En septembre , nous assistâmes à un combat aérien .
- "Morane Saulnier" dit Martial . C'était un avion facile à reconnaître avec son aile
haute et son fuselage arrondi .
- "Morane MS 27 C1" dit encore Martial … "Moteur rotatif Gnome 160 cv"
Le français passait à 100 m de notre tranchée quand un allemand déboucha du
nuage .
- Martial : "Fokker D VII … moteur en ligne refroidi par liquide … une merveille …
deux mitrailleuses Spandau …"
- Le capitaine : "Vous vous y entendez Martial en aéronefs !"
- Martial : "Je m'intéresse mon capitaine … notre gars n'a aucune chance … le Morane
est un veau … autant l'autre est maniable"
- Le capitaine , vissé à ses jumelles : "Vous pilotez ?"
- Martial : "Piloter ?" … Il regarda ses deux bottes enfoncées dans la craie semi-liquide .
"Est-ce que j'ai l'air de voler , mon capitaine ?"
L'allemand s'était mis dans la queue du Morane . Notre compatriote , pour échapper
à son feu , partit en chandelle , looping … un as … et nous fit la panoplie de l'acrobatie
pour se retrouver dans le sillage du boche . Un hourrah d'un kilomètre courut d'un bout
à l'autre des boyaux français .
- Martial : "Sa mitrailleuse s'est enrayée !"
Les deux adversaires passèrent en trombe au ras de la tranchée , le français touchant
presque l'aileron de l'allemand .
- "Mais tire donc !" hurlait Bertin .
- "Sa mitrailleuse s'est enrayée ! " criait Martial .
L'allemand partit en tonneau , imité par le français à moins d'une encablure . Ils se
perdirent dans le nuage qui surplombait le champ de bataille depuis tant d'années . Nos
visages étaient tournés vers le ciel et , comme il est écrit dans l'Évangile quand le Seigneur
prend la parole , il se fit un grand silence . Les deux vrombissaient très haut ; ils se
cherchaient .
Ils déboulèrent par l'est , côte à côte . Quand ils passèrent sur nous , un coup de feu
retentit . C'était Bertin . Le Fokker abandonna la trajectoire du Morane , il hoqueta tout
en montant et disparut à nouveau dans la brume . Le français avait viré sur l'aile pour
quitter le front , mitrailleuse en berne . Nous entendions au-dessus de nos têtes , l'alle-
mand tousser comme un tuberculeux puis il se tut .
- Le capitaine : "Vous avez tiré , Bertin ?"
- Bertin , honteux : "Ben oui , mon capitaine … j'ai pas pu m'empêcher … ça m'a pris
comme ça …"
- Le capitaine : "Grand dieu , Bertin … vous l'avez touché…"
Le Fokker tomba du nuage , en vrille malsaine avec réservoir en feu . Il s'écrasa
derrière la cote 137 . La victoire aérienne de ce pauvre Bertin fut homologuée . Seul
poilu du secteur dans le tableau de chasse . Trois jours plus tard , notre Leonard de
Vinci du café noir se faisait tuer .
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