cartouches , 6 grenades à main et une grenade fusante , un ouvre-boîte type Le
Singe , une paire de guêtres , une pince à barbelés Peugeot , une cousette , un casque ,
des sous-vêtements , le livret militaire , une médaille en argent de Saint Gorgon , un
bidon pour le café , un mouchoir , une photo de famille , un petit carnet , un crayon à
mine , une gomme , un peigne , les bottes neuves d'Adolf (cf épis. ant .) , un jeu de
cartes , une plaque de chocolat , le masque à gaz …

    Tout cela tintait , grinçait et tintinnabulait dans l'air léger …

- Martial : "Mon capitaine , venez voir !"
- Le capitaine . Il sort de sa casemate et découvre ce que tous regardent : un serpent
insolite d'objets pourtant familiers : "Qu'est-ce que c'est que ça ?"
- Martial : "Ça , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "…………..?…………."
- Martial : "Ça , mon capitaine , c'est le barda que je me trimbale depuis Août 1914 …"
- Le capitaine . Mains dans les poches , il passe en revue le paquetage de Martial :
"Dites-moi , Martial … que vient faire là-dedans le dénoyauteur ?"
- Martial : "C'est pour me souvenir qu'il y a quelque part des cerisiers"





MOI-MÊME

   La locution moi-même implique un moi décalé
ayant la même forme que moi . Il y aurait un moi
identique mais autre . Ce même moi (n'étant pas
autrement qu'un autre) décalque un soi-même . Si
ce soi-même n'est pas moi-même , c'est un troisiè-
me autre identique à moi à partir de qui se décline
une infinité de moi(s?).

   Est-ce clair ?

dimanche 26 octobre 2014

TROIS MOUCHES 19 . A TRAVERS LA VITRE

   Berthe et moi regardons à travers la vitre trois mouches vermeilles et
merveilleuses . Elles bourdonnent contre nos chapeaux de paille . Allez
savoir ce que font dehors nos couvre-chefs !

   Merveilleux chef celui qui regarde dehors à travers la paille de son
chapeau , vermeille couverture ! : savoir ce que nous faisons Berthe et
moi - et la mouche - à bourdonner tous les trois contre la vitre …

   Qu'un chef bourdonne son savoir et Berthe et moi faisons de nos cha-
peaux une merveilleuse couverture . A travers leur paille au dehors ver-
meil , trois mouches regardent la vitre .

DESMOND 10 . PAT

Le Président m'a appelé sur une ligne cryptée … J'entre dans son bureau . Il est
debout devant la fenêtre centrale face au parc et ses mains sont croisées derrière
son dos .
- Le Président : "Asseyez-vous Desmond"
Je m'asseois . Silence .
- Le Président , toujours debout et me tournant toujours le dos : "Desmond … vous
travaillez ici depuis quand ?"
- Moi : "3 mars 1969 , Monsieur le Président"
- Le Président : "À l'incinération des documents secrets ?"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président"
- Le Président : "De quelle université sortez-vous , Desmond ?"
- Moi : "Harvard , Monsieur le Président"
- Le Président : "Quel rang ?"
- Moi : "Euh , Monsieur le Président … oui … c'est-à-dire … je suis major de ma
promotion …"
- Le Président : "Major !? … ne vous excusez pas Desmond … je suis illettré mais
j'apprécie le savoir … mais pourquoi à l'incinération ? … les Affaires Étrangères …
le Budget … l'Armée … ç'aurait été plus sexy , non ? … qu'est-ce qu'on a besoin
d'un major d'Harvard pour brûler des ragots ?"
- Moi : "Je ne sais pas , Monsieur le Président … on ne m'a pas donné d'explications …"
- Le Président : "Ça paie bien ?"
- Moi : "Je ne me plains pas Monsieur le Président"
- Le Président : "Vos cours de français … ceux que vous me donnez … c'est des extras ?"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président"
- Le Président : "C'est déclaré ?"
- Moi : "Non , Monsieur le Président"
- Le Président . Il se retourne à demi : "Du travail au noir … du black ?"
- Moi : " Oui , Monsieur le Président …"
- Le Président : "Ce n'est pas bien , Desmond … nous devons donner l'exemple au peu-
ple … question moralité , nous devons être irréprochables …"
- Moi : "Mais , Monsieur le Président , c'est vous-même qui …"
- Le Président : "Stop , Desmond , stop …"
Très-très-très long silence … very long silence .
- Le Président , dans un soupir : "Pat m'a tout raconté"
Je fonds de terreur sur mon siège .
- Le Président : "Mais je ne vous en veux pas , Desmond … je n'ai pas le temps de m'occu-
per d'elle … et vous faites ça si bien , m'a t-elle dit …"

samedi 25 octobre 2014

STÉTHOSCOPIE

   On lui offrit son premier stéthoscope à l'âge de dix ans . A dix ans ,
l'horizon est ouvert à 360° et couvert de paille sèche ; un quart de mégot
peut y ficher un feu d'une intensité qui déborde l'imagination du plus créatif
incendiaire . Son père , qui lui-même succéda à son père dans le métier ,
initia aussitôt Lucca (Lucca Santucci) à l'art de l'auscultation . Quelles
séances jubilatoires Lucca passa avec son père à traquer les bruits adventices ,
le stéthoscope Littmann aux oreilles , yeux fermés pour la concentration ! .
A quatorze ans , il n'ignorait rien des ronchus ou des râles sonores semblables
à ceux qu'on produit en soufflant dans le goulot d'une bouteille de Pastis ,
non plus des sibilances comme au dégonflage d'un ballon dont on pince
l'orifice , ou les crépitants fins qu'on peut comparer au bruit que fait une mèche
de cheveux roulée entre les doigts et les crépitants rudes qui font comme un
feu de bois pétillant ou des éclatements de grains de maïs .

   Son père ne cessait de lui seriner que c'était le plus beau métier du monde
et que ça pouvait rapporter gros . Si précocement instruit , Lucca fut dans les
années soixante le meilleur perceur de coffres-forts de la Corse du Sud .

vendredi 24 octobre 2014

KRANT 15 . AMBRE

   Alors , nous étions jeunes ; le capitaine venait d'obtenir le commandement du
Kritik . Au cours d'un cabotage inaugural (une sorte de galop d'essai) entre Baltiisk
et Smiltyné , une lame par bâbord emporta un petit canot mal amarré . Krant comptait
le récupérer sur le Curonian Spit (c'est le cordon dunaire de l'Isthme de Courlande)
à trois lieues de l'étroite passe de Memel . Le lendemain , nous partîmes à pieds nus ,
Krant et moi , avec deux moussaillons d'à peine quatorze ans et nous avions troussé sur
nos mollets nos pantalons de toile . Le canot était échoué sans une baïse à l'endroit où
Krant l'avait prédit ; pour la première fois , j'admirai son extraordinaire connaissance
des courants locaux . Pendant que les moussaillons tiraient la barque sur le sable , le
capitaine ramassa au milieu d'un tas de coquillages trois gemmes couleur miel .

   Il appela les mousses : "Vous deux ! … venez voir ! …" . Il avait un genou planté dans
le sable et les trois gemmes - sphères irrégulières - roulaient sur la paume ouverte de sa
main droite . "Savez-vous ce qu'est ceci ?" … Les gamins lâchèrent le canot et , s'ap-
prochant , ils s'écrièrent : "Anbar !" . Leurs yeux brillaient et leurs doigts étaient écartés …

- "Anbar" , répéta doucement Krant … "ou Alektron … ou Gintaras …"

   L'ambre doré , notre antique et prestigieux gisement …

- Krant : "Et d'où cela provient-il ?"
- "Les arbres pleurent " , répondit un des mousses … "trois larmes d'arbres !"
- Krant : "Qui t'a raconté pareille sornette ?"
- Le mousse : "Les femmes , capitaine !"
- Krant : "Laisse donc ces sottises aux femmes et aux enfants . Les femmes et les enfants
pleurent . Pas les conifères de Courlande !" . De l'index de la main gauche , il dérangea
l'ordre des trois nodules qui tournèrent sur sa ligne de vie . "Ceci est une résine fossile
sécrétée par Pinus Succinifera , un arbre qui poussait ici il y a des millions d'années ! …
sa densité est de 1.05 , c'est pourquoi l'ambre flotte sur l'eau salée" . Et , plongeant la
main dans la baïse , il laissa les trois gemmes en suspension sur sa paume immergée puis
il referma sur eux son poing et se leva .

   Sur le chemin du retour , Krant me dit qu'il avait chez lui (c'était la cabine spartiate qu'il
occupait depuis deux jours sous le gaillard d'avant , derrière la salle des cartes) un trichop-
tère de 40 millions d'années piégé dans un morceau d'ambre . "Nous ne sommes rien ,
Chef ! … de l'écume ! … et ces deux-là (il désigna d'un coup de pipe les deux mousses
qui tiraient devant nous le canot sur le sable) sont nés il y a trois secondes !"

mercredi 22 octobre 2014

PARADIS 16 . COQUILLAGES

   Dieu (c'était avant la chute , quand Dieu était à Sa Création) profite d'une
pause entre deux séances d'atelier ; il se promène dans le jardin d'Eden .
   Il trouve Ève allongée dans un mûrier sauvage . Ève est - de loin - sa
créature préférée .
   Elle boude (comme d'hab)
- Dieu : "Oh là , Ève … ç'a pas l'air d'aller !"
- Ève . Elle hausse les épaules : "Ben , non !"
- Dieu : "Quoi qui g'na encore ?" Avec Ève , il gâtise .
- Ève : "1,82m !"
- Dieu : "C'est trop grand ? … 1,55m ça n'allait pas la semaine dernière !"
- Ève : "65kgs ! …"
- Dieu : "1,82m - 65kgs … c'est top , Ève ! … 1,55m - 80kgs , c'était pas
terrible , je te l'accorde …"
- Ève : "non … 1,82m c'est trop grand … 65kgs , c'est trop … et mes seins
sont trop petits … et mes yeux trop ronds … et mes doigts de pieds trop écar-
tés … et mes oreilles ? … t'as vu mes oreilles !"
- Dieu . Il prend le menton d'Ève dans sa paume et le tourne une fois à droite
une fois à gauche ; les oreilles d'Ève sont à croquer : "Mais elles sont à cro-
quer tes oreilles !"
- Ève : "On peut rien accrocher dessus …"
- Dieu : "Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? … tu veux accrocher quelque
chose à tes oreilles !? …"
- Ève : "Oui … des coquillages …"
- Dieu : "Mais c'est idiot , çà ! … m'enfin , Ève !"
- Ève : "Si … j'ai envie …"
- Dieu : "Pffff ! … les vers de terre , c'était plus simple !"

mardi 21 octobre 2014

COTE 137 . 14 . RETOUR À LA MAISON

   Dix jours à l'arrière puis retour à la maison : l'enfer , notre tranchée en première
ligne , sous la cote 137 .

- Martial : "Qu'il est doux de retrouver son chez-soi !"

   Nous croisons dans le boyau d'accès la colonne des gars que nous relevons .

- Martial : "Avez-vous gardé l'endroit propre ?"

   On le regarde sans comprendre .

- L'un : "Ils nous ont attaqué ce matin"
- Martial : "Qui çà ?"
- Un autre : "Qui çà ? … ben les boches !"
- Martial : "Les boches vous ont attaqué !? … pourquoi ?"
- Le même : "Ben … ben …"
- Martial : "Qu'est-ce que vous leur avez fait ?"
- L'autre : "Ben … rien … rien …"
- Martial au capitaine , derrière nous : "Mon capitaine ! … y se sont disputés avec
les voisins ! … on peut pas laisser la maison dix jours !"

   Tac-tac-tac … une volée de balles passe à ras de nos casques … nous rentrons
la tête dans les épaules .

- Martial : "Vous les avez mis de mauvaise humeur … c'est malin ! … va falloir
renouer …"

lundi 20 octobre 2014

FAIRE DES ENFANTS

Faire des enfants . 12 novembre 7h30 du matin . Il pleut . Il fait noir .
Arielle passe la main sous la banquette avant . Elle doit se trouver là …
Ok … Ouvre la bouche , bébé ! … ouvre la bouche nom de Dieu ! …
Corentin , tu veux pas la tututte ? . Faire des enfants . Arielle vient
d'enfourner ses jumeaux (des monozygotes) Hugo et Corentin à l'ar-
rière de la Clio … pratique ! … une bagnole à deux portes ! : à genoux
entre les banquettes avant avec les fesses dans le pare-brise ! … ficeler
les lardons … où qu'elle est la sangle ? … arrête de gigoter , Corentin …
et toi , Hugo , arrête de braire ! … c'est les dents mon coco , pleure pas …
mon pauvre chéri ! … maman s'énerve . Parce que sept mois de vie pré-
natale c'est déjà trop , les deux autres brassent le liquide amniotique dans
le ventre d'Arielle coincé entre les sièges . Faut faire des enfants … où
j'ai foutu mon sac ? … tais-toi hugo ! … Le pédiatre … pas oublier le …
ton ours ? … on l'a oublié à l'appart … non , j'ai pas le temps … je vais
être en retard au boulot … pas oublier le pédiatre ce soir … 18h30 …
tu veux ta tututte maintenant ? … tu la voulais pas … dis-donc , t'aurais
pas fait caca ? Elle renifle … merde , les couches … on verra chez la
nounou … Faire des enfants … oui ? … qu'est ce qui ? … Monsieur
l'agent ? … sur quoi ? … Hugo , tais-toi ! … la voie réservée aux bus ? …
les transports en commun ? qu'est-ce que vous croyez que je fais moi ?

Arielle B. 33 ans . Corentin et Hugo , jumeaux monozygotes 18 mois .
Deux autre jumeaux en gestation depuis sept mois .

Faut faire des enfants .

jeudi 16 octobre 2014

TROIS MOUCHES 18 . LE DOCTEUR L .

   Le Docteur L. ouvrait la marche . Trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre nos chapeaux de paille . "Halte !" fit le Docteur . La jun-
gle se disloquait et nous découvrîmes un fleuve immense où plongeaient d'énor-
mes crocodiles . Mille hippopotames se vautraient sur ses berges .

   Nous longions un fleuve merveilleux ; il se vautrait entre des berges immenses .
Mille mouches ouvraient la marche . Des crocodiles disloqués nous regardaient .
"Halte !" fis-je quand un hippopotame - énorme - plongea .

   La jungle plongeait entre les berges d'un fleuve aux eaux vermeilles . D'immenses
crocodiles disloquaient le Dr L. et un hippopotame se vautrait sur son chapeau de
paille . Des mouches merveilleuses bourdonnaient . "Halte !" fis-je ; et nos mille
porteurs s'immobilisèrent .

DESMOND 9 . LES ROSES

- "Alors Desmond … comment l'avez-vous trouvée ?"
C'est le Président , à la porte de son bureau .
- Moi : "Euh … de qui parlez-vous , Monsieur le Président ?"
- Lui : "De qui je parle !? … ah , ah , excellent , Desmond ! … vous dînez à la droite
de la plus belle femme du monde … hier soir … et : " de qui je parle ? " … ah , ah ! …"
- Moi : "Madame Bescherelle ?"
- Lui : "Desmond ! … pas la Bled …"
- Moi : "C'est une fille intelligente …"
- Lui : "Madame Bescherelle ? … intelligente ? … vous êtes sûr … je n'ai pas remarqué …
mais … pour le reste ? …"
- Moi : "Très bien , Mister President …"
- Lui : "Très bien ! … très bien ! … mais encore , Desmond ? … enfin , ses … (le Président
fait un geste pour "nichons") … et son … (le Président fait un geste pour "cul") … ses …
(le Président fait un geste pour l'ensemble) … Desmond , vous n'allez pas me dire que …"
La sonnerie du téléphone rouge l'interrompt :
- Le Président : "Just a minute , Desmond" . Il rentre dans son bureau et décroche : "Allo ?
who's there ? … Georges ! … come va ? … si … si … les changes flottants ? … je suis
occupé , Georges … je vous rappelle … embrassez la grande … embrassez Claude pour
moi … bye ! …"
Le Président revient vers moi : "Qu'est-ce que je disais ?"
- Moi : "Madame Bescherelle , Monsieur le Président"
- Lui . Il tombe à genoux sur la moquette , joint les mains et sourit blissfully (le terme fran-
çais est "béatement" , je pense) : "Céline !"
- Moi : "Cécile , Monsieur le Président … Cécile is her firstname"
- Lui , à genoux et stunner (en français : "catastrophé" , il me semble) : "are you sure ?"
- Moi : "Most certainly , Mister President"
- Lui , pallid ("livide" , in french ?) : "But , it's ghastly ! (abominable)"
- Moi : "What happened , Mister President ?"
- Lui , prostrate (effondré ?) : "Je lui ai envoyé 2000 roses !"
- Moi : "Super , Mister President !"
- Lui , se relevant : "Desmond , immediatly ! … amenez-moi le fleuriste dead or alive …
my god … chaque rose , Desmond , avec un carton … 2000 cartons … "A Céline , ton
Dixie" ! … Desmond … I'm desparate !"