vendredi 31 juillet 2015

KRANT 37 . OPALKÖST 1

    On sait que le capitaine Krant était peu enclin à quitter son bord . Or , chaque année ,
au mois de juillet ou au mois d'août , nous débarquions du bois de construction dans un
port français au nom imprononçable pour un marin letton : Boulogne … Boulogne Am
Maar … et quelques heures avant d'embosser le Kritik dans la darse Sarraz-Bournet , près
du môle ouest , Krant convoquait les cinq ou six mousses de l'équipage et leur ordonnait
de se tenir prêts pour une sortie à terre . Monsieur Lee préparait un en-cas qu'il fourrait
dans un sac de marin . J'accompagnais le capitaine en qualité d'intendant de fortune ; je
n'aurais laissé ma place à personne mais - à dire vrai - je n'avais pas à la défendre car il
s'agissait de marcher et un marin débarqué est une sorte de gastéropode dont le pied
adhère au zinc d'un bar et laisse sur les chopes de bière une bavure sinueuse .

    Nous contournions le bassin du port de pêche puis nous passions sous les remparts de
la ville haute , pressés de retrouver la mer . Nous débouchions sur une plage qui étalait
ses sables humides à perte de vue .

    Là , (insolite déchaussement) Krant délaçait ses souliers , troussait le bas de son pantalon
et découvrait deux mollets musclés et incompréhensiblement halés . Notre troupe -
incurables hommes de mer - rejoignait la frange de sable où des vaguelettes mourantes
léchaient nos pieds . C'était une troupe turbulente : Krant et moi marchions côte à côte et
parlions peu , mais les mousses s'égayaient et revenaient vers nous , criant et riant , comme
un vol de mouettes acharné à nettoyer un chalut . Ils ramassaient des coquillages et les
montraient à Krant et Krant , sans s'arrêter , leur donnait un nom : bernicle , patelle ,
pourpre , buccin , couteau ,vignot , moule , pholade … et les gamins , sautillant et jetant
les coquillages à peine baptisés , criaient : "bernacle ! … patelle ! … pholade ! …"

    Nous passions le petit bourg de Wimereux puis la pointe des oies , jusqu'à un cap
appelé par les indigènes "Nez- Gris". Passé ce banc rocheux soufflé d'embruns , nous
filions à bon pas sur une plage bordée de dunes . Krant pointait sa pipe vers les côtes
anglaises et les gosses , toujours sautant et toujours infatigables , criaient : "England ! …
England ! …"

                                                       (à suivre)

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