mardi 31 décembre 2019

TROIS MOUCHES 176 . NOUVELLES DU PARADIS : L'AMBULANCE

    Le chauffeur ferma les portes et prit place au volant . Berthe resta plantée au bord
du trottoir , presque au garde-à-vous , les bras le long du corps . Trois mouches vermeilles
et merveilleuses bourdonnaient contre son chapeau de paille . Elle fixait d'un air songeur
l'ambulance qui repartait lentement .

    Le chauffeur songeait au corps de Berthe et à son chapeau de paille . Il fixait ses longs
bras vermeils quand elle prit sa place au volant . Presque au garde-à-vous , il ferma les
portes de l'ambulance qui , lentement , repartait . Il resta , planté là .

    Sous les pailles vermeilles de son chapeau , plantée presque au garde-à-vous , Berthe
ferma lentement sa porte . Trois mouches bourdonnaient dans l'air le long de son corps .
Comme l'ambulance restait fixée contre le trottoir , elle songea à prendre place au volant
et repartir dans les bras de son merveilleux chauffeur .

samedi 28 décembre 2019

PAISIBLE HALIFAX

    Mes grands-parents paternels habitaient à Dartmouth , près d'Halifax en
Nouvelle-Écosse . Le 5 décembre , nous avions dormi chez eux . Le lendemain
matin , vers 8h ,  mon père m'a emmené voir les bateaux sur le port . J'étais sur
ses épaules . Il faisait froid .  Comme j'apprenais à lire , mon père m'a demandé
si j'étais capable de dire le nom des  cargos qui se trouvaient accostés de l'autre
côté des Narrows : le "Graville" , le "Rochambeau" , le "Marie Galante" et d'autres
qui manoeuvraient : le "Stella Maris" , un remorqueur qui remontait le chenal en
tirant deux barges , encore un cargo : le "Clara" … il y  en avait un qui quittait le port ,
un gros cargo avec quatre mâts , l'"Imo" . "Tu as vu le  drapeau" , dit mon père ,
"c'est un norvégien" . Plus loin , sur la mer , il y en avait d'autres ,  qui relâchaient
hors du port . "Regarde , il y a un bateau français … un steamer … comment s'appelle-
t-il ?" . Il était loin mais il venait vers nous . J'ai eu du mal à lire son nom :  le "Mont-
Blanc" , m'exclamai-je joyeusement . Mon père : "Tu sais ce que c'est le Mont Blanc ?" .
"Non" . "C'est une très haute montagne en France … la plus haute !" . Le  "Mont-
Blanc" , lentement , faisait mouvement pour entrer dans le port . Nous nous sommes
assis sur un banc , Papa et moi . "Ils vont se croiser" , dis-je . "Oui" , opina mon père :
"l'un sort et l'autre rentre" . Pendant dix minutes , nous avons regardé les deux cargos .
Ils se rapprochaient , ils allaient se croiser . "Tiens" , dit Papa, c'est bizarre … pourquoi
le  norvégien passe à bâbord ? … ils vont … ils vont vraiment passer très près l'un de
l'autre …" . C'est alors que l'"Imo" a stoppé ses machines et qu'il a actionné sa sirène .
"Il n'a pas l'air content" a dit Papa en se soulevant légèrement du banc . Le "Mont-
Blanc" est arrivé à la hauteur de l'"Imo" . Il y a eu un grand bruit et une gerbe d'étin-
celles . Papa a jailli du banc : "Dieu du ciel , ils se sont touchés !" . Je suis resté assis .
Des flammes se sont élevées . Les gens sur le rivage se sont arrêtés . Des marins
couraient sur le pont des deux navires . Une colonne de fumée noire montait du pont
du "Mont-Blanc" . L'"Imo" essayait de s'écarter . Les habitants de Dartmouth sortaient
de chez eux et s'attroupaient sur le rivage . Les marins du "Mont-Blanc" ont mis deux
canots à l'eau et ils se sont mis à ramer à toute vitesse vers la côte . Le "Mont-Blanc"
a dérivé pendant vingt minutes . On l'a vu s'éloigner sous son énorme panache vers
Richmond où il a percuté un quai . Je me suis enfin levé de mon banc . Quelqu'un a
dit : "Il a touché le quai n° 6" . J'ai rejoint mon père qui discutait avec d'autres hommes
et , au moment où j'allais prendre sa main , l'air est devenu transparent , il s'est enflammé ,
mes tympans ont éclaté …

    Quand je suis revenu à moi , l'air brûlait . J'étais tout nu et couvert de suie . Dartmouth
et Richmond se consumaient . Le ciel rougeoyait . Papa était à côté de moi , coupé en
deux et j'avais dans le corps cent esquilles d'acier et de verre . A 9h , 4mn et 35s ,
le 6 décembre 1917 , le "Mont-Blanc" chargé de 2400 tonnes de TNT , fulmicoton et
acide picrique venait d'exploser . Il s'était vaporisé . L'une de ses ancres pesant plus
d'une tonne fut retrouvée à quatre kilomètres du port .

    3000 morts . 9000 blessés . 160 hectares de ville détruits .

vendredi 27 décembre 2019

KRANT 190 . WATA-HEPI

- Monsieur Lee : "Ainsi les Okakis vous auraient donné le nom de Wata-Hepi"
- Moi : "……?……"
- Monsieur Lee : "Ce qui signifie : Sur-le-Bateau"
- Moi : "……?……"
- Monsieur Lee : "Réfléchissez , chef … c'est le seul nom possible !"
- Moi : "……?……"
- Monsieur Lee : "Vous viviez avec Papa et Maman sur un lopin de terre … mais il vous
fallait gagner votre pain …"
- Moi : "…………."
- Monsieur Lee : "Vous vous êtes donc embarqué sur le Kritik … quoi faire d'autre ?"
- Moi : "…………."
- Monsieur Lee : "Chef … Quoi faire d'autre qu'embarquer ?"
- Moi : "…………."
- Monsieur Lee : "Wata-Hepi ! … cela vous va très bien , chef ! … hi , hi , hi …"

mercredi 25 décembre 2019

AUDIENCE PONTIFICALE 9

    Audience pontificale ! … la neuvième … je commence à connaître les habitudes
vaticanes . Désormais , on me connaît là-bas . Les Gardes Suisses ne me croisent plus
les hallebardes devant le nez .  Je les appelle par leur prénom : Martin , Andreas , Roland
… je leur tape sur l'épaule . Il est 7 heures . Soleil radieux sur Rome . Et le Saint-Père
a l'air en forme !

- Moi : "Saint-Père , vous m'avez l'air en super forme !"
- JPII : "Tu l'as dis , mon fils … du feu de …"
- Moi : "Ça tombe bien : j'ai quelques questions"
- JPII se rembrunit : "Des questions ?"
- Moi : "Oui … une ou deux …"
- JPII : "Une ou deux ?"
- Moi : "Au moins une"
- JPII se penche : "J'écoute mais fais vite"
- Moi : "Euh … c'est-à-dire … ça demande un développement"
- JPII : "Mon temps est compté , mon vieux … essaie de synthétiser"
- Moi : "C'est à propos des mystères"
- JPII : "Une question à propos des mystères ?"
- Moi : "Oui"
- JPII : "C'est paradoxal … vas-y … je t'écoute"
- Moi : "Est-ce que ..."
- JPII m'interrompt : "Quelle heure as-tu ?"
- Moi : "7h12"
- JPII : "7h12 !? … es-tu sûr ?"
- Moi : "Sûr et certain : 7h12 et 25 secondes"
- JPII se redresse vivement : "Bonté divine ! … mes deux gélules de Levodopa !"

DESMOND 123 . TROCTOLITE 2

    Avec le Président , Kissinger et Maryline dans le Bureau Ovale . Un caillou est
posé sur le Wilson Desk . Il s'agit d'une roche lunaire ramenée de notre satellite par
Cernan et Schmitt (Apollo 17) .

- Le Président : "Maryline , vous allez m'emballer ce caillou dans un papier cadeau …
avec un ruban … vous avez ça ?"
- Maryline : "Oui , Monsieur le Président … j'ai quelques rouleaux dans mon bureau" .
Elle sort avec le caillou .
- Kissinger : "Euh … Monsieur le Président … vous allez offrir cette roche lunaire ?"
- Le Président : "Oui , Henry … ce caillou , je vais le donner"
- Kissinger : "C'est une roche magmatique , extraite par Schmitt dans la vallée du
Taurus-Littrow sur la bordure sud-est de la Mer de la Sérénité ! … c'est de la troctolite ,
Monsieur le Président … cette pierre coûte des millions de dollars au contribuable …
vous allez la donner !?"
- Le Président : "Vous êtes bien radin , Henry … c'est pour un ami"
- Kissinger : "……….?…….. pour un ami !? … un ami proche ?"
- Le Président : "A vol d'oiseau et à vue de nez : 8000 kms"
- Kissinger : "Moscou ?"
- Le Président : "Henry , on ne peut rien vous cacher ! … vous savez que Leonid est
mon ami"
- Kissinger joue la carte diplomatique ; "Monsieur le Président … si je puis me permettre
… je doute qu'il apprécie … vous savez , la course à la lune … le crash de Luna 15 en
1969 …"
- Le Président : "Je sais tout cela , Henry … it's a joke , une taquinerie … Leonid a de
l'humour"
- Kissinger , sombre : "J'en doute , Monsieur le Président … et le Politburo en a moins
encore"
- Le Président : "Vous pensez que je dois m'abstenir ?"
- Kissinger : "Je le pense sincèrement , Monsieur le Président"

    Sur ce , Maryline revient . Elle a emballé le caillou dans un joli papier argenté entortillé
de bolduc rouge .

- Le Président : "Vous êtes une as , Maryline"
- Maryline : "Oh , merci Monsieur le Président !"
- Le Président : "C'est bientôt votre anniversaire , Maryline ?"
- Maryline : "Oh , non !"
- Le Président : "Tant pis … je vous fait d'avance ce cadeau … vous trouverez bien une
place sur la cheminée de votre studio pour poser ce caillou … c'est de la … de la …
comment dites-vous , Henry ?"
- Kissinger : "De la troctolite … et ça coûte pas mal d'argent !"
- Le Président : "Oui , Henry … vous l'avez dit : quelques millions de dollars …
prenez-le Maryline … il est à vous … je ne vois pas comment un caillou peut coûter
ce prix-là !"

lundi 23 décembre 2019

DESMOND 122 . TROCTOLITE 1

- Le Président au téléphone . Il est de très bonne humeur : "Ah , Desmond ! … je vais
vous en raconter une bien bonne ! … montez dans mon bureau , voulez-vous …"

    Dans son bureau privé . Le Président lit le Washington Post . Il le replie et , guilleret ,
de sa main aux longs doigts fins , il m'invite à m'asseoir.

- "Ils sont râvis !"
- Moi : "Euh , Monsieur le Président … de qui parlez-vous ?"
- Lui : "Mais de Georges , bien entendu … Georges et Claude … ils sont râvis !"
- Moi : "Je … je suis content de l'apprendre … mais …"
- Lui , interdit , écarte les bras : "Mais quoi , Desmond !? … à leur place , vous ne seriez
pas enchanté ?"
- Moi : "Si … probablement … mais à quel propos ?"
- Lui s'énerve un peu : "Desmond ! … à propos du caillou ! … vous n'êtes pas au courant ?"
- Moi : "Monsieur le Président … je … quel caillou ? …"
- Lui : "Le caillou d'Harrison … de quel caillou voulez-vous que je parle !?"
- Moi . Je bafouille : "Le caillou d'Harrison ? … Harrison …"
- Lui s'impatiente : "Harrison … le géologue"
- Moi : "Monsieur le Président … veuillez m'excuser … Harrison ? … son caillou ? …"
- Lui est consterné : "C'est dingue , Desmond ! … vous ne lisez pas les journaux ? …
vous ne regardez pas la télé ? … vous n'écoutez pas la radio ? "
- Moi : "Si … parfois …"
- Lui : "Parfois !? … c'est votre petite amie qui prend tout votre temps ?"
- Moi , je nie bêtement : "Non … non …"
- Lui : "Harrison Schmitt , le géologue d'Apollo 17 … vous savez que nous sommes allés
sur la lune , Desmond …" . Puis , sarcastique et mécontent : " … ou vous êtes le dernier
humain à l'apprendre ?"
- Moi : "Ah , oui … euh … Schmitt ..."
- Lui : "Schmitt a ramassé des cailloux sur la lune … vous voyez ce que c'est des cailloux ?"
- Moi : "Oui … oui … des roches lunaires"
- Lui : "Bon … des cailloux quoi ! … j'en ai donné un à Georges Pom … Pimpi …
son nom est ? …"
- Moi : "Pompidou , Monsieur le Président"
- Lui : "Ils sont fous de joie … Georges ne sait pas comment me remercier … la Grande
Claude m'a embrassé au téléphone ! … je ne comprends pas ce qu'ils ont tous avec ces
cailloux ! … Georges va le mettre dans son Palais … je ne savais pas qu'il avait un Palais
… 25000m2 !! … rendez-vous compte , Desmond : 25000m2 !"
- Moi : "Ça doit être le Palais de la Découverte , Monsieur le Président"

dimanche 22 décembre 2019

COTE 137 . 142 . RAMA VI

    Comme souvent , Martial est plongé dans un journal . C'est l'une de ses postures
coutumières : assis près de la cagna du capitaine sur un sac de sable ou sur tout siège 
improvisé lui permettant de garder son cul au sec , genoux écartés , coudes appuyés 
sur les cuisses , journal largement déployé . Sil pleut (il pleut) , il tire sa capote au-
dessus de sa tête , comme un auvent . Ce qui fait de Martial , en plus de ses multiples 
rôles , une inépuisable gazette .

- Martial , au capitaine , lui aussi dans une figure quotidienne , observateur binoculaire 
de la Cote 137 : "Mon capitaine , réjouissons-nous !"
- Le capitaine , sans lâcher ses jumelles : "Vous avez de bonnes nouvelles ?"
- Martial : "Au moins une …"
- Le capitaine , appuyé sur le parapet , écarte ses jumelles et se retourne à-demi : 
"Ah bon ! … une bonne nouvelle ? … dites toujours …"
- Martial : "Rama VI est avec nous"
- Le capitaine : "Qui ?"
- Martial : "Rama VI … vous ne le connaissez pas ?"
- Le capitaine : "Non"
- Martial : "C'est un ami"
- Le capitaine : "Un de vos amis ?"
- Martial : "Mon capitaine ! … Rama VI est un roi , et je n'ai pas de roi dans mes 
connaissances ! … c'est le Roi du Siam"
- Le capitaine : "Que nous veut-il ce roi ?"
- Martial : "Du bien … vous savez où se trouve ce pays ? … le Siam ?"
- Le capitaine : "Euh … pas exactement … en Asie du sud-est , je pense"
- Martial : "Le Roi nous envoie 1284 volontaires et 95 pilotes"
- Le capitaine : "Des pilotes siamois !?"
- Martial avise le capitaine par-dessus le journal qu'il a à-demi aplati sur ses cuisses : 
"Oui , des Siamois … pas des bretons … vous pensez que les Siamois ne savent pas 
voler ?"
- Le capitaine : "Non … non … les Siamois sont probablement capables de voler … 
encore faut-il avoir des aéroplanes !"
- Martial : "Ils n'en ont pas ?"
- Le capitaine : "J'en doute"
- Martial reprend sa lecture : "Le journal ne dit pas s'ils viennent avec leurs aéroplanes 
… on leur en prêtera"
- Le capitaine : "Notez cependant , Martial , que piloter ça s'apprend"
- Martial saisit son Lebel posé contre le parados : "Notez , mon capitaine , qu'avant la 
guerre , je ne savais pas me servir de ça"
- Le capitaine a repris son observation .
- Martial : "Avant la guerre , je chassais le canard dans le marais , derrière chez moi … 
avec une fronde"

samedi 21 décembre 2019

PARADIS 123 . 6 AOÛT

- 6 août . 2h35 . Tinian . Dieu est à son poste d'observation : "C'est pas vrai
qu'ils vont le faire !"
- Adam est à la porte de l'Atelier . Il est venu montrer à son Créateur sa dernière
invention , une avancée technologique incontestable : l'arc . "De qui tu parles ?"
- Dieu : "Des américains"
- Adam : "Les quoi ?"
- Dieu lève la main : "Tais-toi ! … c'est très grave"
- Adam : "Tu veux pas voir ce que j'ai inventé ?"
- Dieu , par égard pour sa Créature : "Tu as inventé quelque chose ?"
- Adam , fièrement brandit son arc : "Ça"
- Dieu : "Qu'est-ce que c'est ?"
- Adam : "Un arc"
- Dieu : "A quoi ça sert ?"
- Adam : "Avec ça , je lance des flèches"
- Dieu : "Bon , Adam , une minute … je suis occupé … c'est sérieux"
- Adam : "……..?………"
- Dieu . 3h10 : "Ils ont armé Little Boy ! . Ils ne vont quand même pas … non …
ça n'est pas possible ! … qu'est-ce que j'ai fait !?"
- Adam : "Quoi ? … qu'est-ce que t'as fait ?"
- Dieu tape du poing sur la table : "Une prouesse stupide ! … j'ai créé l'Homme , Adam !"
- Adam : "Tu veux que je fasse une démonstration ?"
- Dieu , rivé à son observation : "Une démonstration de quoi ? "
- Adam : "Mon arc … je voudrais que tu voies ce que je suis capable de faire"
- Dieu : "Plus tard , Adam … plus tard …"
- Adam : "Tu vas voir , c'est chouette"
- Dieu : "Où vont-ils ? … dans quel coin de mon Paradis vont-ils jeté leur saloperie ?"
- Adam s'approche de Dieu avec son arc et son carquois , il regarde par-dessus l'épaule
du Créateur : "Qu'est-ce que tu regardes ?"
- Dieu : "Je … je ne regarde pas … je … non … je ne peux rien faire ! … c'est trop tard
… je ne veux pas voir ça !"
- Adam saisit une flèche et bande son arc .
- Dieu . 9h : "Hiroshima ! … ils ont choisi Hiroshima !"
- Adam : "Regarde !"
- Dieu . 9h15mn15s (8h15 à Hiroshima) : "Les portes de la soute ! … ils ont ouvert
les portes de la soute ! … non ! … ils l'ont larguée !!!!"
- Adam libère sa flèche . Elle traverse l'Atelier en sifflant . Elle se fiche dans le plan
de la Création punaisée sur le mur : "Dans le mille !"
- Dieu laisse tomber son front sur le plateau de l'établi : "Ils l'ont fait !"

vendredi 20 décembre 2019

L'AUTOMNE 6

Confessez-vous
Ô femmes
Aux prêtres de l'automne …

Qu'avez-vous fait ?
Quels péchés ,
Quelle affreuse trahison ?
Avouez !

Peut-être
Nous vous pardonnerons .

Peut-être …
Si , toutefois ,
Vous faites pénitence .

Ego te absolvo
In nomine patris ...

jeudi 19 décembre 2019

TROIS MOUCHES 175 . AUTRES NOUVELLES DU PARADIS

    Suis resté à la maison ce soir et ai mis à réchauffer une barquette de cannellonis
que j'ai trouvée dans le congélateur de Berthe . Pas assez longtemps , cependant ,
ou peut-être que la température du four n'était pas suffisante . Trois mouches vermeilles
et merveilleuses bourdonnaient contre mon chapeau de paille . Toujours est-il que les
cannellonis étaient inégalement cuits .

    C'était un soir merveilleux , comme toujours . La maison bourdonnait de mouches .
Berthe s'était mise à réchauffer trois barquettes de cannellonis qu'elle avait trouvées dans
le congélateur . Les cannellonis cuisaient dans le four . La température était suffisante
mais pas assez cependant et , longtemps , ils étaient restés inégalement vermeils comme ,
peut-être la paille de mon chapeau .

    Berthe avait trouvé une barquette . Mais comme la température était celle d'un four ,
nous nous sommes mis à cuire ; et cependant , c'était le soir . Toujours est-il que nous
sommes restés à la maison , à réchauffer longuement les cannellonis du congélateur .
Trois mouches , peut-être pas assez émerveillées par nos chapeaux de paille , bourdon-
naient inégalement .

mercredi 18 décembre 2019

LA PHOTO DE MARIAGE

    A 4 ans , j'ai pris conscience que les deux personnages de la photo en noir et blanc
posée sur la commode du salon dans un cadre en acier , c'était mes parents . Mes parents
le jour de leur mariage . Ma mère était assise sur quelque chose qu'on ne voyait pas à
cause de sa longue robe blanche . Au drapé de sa robe , on devinait qu'elle avait croisé
les jambes . A sa gauche un panier plein de roses était posé ; derrière , contre le mur ,
d'autres roses surélevées sur un meuble bas qu'on ne voyait pas non plus , d'autres roses
encore sur un guéridon en fer forgé , à gauche de la photo . Dans les mains de ma mère ,
un petit bouquet des mêmes roses et , sous son voile en mousseline , dans ses cheveux ,
une guirlande de roses blanches , blanches , blanches . Le mur du fond était blanc lui
aussi , mais légèrement cassé . Un éclat de soleil - c'était peut-être la lumière d'un réflec-
teur - y projetait la géométrie confuse d'une fenêtre et le piétement anamorphosé du gué-
ridon . Le sol était gris , était-ce du marbre ? , parsemé de ce qui me semblait des pétales
fanés , et se réverbérait là , la blancheur virginale de la robe . Le regard de ma mère
flottait . Il ne focalisait sur rien : ni sur la chambre noire du photographe ni sur quelque
autre personne ou aide qui eut pu se trouver près de lui . Au contraire , son regard se
disloquait . Elle ne souriait pas . Il y avait bien entendu sur cette photo une tache noire
négative : mon père . Lui non plus ne souriait pas . Il se tenait debout à côté de ma mère ,
de trois-quarts , le bras droit le long du corps , comme au garde-à-vous . Et , dans la main ,
une paire de gants . Ses yeux - gris sur la photo , je savais qu'ils étaient en réalité bleu
pâle - convergeaient vers un point derrière le photographe , à travers le photographe ,
à travers la porte du studio , à travers la ville de X , filaient sur la corniche atlantique
jusque dans le salon de notre maison . Ils fondaient de haut : du marbre gris de la com-
mode sur cette chose insignifiante et cependant préoccupante : moi .

KRANT 189 . PRÉDESTINATIONS

    Monsieur Lee me dit un jour qu'il avait aimé une jeune fille okaki . Nous étions
assis dans sa cambuse , sur la coursive bâbord . Hume dormait en rond à nos pieds .

- "Comment s'appelait-elle ?" , osai-je lui demander . "Quel était son nom ?"
- Monsieur Lee : "Ha'Psti"
- Moi : "Comment traduisez-vous ce joli prénom en prussien ? … est-il possible de
le traduire ?"
- Monsieur Lee : "Sous-le-cocotier …"
- Moi : "Sous-le-cocotier ? … est-ce un nom ?"
- Monsieur Lee : "Elle avait deux amies : Wihake et Tat-Co"
- Moi : "Wihake et Tat-Co"
- Monsieur Lee : "Orée-du-bois et Au-milieu-du-fleuve"
- Moi : "Quels curieux prénoms ont vos Okakis !"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi …"
- Moi : "Qui les choisit ?"
- Monsieur Lee : "Personne"
- Moi : "……..?………"
- Monsieur Lee : "Ha'Psti ne pouvait s'appeler autrement que Ha'Psti … Sous-le-cocotier"
- Moi : "………………."
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi … Wihake était Wihake bien avant sa naissance …
et Tat-Co , Tat-Co"
- Moi : "………………."
- Monsieur Lee : "Ha'Psti est du clan Awak … son père est pêcheur … sa mère est
une Kô … son nom est Tiki-Dô … Sous-un-nuage … et le grand-père de Tiki-Dô ,
Kâ-Lana … A-l'avant-de-la-pirogue … il vivait sur le fleuve … comprenez-vous ,
chef ? … c'est pourquoi Ha'Psti ne pouvait porter d'autre nom que Ha'Psti …
Sous-le-cocotier"
- Moi : "………………."
- Monsieur Lee : "Quelle malséance qu'on l'eût appelée Wihake … Orée-de-la-forêt !
… quelle absurdité ! … quelle incohérence ! …"
- Moi : "………………."
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi …"

mardi 17 décembre 2019

COREOPSIS GRANDIFLORA

- Madame Delplanque au téléphone : "Coreopsis Grandiflora … connaissez-vous
le langage des fleurs ?"
- Moi . Je fais l'idiot : "Les fleurs parlent ?"
- Elle : "Ne faites pas l'idiot … elle parlent à notre place … par exemple , si vous
offrez des zinnias à une dame , ça signifie que vous pensez à elle … du trèfle blanc ,
qu'au contraire vous aimeriez qu'elle pense à vous … par de la menthe poivrée ,
vous exprimez la chaleur de vos sentiments , etc …"
- Moi : "Vous croyez à ces trucs-là ?"
- Elle , après un moment , soupire : "Non"
- Moi : "Donc , ne perdons pas de temps à apprendre le langage des fleurs"
- Elle : "…………"
- Silence . Avons-nous été coupés ? . Moi : "Allo ?"
- Silence encore et , au moment où j'allais raccrocher , comme si elle appelait de
l'hémisphère sud : un "Je suis là" défaillant .
- Moi : "Vous êtes bizarre … vous n'êtes pas comme d'habitude … qu'est-ce qui
se passe ?"
- Elle soupire une deuxième fois : "Je vous parlais de Coreopsis Grandiflora"
- Moi : "Ne me dites pas que vous avez pris des billets pour une de ces jungles infectes …"
- Elle : "Non … Coreopsis Grandiflora , c'est au Canada … j'ai pris un aller-retour
pour vous … et j'ai retenu une voiture - une Opel comme d'habitude - à l'Agence
Hertz … l'Agence se trouve à l'Aéroport Jean Lesage . La fille m'a dit qu'elle vous
donnera toutes les informations sur Coreopsis"
- Moi : "Comment !? … j'y vais tout seul ? … vous ne venez pas ?"
- Elle . Petite voix tout à fait inhabituelle : "Non … pouvez-vous m'envoyer un
bouquet de ces fleurs quand vous les aurez cueillies ? … ça me ferait plaisir"
- Moi : "Hein !? … par avion !?"
- Elle : "Oui … ça peut se faire"
- Moi : "Mais !!?? … pourquoi ?"
- Elle : "N'oubliez pas que les fleurs parlent"
- Moi : "Et qu'est-ce qu'elle dit Coreopsis Grandiflora ?"
- Elle : "Je suis fou de vous !"

dimanche 15 décembre 2019

SANTA ISABEL

    Santa Isabel s'enorgueillit d'une église démesurée . Je veux dire que , pour cette
ville dépeuplée du Pampeano Ouest , elle est hors de proportion . Le dimanche ,
bien que la quasi-totalité de la population en âge de croire en l'existence de Dieu et
de célébrer sa gloire se presse à l'Office , la nef est aux trois-quarts vide et la Parole
évangélique , par la voix excessivement aiguë du Padre Quinteros , se perd dans
ses architraves . Démesurée et surréaliste parce que les masures qui l'entourent se
sont agglutinées sur ses contreforts en dehors de tout contrôle et de toute raison ,
avec leurs basses-cours et leurs bétails ; et ce sont des caquetages et des meugle-
ments qui font contrepoint aux sublimes accents des Ave Maria car - il convient de
le noter - le Padre Quinteros compte parmi ses ouailles les choristes les plus doués
de la Pampa . Je ne parle pas des monceaux de foin entassés sur le parvis avec les
résidus générés par les activités agricoles et les rongeurs de toutes espèces qui vont
avec . Tout ceci n'entame en rien la ferveur des paroissiens de Santa Isabel , bien
au contraire .

DESMOND 121 . NOUVEAU CABINET

- "Desmond !" . C'est le Président . Il m'appelle de son bureau privé :
"J'ai ici ,  sur mon bureau , une note de service … elle émane d'un certain Moynihan …
Daniel P. Moynihan … vous connaissez ?"
- Moi : "Euh … ça doit être un Sénateur , Monsieur le Président … démocrate"
- Lui : "Il prétend que je n'ai pas nommé assez de femmes au Gouvernement"
- Moi : "Trois , Monsieur le Président"
- Lui : "Oui … trois … il en faut plus !"
- Moi : "Euh … oui … comment ?"
- Lui : "Vous allez organiser une réunion à la Maison Blanche … c'est vrai :
il nous faut des femmes !"
- Moi : "Moi , Monsieur le Président ?"
- Lui : "Desmond ! … vous êtes jeune , vous êtes mignon , vous allez plaire à
ces dames !"
- Moi : "Ces dames ? … quelles dames dois-je …"
- Lui : "Pas de panique , mon vieux … j'ai dressé une liste"
- Moi : "……….."
- Lui : "Vous avez de quoi noter ?"
- Je prends un bloc . Un stylo … : "Oui , Monsieur le Président"
- Lui : "Bon … voilà la composition du nouveau Cabinet"
- Moi : "……?…."
- Lui : "Au Trésor : Raquel Welch … elle va faire des merveilles au Trésor !"
- Moi : "….!!?? …"
- Lui : "A la Défense : Ursula Andress … vous l'avez vue dans "James Bond contre
Docteur No ?"
- Moi : "…!!!???…"
- Lui : "A l'Éducation : Élizabeth Taylor … c'est une intellectuelle"
- Moi : " ..??????…"
- Lui : "Fahrah Fawcett à l'Intérieur , Jane Fonda à l'Agriculture , Faye Dunaway
au Commerce , Jessica Lange aux Transports …"
- Moi : "………….."
- Lui : "Et , bien entendu , Charlotte Rampling comme Secrétaire d'État"
- Moi : "Euh … elle est britannique , Monsieur le Président"
- Lui : "Et Brigitte Bardot ?"
- Moi : "….????…."

samedi 14 décembre 2019

COTE 137 . 141 . L'ÉCRIVAIN

    Martial dans un recoin de la tranchée , assis sur une caisse de grenades . Il écrit
sur un de ses carnets minuscules avec un crayon à mine . Il pleut . Il a tiré sa capote
au-dessus de sa tête pour se protéger .

- Moi : "Qu'est-ce que tu fais ?"
- Martial fait le mystérieux : "Tu le vois bien : j'écris"
- Moi : "Ben oui que je le vois … mais qu'est-ce que tu écris ?"
- Martial ne répond pas .
- Moi . Je m'asseois à côté de lui : "Un poème ? … une pensée ? … un … comment
dit le capitaine ? … un apho … un …"
- Martial : "Un aphorisme"
- Moi : "C'est ça que t'écris ?"
- Martial : "Non"
- Moi . Je ne dis rien . Je sais que le poisson est ferré . Il sort de l'eau :
- Martial , sobrement : "Un roman"
- Moi : "Mazette ! … un roman ! … Bertin , viens par ici !"
- Bertin s'amène en claudiquant dans notre merdier .
- Moi : "Martial écrit un roman ! … nous avons un romancier dans la tranchée ,
tu te rends compte ?" , dis-je en tapant sur l'épaule de Martial .
- Martial : "Te fous pas de moi"
- Moi : "Je me fous pas de toi ! … qu'est-ce que ça raconte ?"
- Martial : "Oh , je ne sais pas encore très bien … j'ai des idées … plein !"
- Moi : "Tu as déjà écrit beaucoup de pages ?"
- Martial : "Non … je viens de commencer"
- Moi . Je jette un oeil sur son carnet : "Euh … c'est ces deux lignes ?"
- Martial : "Je te dis que je viens de commencer"
- Moi : "Ça sera un gros livre ?"
- Martial : "A peu près mille pages"
- Je siffle : "Mille pages ! … Bertin , ça t'épates , non ? … mille pages !"
- Le capitaine passe devant nous . Il a sous le bras des cartes d'état-major et des rapports .
- Moi : "Mon capitaine ! … Martial écrit un bouquin : mille pages ..."
- Martial : "Bon , arrête !"
- Le capitaine : "C'est vrai ça , Martial ? … une histoire d'amour ?"
- Martial : "Oui … si on veut"
- Le capitaine : "Vous avez le titre ?"
- Martial : "Oui : la Cote 137"

jeudi 12 décembre 2019

L'AUTOMNE 5

Ô femmes ,
Dans quel guêpier
M'avez-vous fourré ?

L'automne
S'est jeté par la fenêtre
Avec mon orchestre .

J'entends d'ici
Le fracas sonore
De ses cuivres

Et le tintamarre
De ses percussions
Couvre ma voix !

TROIS MOUCHES 174 . NOUVELLES DU PARADIS

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux
de paille . La suspension , ramenée très bas au-dessus de la table , projetait un cercle
de lumière éclatant sur la flaque jaune du camembert qui coulait , mais le visage de
Berthe restait dans l'ombre . Nous étions seuls .

    Berthe avait ramené très bas son chapeau de paille . La lumière de la suspension
projetait une merveilleuse flaque jaune sur son éclatant visage . Trois mouches
vermeilles bourdonnaient contre le camembert qui , seul , restait dans un cercle d'ombre
au-dessus de la table .

    Trois mouches bourdonnaient en cercle contre la suspension dont la lumière projetait
l'ombre de la table sur nos chapeaux de paille . Comme un camembert éclatant ramené
très bas , elle coulait en flaque jaune sur le visage émerveillé de Berthe , restée seule .

mardi 10 décembre 2019

KRANT 188 . TOTEM

    Quand nous revînmes à Membrano - nous y accostions tous les deux ans - c'était la
guerre . Le clan du Fleuve avait allumé des torches et incendié les récoltes aux portes
de la ville . Quelle était la cause de cette flambée ? . Les habitants d'ici ne sont-ils les
plus placides des îles de la Sonde ? . Abdul , notre interprète local , m'avoua :
"Un totem … les habitants de Membrano et ceux du Fleuve se disputent un totem …"

- Moi : "Un totem ?"
- Abdul : "Un objet protecteur … une source de richesse ..."
- Moi : "Quel est cet objet ?"
- Abdul : "Je ne peux te le dire"
- Moi : "Où se trouve-t-il ?"
- Abdul : "Pas loin d'ici … près du port …"
- Moi : "Le port de Membrano ?"
- Abdul haussa les épaules : "Vois-tu au bord de cette jungle un autre port que Membrano ?"
- Moi : "Me montreras-tu ce totem ?"
- Abdul : "Même à toi , mon ami , je ne le montrerai pas"

    Je me demandai par quelle combinaison Abdul cependant contournerait le tabou .
Le lendemain , à l'aube , j'arpentais le quai en regardant les pêcheurs préparer leurs filets .
L'un d'eux , vieil homme ratatiné par le soleil et la rudesse de sa condition , me héla .
Il parlait un sabir teinté d'anglais à peine intelligible . Je compris qu'il voulait me montrer
quelque chose . Je le suivis au bout du quai . Nous descendîmes par une échelle de fer ,
longeâmes une grève étroite puis contournâmes une petite falaise où le ressac avait creusé
une anfractuosité . Là , sur un tapis de fleurs , entre deux rats égorgés , était posée une
bouteille vide . "Totem … totem …" répétait le vieux en se pliant et reculant et joignant
les mains … "Totem … totem …" . C'était une bouteille de schnaps qui - c'était incon-
testable puisqu'elle était marquée d'une croix à l'encre rouge pour qu'aucun marin du Kritik
ne put lui subtiliser - avait appartenu à Toms qui , ivre , l'avait abandonnée deux ans
auparavant sur cette grève .

lundi 9 décembre 2019

PARADIS 122 . LE MERLE NOIR

- Ève entre en courant dans l'Atelier (et sans frapper !) avec une question brûlante
sur les lèvres . Dieu sursaute . Il composait le chant du merle noir .
- Dieu : "Ève ! … tu ne peux pas frapper avant s'entrer ! … je travaille … tu me
déranges …"
- Ève se précipite sur son Créateur et - par derrière - l'agrippe aux épaules :
"Où j'étais avant ?"
- Dieu replie sa partition : "Avant quoi ?"
- Ève : "Avant que j'étais bébé"
- Dieu répète : "Avant que j'étais bébé … qu'est-ce que c'est que ce charabia ?"
- Ève : "Ben … avant …"
- Dieu recouvre la main d'Ève posée sur son épaule : "Tu veux dire : avant ta naissance ?"
- Ève confirme : "Oui … avant que je suis née"
- Dieu rectifie : "Avant que je sois née … subjonctif … c'est le mode de l'éventualité …
tu pouvais être ou ne pas être … il fallait une cause … tu dépendais d'une volonté :
la mienne … mode subjonctif et optatif , marquant le souhait , parce qu'un jour ,
le sixième - je ne sais pas ce qui m'a pris , envie , caprice , foucade ? - j'ai créé l'Homme
avec de la poussière de la terre , j'ai soufflé dans ses narines et vous voilà , Adam et Ève ,
chez moi , dans mon Paradis !"
- Ève : "J'ai rien compris !" . Elle insiste : "J'étais quoi avant ?"
- Dieu : "Rien"
- Ève : "J'étais rien ?"
- Dieu : "Rien du tout"
- Ève : "C'est dingue ! … comment qu'on peut être rien ?"
- Dieu : "Tu n'as pas tort : on ne peut pas être rien"
- Ève : "Alors ?"
- Dieu : "Avant Ève , il n'y avait pas d'Ève … il n'y avait rien … je t'ai créée … tu connais
le chant du merle ?"
- Ève : "Un merle , ça chante ?"
- Dieu : "Non … pas encore … j'invente son répertoire … regarde" . Dieu ouvre la partition
où sont notés des tchink , des tchouk , des pök-pök-pök , des chink-chink … "Tu vois :
c'est le chant du merle noir … j'y travaille mais , pour le moment , il n'existe pas"
- Ève : "Souffle-lui dans le bec !"
- Dieu se met à siffler .
- Ève : "C'est drôlement joli !"
- Dieu : "Je te le fais pas dire !"

dimanche 8 décembre 2019

MICHELINE

    Au mois de mai 1991 , il me semble que c'était en 1991 mais ce pourrait être en
1992 - j'ai jeté mes agendas et mes actes de mariage de cette époque - j'avais organisé
une sauterie dans mon appartement , rue des sablières à Niort , au 5e étage . C'est à
cette occasion que j'ai fait la connaissance de Micheline . Il y avait plus de cinquante
personnes dans mon 70 m2 , c'est peu dire si nous étions à l'étroit . C'est un ami qui
avait amené Micheline avec lui . Je ne l'avais jamais vue . Nous avons un peu parlé ,
pressés l'un contre l'autre , ne laissant entre nous que l'interstice minimal où caser nos
coupes de champagne . Elle prétendait descendre en ligne directe de Constantin
Drako-Soutzo , un grand logothète de l'Empire . "Un quoi ?" , hurlai-je contre son
oreille où pendait une boucle en forme d'anneau en or (c'était du plaqué , je l'appris par
la suite) car Zerline , ma copine de l'époque , avait mis à fond sur le pick-up : "Hit the
road Jack" . Micheline décolla sa poitrine de la mienne et prit un minuscule recul pour
accommoder de ses yeux bruns sur mon visage . Elle cria : "Un logothète !" . Je plaçai à
nouveau mes lèvres contre son oreille , je sentis sur le bout de mon nez le chatouillis de
ses petites mèches frisottées et beuglai : "Un logo-quoi ?" couvert par Ray : "… and
don't comme back , no more , no more …" . Alors , un nouvel arrivage d'invités provo-
qua un glissement tectonique des corps et je m'écrasai sur Micheline et nos coupes de
champagne . "Un logothète ! … qu'est-ce que c'est ?" . Je compris que c'était une sorte
de ministre byzantin . Mais elle , qu'est-ce qu'elle faisait dans la vie ? . "… no more ,
no more … hit the road Jack ..." . Elle travaillait sur une ligne de pizzas . Elle posait sur
chacune d'elles , à raison de 50 pizzas à la minute , trois olives et une pincée de gruyère . Immédiatement , je la demandai en mariage . Nous n'avons pas eu le temps de faire un
enfant car , très vite , elle est repartie à Byzance (Istambul aujourd'hui) .

DESMOND 120 . QUESTIONNAIRE

- "Desmond , pouvez-vous me rejoindre au bowling ?" . C'est le Président , au téléphone …
"Vous savez où ça se trouve ?"
- Moi :  "Oui , Monsieur le Président … au sous-sol"
- Lui : "Je vous attends"

    Quand j'arrive (sous-sol de la Maison Blanche) , le Président vient de lancer une boule .
Il est à la limite de la ligne de faute dans la position classique du lanceur . Le bout de sa
cravate touche le sol . Il est seul . La boule roule sur la piste en bourdonnant … broooom ! :
les dix quilles sont renversées . Le Président se redresse et revient vers moi par la zone
d'approche . A travers une dentition radieuse , il lance un triomphal : "Strike ! … content
de vous voir , Desmond !"
- Moi : "Bonjour , Monsieur le Président"
- Lui , déjà , se remet en position . Il a saisi une nouvelle boule et se prépare au lancer :
"Savez-vous pourquoi je vous ai fait venir ici ?"
- Moi : "Euh , non , Monsieur le Président"
- Lui . Il s'élance , le bras droit tenant la boule tendue derrière lui . Mouvement pendulaire .
Il lâche la boule … "pour que vous me posiez des questions …" . La boule roule sur la piste
… brooooom … broum ! : les dix quilles s'abattent .
- Lui : "Strike !"
- Moi : "… Des questions , Monsieur le Président ?"
- Large sourire : "Ne faites pas cette tête-là , Desmond … je vais vous aider"
- Moi : "…….?………"
- Lui : "Je vais vous dire quelles questions vous devez me poser"
- Moi : "…….!………."
- Il desserre sa cravate : "Première question : Monsieur le Président , croyez-vous en Dieu ?"
- Moi : "Mais … je …"
- Lui : "Allez-y , Desmond … posez-moi cette question … n'ayez pas peur"
- Moi , embarrassé : "Euh , Monsieur le Président , croyez-vous en Dieu ?"
- Le Président s'est assis sur un banc . Il délace ses chaussures spéciales . Comme stupéfait ,
il lève la tête vers moi : "Bien entendu que j'y crois ! … quelle question !? … Desmond !"
- Moi : "Mais … Monsieur le ..."
- Lui , en se débarrassant maintenant de ses chaussures : "Deuxième question : le peuple
américain est-il le plus grand ?"
- Moi : "Je …"
- Lui : Posez-moi cette question , Desmond … c'est important"
- Moi . Je bredouille : "Euh , Monsieur le Président , je … je …"
- Lui : "Allez-y ! … lancez-vous ! … ça n'est quand même pas compliqué !"
- Moi : "Monsieur le Président , le peuple américain est-il le plus grand ?"
- Lui . Il redresse le torse , pose ses deux mains à plat sur le banc . Il est à pied de chaus-
settes . A côté de chacun de ses pieds , une chaussure spéciale , vide . Le Président a l'air
ébahi . "Mais enfin , Desmond , bien entendu que le peuple américain est le plus grand !
… vous en doutiez ? . Qu'est-ce qui vous prend de me poser des questions aussi … aussi …"
- Moi : "Monsieur le Président ! … je …"
- Lui m'interrompt : "Vous savez pourquoi je vous demande de me poser ces questions ?"
- Moi : "Non … je ..."
- Lui : "Parce que je me les pose moi-même" . Puis , ramassant ses chaussures :
"Que Dieu existe et que le peuple américain est le plus grand , ce sont des évidences , non ?"

vendredi 6 décembre 2019

COTE 137 . 140 . WILLIAM CODY

- "Merde !" . Martial est assis sur une chaise bancale dont les pieds s'enfoncent
inégalement dans la boue de la tranchée . Le dossier lourdement appuyé contre
les rondins de l'abri où le capitaine étudie les cartes du secteur sauve Martial et
son siège d'un irrémédiable naufrage . Il fume son infect perlot et a déployé
devant lui les feuilles d'un journal : "Le Gaulois" .

- "Merde !" . Il abat son journal sur ses genoux et me regarde sans me regarder .
- Moi , vaguement inquiet . Quelle mauvaise nouvelle viendrait-elle de l'arrière ? :
"Quoi ? … qu'est-ce qui se passe ?"
- Martial : "William Cody est mort !"
- Moi : "Qui ?"
- Martial tourne la tête vers la porte ouverte du capitaine : "Mon capitaine ! …
William Cody est mort !"
- Le capitaine , de l'intérieur de l'abri : "Qui ?"
- Martial reprend la lecture de son article : "Comment !? … vous ne savez pas qui
est William Cody !?"
- Le capitaine et moi , à l'unisson : "Euh … non … qui est-ce ?"
- Martial : "Le Faroueste … les bisons … vous n'êtes pas allés voir le Ouildeouèstecho ?"
- Le capitaine passe la tête par la porte de la cagna : "Ah , vous voulez dire le Wild
West Show ?" , prononce-t-il dans un anglais impeccable .
- Martial : "Oui , mon capitaine … comme vous dites … vous l'avez vu ?
- Le capitaine : "Oui , je l'ai vu … au pied de la Tour Eiffel … quel spectacle !"
- Martial : "Vous savez donc qui est William Cody …"
- Le capitaine : "Oui … Buffalo Bill , bien entendu !"
- Moi : "Buffalo Bill !? … il est mort ?"
- Le capitaine , incrédule : "Buffalo Bill est mort ?"
- Martial : "C'est ce que je me tue à vous dire !" … soulevant les feuilles de son journal :
"C'est écrit là-dedans !"
- Le capitaine guigne la pipe de Martial : "Cancer du poumon ?"
- Martial replonge dans "Le Gaulois" : "Est-ce qu'ils le disent ? … ah , voilà : William
Cody est mort à Denver . Colorado . d'une insuffisance rénale"
- Le capitaine : "Une insuffisance rénale ?"
- Martial replie les feuilles du journal et propose son diagnostic : "Mangeais trop de bison"

jeudi 5 décembre 2019

L'AUTOMNE 4

Enluminures automnales
Ornent de marges
Vos masques ,
Ô femmes …

Peinturlurent vos lèvres
D'amertume
Et vos paupières closes
De cils mordorés .

Marbrent de bleu
Vos fronts devenus froids

Et que dire
De vos mains ?


mercredi 4 décembre 2019

TROIS MOUCHES 173 . MRS DALLOWAY

    Comme la soirée était très chaude et que les vendeurs de journaux passaient avec
des panneaux proclamant en énormes lettres rouges qu'il y avait une vague de chaleur ,
que trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre leur chapeau de
paille , on avait mis des chaises en osier sur les marches de l'hôtel et là , sirotant , fumant ,
des messieurs à l'air indifférent étaient assis . Berthe également .

    Trois messieurs sirotaient à la paille leur rouge vermeil , assis sur des chaises en osier ,
indifférents aux mouches en chaleur qui proclamaient en bourdonnements énormes que
la soirée était chaude . Sur les marches de l'hôtel , contre des panneaux qu'on avait mis là ,
l'air également vague et lettré , Berthe chapeautée vendait en fumant des journaux aux
passants .

    Trois vendeurs de chapeaux de paille fumaient sur les marches de l'hôtel . La chaleur
passait comme une énorme vague sur leurs chaises qu'on avait mises là . En lettres rouges ,
les journaux proclamaient que la soirée serait chaude et qu'également , les messieurs assis
contre les panneaux d'osier auraient le bourdon . Berthe , l'air merveilleusement indif-
férent , sirotait .

mardi 3 décembre 2019

KRANT 187 . LES DIEUX

    Sur un quai de Lekir , nous trouvâmes un homme dépenaillé qui , semble-t-il ,
avait perdu la raison . C'était un européen . Il devait être anglais mais il avait perdu
avec la raison l'usage de sa langue maternelle . A ce que nous comprîmes , il avait
vécu 40 ans au milieu des marais qui bordent la rivière Perak dans la Province du
même nom . Il avait été missionnaire bredouilla-t-il . L'homme était assis sur une
bitte d'amarrage . Monsieur Lee s'accroupit à côté de lui et , posant sa main sur
celle de l'homme , il l'entreprit dans un malais local . Le regard mort de l'ex-mission-
naire sembla revivre un peu . Il se mit à répondre à Monsieur Lee par phrases
bégayantes mais les hochements de notre cuisinier signifiait qu'elles avaient une
cohérence .

    Au bout d'une demi-heure de ce conciliabule qui nous était hermétique , Monsieur
Lee se releva , tapota l'épaule de l'homme comme un encouragement à aller jusqu'au
bout de son chemin de croix . Nous nous éloignâmes , laissant le malheureux prostré
sur son bollard . Au moment de monter par l'échelle de coupée du Kritik , Toms
demanda à Monsieur Lee :

- "Que vous a dit ce hère ?"
- Monsieur Lee sourit : "Ce hère est dans la confusion"
- Toms et moi : "……..?………"
- Monsieur Lee : "Cet homme est venu ici il y a 40 ans pour enseigner qu'il n'y a
qu'un Dieu"
- Toms : "N'est-ce pas le cas , Monsieur Lee ?"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi …"
- Toms et moi : "……..?………"
- Monsieur Lee : "Il y a ici un dieu par plante … un dieu pour chaque insecte du marais
… pour chaque poisson de la rivière … il y a un dieu pour chaque animal de la forêt …"

PARADIS 121 . BLANCHE 7.2

    Dieu aurait fait l'Homme pour "sentir la terre" . C'est ce qu'il prétend : pour se
glisser dans ses créatures et jouir , à travers elles , de sa création . Ce n'est pas l'avis
d'Adam .

- Adam : "Je ne suis pas d'accord !"
- Dieu : "Pas d'accord avec quoi ?"

    Dieu et l'Homme sont assis de part et d'autre de l'établi où - nous disent les Écritures -
toutes choses furent faites . Dieu a servi à l'Homme une blanche 7.2 (Kro) , preuve qu'il
est ouvert à un échange honnête , voire constructif . Ève est en retrait parce que ces
arguties , elle s'en fout .

- Adam : "Tu n'as pas créé l'Homme !"
- Dieu : Qu'est-ce que tu racontes !? …"
- Adam lève les yeux au ciel : "Soit disant pour "sentir la terre !"
- Dieu : "Exactement !"
- Adam : "Non-non ! … c'est l'Homme qui a créé Dieu , c'est bien connu !"
- Dieu : "Renversant ! … proprement renversant ! … tu entends ça , Ève !?"
- Ève : "Bof ! … où qui sont tes bonbons à la menthe ?"
- Dieu : "Tiroir de droite"
- Adam se met une gorgée de blanche derrière la pomme .
- Dieu : "M'expliqueras-tu pourquoi tu m'as créé ?"
- Adam , quelque peu solennel : "Pour accéder à la Transcendance"
- Dieu : "Mon pauvre vieux ! … c'est idiot ! … accéder à l'inaccessible !"
- Adam : "Je suis d'accord avec toi : c'est idiot !"
- Dieu : "Ah , tu l'admets !"
- Adam : "Mais c'est pas parce que c'est idiot que l'Homme ne t'as pas créé !"
- Dieu : "Je ne te suis pas , Adam ! … si c'est idiot , pourquoi l'a-t-il fait ?"
- Adam : "Parce que l'Homme peut faire des idioties"
- Dieu : "Ça , je te l'accorde volontiers"
- Adam : "Et s'il fait des idioties , c'est un peu de ta faute …"
- Dieu : "De ma faute !? … de quelle faute puis-je être l'auteur si je n'existe pas ?"
- Adam : "Tu existes !"
- Dieu : Ah , enfin … CQFD"
- Adam : "Tu existes comme existent les mirages"
- Ève : "Je les trouve pas"
- Dieu : "Je t'ai dit à droite , Ève ! … pas à gauche !"
- Adam : "Tu es … tu es une illusion d'optique … une déviation de la lumière …
une erreur … une aberration … une oasis fantôme …"
- Dieu : "Et cette blanche , elle existe ?"
- Ève : "Y a rien dans le tiroir de droite …"

dimanche 1 décembre 2019

NÉNÉ

   Elle s'est présentée un soir à la porte de l'appartement que j'occupais au 5e étage
dans une rue de Niort . Elle venait de Gorée . L'Île de Gorée , dans la baie de Dakar .
Ce qu'elle voulait : m'épouser . Je l'ai fait entrer , elle a posé ses valises , et j'ai débou-
ché la seule bouteille que j'avais au frigo : un cidre de Normandie brut bouché dont ,
je l'avoue , j'avais complètement oublié qui me l'avait offert . Monia ? … Gaby ? …
ou Zerline ? … Mais pour le moment , j'avais trois questions pour Néné , car elle me
l'apprit : elle se prénommait Néné . Aimait-elle le cidre ? , est-ce que ça l'embêtait si
celui-ci était largement passé de date (de fait , il ne pétillait plus) et pourquoi - nous ne
nous connaissions absolument pas , nous ne nous étions jamais rencontrés , nous
n'avions tenu aucune correspondance - elle voulait m'épouser ? . Elle me répondit
qu'elle adorait le cidre bouché de Normandie , surtout s'il ne pétillait plus , qu'en outre
elle avait vachement soif . Avant de répondre à la question subalterne du mariage , elle
tourna la tête , puis les épaules , puis le buste , le bassin et toujours sa tête tournait avec
un cran d'avance sur le reste de son corps , elle s'agenouilla sur le canapé pour retrouver
finalement sa position d'origine , assise en face de moi . "C'est vous qui avez tapissé ?" ,
dit-elle . J'acquiesçai puisque , en effet , j'avais couvert la totalité des murs de l'appar-
tement et les plafonds avec le même papier - 50 rouleaux ! - un imprimé de cactus
hilarant . "J'ai le même à la maison" . Moi : "A la maison ?" . Elle : "A Gorée" .

    Bizarrement , notre mariage ne s'est pas fait ...

DESMOND 119 . SURTENSION ET PERCOLATEUR

    Petit déjeuner dans la Family Dining Room à l'invitation du Président . Au menu :
fruits frais , bouillie à la crème et café . Nous sommes trois : le Président , Kissinger
et moi .

- Le Président : "Dites donc , Henry , vous les usez vos collaborateurs : Eagleburger
à l'hôpital , Tony Lake essoré en moins d'un an et , maintenant , ce pauvre Winston
Lord vient pleurer dans mes jupes !"
- Kissinger : "Monsieur le Président , ils sont nuls !"
- Le Président : "Nuls !? … Lake ? … Lord ? … la fine fleur de notre diplomatie ?"
- Kissinger : "Mister President , si je ne fais pas tout moi-même …"
- Le Président : "N'exagérez pas , Henry … Winston est diplômé de Yale , primé par le
Pentagone , primé par le Département d'État … et avec un tel assistant , vous devez tout
faire !?"
- Kissinger : "Hélas , Monsieur le Président … vous savez que Lord m'a accompagné
pendant ce voyage secret à Pékin … il n'a dit que des conneries"

    Le Président regarde les pendeloques du lustre suspendu au-dessus de la table comme
s'il y cherchait une explication ; puis il pointe de son long index une console dans un coin
de la salle à manger : "Voyez-vous ceci , Henry ?"
- Kissinger : "Yes , Mister President : c'est une console en acajou d'époque Louis XVI
… je dirais : vers 1780 … dans le goût de Roentgen …"
- Le Président : "Ah , Henry , je sais que vous êtes un fin connaisseur de ces vieilles
choses ! … ces vieilles choses françaises … je vous parle , moi , de l'appareil qui se
trouve sur la console … vous savez ce que c'est ?"
- Kissinger : "Non , je l'ignore , Monsieur le Président"
- Le Président : "Vous l'ignorez !? … c'est cependant un objet banal dont tout le monde
se sert … un percolateur"
- Kissinger : "Un ?"
- Le Président : "Un percolateur … en d'autres termes : une machine à café … pouvez-
vous nous faire trois tasses , Henry ?"
- Kissinger : "Je n'ai aucune compétence dans ce domaine"
- Le Président , à moi : "Desmond ! … démonstration !"
- Je me lève , je remplis le percolateur d'eau froide , je dispose un filtre , j'y verse du café
moulu et j'appuie sur le bouton ON"
- Le Président frappe dans ses deux mains : "Le tour est joué , Henry ! … voyez-vous ,
chez moi , mes collaborateurs s'occupent de tout … il me reste du temps pour le football
à la télévision … et eux sont en bonne santé !"

vendredi 29 novembre 2019

COTE 137 . 139 . EN 9 LETTRES

    Marmitage . Nous sommes terrés au fond de la tranchée , nos visages collés
dans les sacs de sable , nos mains crispées sur les Lebel , dérisoires , ridiculement
inoffensifs . La terre , autour de nous , encaisse des impacts monstrueux : du 400 mm .
Elle se soulève , gicle , frappe nos casques et nos épaules . A tout moment nous
pouvons basculer d'un monde , celui-ci infernal , dans un autre qui ne peut pas être
pire . Personne ne bouge , de peur en changeant de place , d'offrir sa vie au dieu
des artilleurs , de forcer le destin par caprice . Personne ne bouge mais tous , nous
nous rétractons , nous nous replions , nous recroquevillons dans une impossible
annulation . Un seul être se déplace , plié en deux , allant de l'un à l'autre , le casque
de travers , le Lebel en bandoulière , un papier froissé dans une main et dans l'autre
- qu'est-ce que c'est ? - un bout de crayon il me semble : Martial . Il se plaque sur nos
dos , colle sa bouche à nos oreilles , hurle quelque chose . Les uns - la plupart - enfon-
cent encore leur visage dans les sacs de sable , parce que la seule chose qui compte
c'est de ne plus exister . D'autres - les vieux briscards , moi - nous quêtons sur les lèvres
de Martial un sens , mais qu'est-ce qui a du sens dans ce cataclysme ? . Nous écar-
quillons des yeux incompréhensifs , nous haussons les épaules . Il s'est écrasé sur moi .
J'ai soulevé mon casque , j'ai senti son souffle contre mes tympans prêts à exploser : rien !

    Le bombardement cesse . Nous sommes sonnés . Nous sommes sourds . Nous nous
écartons de la paroi . Nous sommes vivants . Aucun obus n'a touché la tranchée .
Quelques effondrements . Des sacs de sable crevés , des queues de cochon et des barbelés
soufflés par-dessus le parapet . Pas d'attaque depuis la Cote 137 . Martial est assis contre
le parados . Il griffonne sur un bout de papier .

- Moi : "Rien compris … qu'est-ce que tu disais ?"
- Martial : "C'est bon … j'ai la solution … en 9 lettres … commençant par A et finissant
par E … avec un T en sixième … je viens de trouver … j'étais bloqué depuis une heure
avec ce mot en 9 lettres"
- Moi : "Qu'est-ce que tu … ?"
- Martial : "Ne t'inquiète pas … j'ai trouvé : A-r-m-i-s-t-i-c-e …"
- Moi : "……..?………"
- Martial : "En 3 lettres … ça commence par C … ça finit par N …"
- Moi : "Con !"

OEDIPE

    Ce soir-là , mon père m'avait emmené à X . Maman lui avait demandé de faire
quelques courses . J'étais attaché sur la banquette arrière . J'ai dit : "J'aime Maman" .
J'ai vu ses deux yeux bleus dans le rétroviseur . Ils sont entrés dans les miens puis
ils sont ressortis et ils ont glissé sur l'Océan Atlantique que nous longions par la
corniche . Un peu plus loin , après le croisement où il y a des feux clignotants ,
ses yeux sont revenus sur moi dans le rétroviseur . "Et moi , tu m'aimes ?" .
"Pas tellement" , j'ai dit . Il est revenu à l'Océan . On était presque arrivés à X .
Alors , j'ai dit … quel âge j'avais ? … 6 ou 7 ans … j'ai dit : "C'est qui Oedipe ?" .
"Un héros grec" , a répondu mon père en tournant dans la rue où il avait l'habitude
de garer la voiture . Il s'est arrêté et avant qu'il coupe le moteur , j'ai dit : "Il a tué
son père" . Quand le moteur a été coupé , mon père a soupiré : "Il savait pas que
c'était son père" . Mon père s'est retourné . Il a passé un bras par-dessus la banquette
pour me détacher : "Où as-tu été chercher ça ? … tu es allé dans la bibliothèque ?" .
J'ai dit : "Oui" . "Je te l'avais interdit … descends !"

mercredi 27 novembre 2019

L'AUTOMNE 3

Poignant strip-tease des grands arbres ,
Tragédie de leur caducité ,
Ô femmes ,
C'est l'automne
Et vous vous morfondez :

Ciel pâle , nuages lascifs
(Les cumulus traînent des ventres sans fin
Ou traînent sans fin leur ventre) ,
Les fleurs ont perdu leurs couleurs ,
Les robes aussi …

Fracas
Des fanfares de l'été !

Mais à vos pieds ,
Le dernier éclat des feuilles mortes .

mardi 26 novembre 2019

TROIS MOUCHES 172 . LOLITA PAS CONTENTE

    Tandis que Berthe revenait vers la voiture (trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre son chapeau de paille) , une expression de douleur passa en un
éclair sur son visage , puis refit son apparition , plus éloquente encore , lorsqu'elle s'ins-
talla à côté de moi . La seconde fois , elle la reproduisit manifestement à mon intention .
Stupidement , je lui demandai ce qu'il y avait . "Rien , espèce de brute" , répliqua-t-elle .

    Lorsque Berthe revint dans la voiture à côté de moi , je lui demandai ce qu'il y avait .
Un éclair passait et son visage exprimait une éloquente douleur : "Rien , espèce de
brute ! … c'est la seconde fois que tu t'installes sur mon chapeau de paille ! … tu es
stupide !" . Je répliquai que ce n'était manifestement pas mon intention et que cela ne se
reproduirait pas . Trois mouches firent une merveilleuse apparition . Vermeilles , elles
bourdonnaient .

    Trois mouches bourdonnaient avec éloquence lorsqu'une voiture passa en un éclair
vermeil à côté d'elles puis revint , refit une apparition une seconde fois à notre intention ,
s'installant manifestement dans une espèce de reproduction stupide de la brutalité .
"Qu'y a-t-il ?" , demandai-je à Berthe . "Rien" , répliqua-t-elle . Sous son chapeau de
paille , son visage exprimait la plus merveilleuse douleur .

lundi 25 novembre 2019

KRANT 186 . LIBELLULE

    C'était derrière chez moi , avec mon père , au bord de la mare . La mare est là ,
depuis toujours .

    Nous observions entre les joncs une libellule . Elle virevoltait en silence et ce silence
était doublé de fraîcheur et du murmure de mon père : "Vois ces quatre ailes , mon fils
… on ne trouvera jamais de mots pour dire … pour dire leur beauté … et leur géniale
mécanique" . La libellule s'immobilisa . Ses ailes stationnaient plus transparentes que
l'air qui les portait . "Elle est là …" chuchotait mon père "depuis que le monde existe" .
A travers le tissu de ma chemise je sentais la chaleur naissante du soleil d'avril et sur
mon épaule le poids d'une lourde main . Nous respirions au même rythme . "Hop !" fit
mon père et je sursautai . Sa main , plus chaude que le soleil et chargée de mon sang ,
m'enserra la nuque au moment où la libellule attrapait une mouche . "Elle chassait …
elle était à l'affût …" répétait mon père à mon oreille . Nous étions maintenant penchés
par-dessus les joncs , les bustes tendus sur l'eau et la libellule , immobile et bruissant de
dentelles découpait sa proie .

    Que fais-je au milieu de ces mers ?

dimanche 24 novembre 2019

PARADIS 120 . KRO 7.2

- "Sais-tu pourquoi j'ai fait l'Homme ?"

    Dieu a posé sur son établi un verre ballon et une Kro . Adam est tassé sur le tabouret
de son Créateur . Il est fourbu : c'est la moisson . Dieu approche une chaise sur laquelle
il s'asseoit à califourchon .

- Dieu : "Pourquoi , à ton avis ?"
- Adam soupire : "J'en sais rien …"
- Dieu : "Tu sais que je suis d'essence spirituelle … purement spirituelle … idéale …
éthérée …"
- Adam . Il s'en fout . Ce qui , présentement , l'intéresse , c'est sa Kro … une Kronem-
bourg 7.2 … une blonde moelleuse …"
- Dieu : "… une essence surnaturelle … j'échappe aux lois de la nature et c'est là mon
problème , comprends-tu ?"
- Adam tourne vers Dieu un regard indifférent .
- Dieu : "Je suis abstrait … immatériel … le contraire de la Vie , quoi !"
- Adam . Première gorgée … ah , ce goût de fruits et de malt !
- Dieu : "Il fallait que je trouve quelque chose … quelque chose pour sentir la terre …"
- Adam , enfin , lève un sourcil (le droit) ; "Sentir la terre ?"
- Dieu : "Oui , la sentir … sentir la Vie ! …"
- Adam , désinvolte : "Alors , t'as fait quoi ?"
- Dieu : "J'ai fait l'Homme"
- Adam (?) . Deuxième gorgée : un goût de fruit rouge … oui , c'est ça : de fruit rouge …
épatant !
- Dieu : "Mais je n'ai pas commencé par l'Homme … j'ai d'abord créé les plantes , les
fleurs , les arbres fruitiers … je me suis glissé dans leurs racines , leurs feuilles , leurs
pétales , leurs fruits … ah , quel plaisir de sentir l'odeur de la terre , l'effleurement du
vent , les câlineries du soleil !"
- Adam . Troisième gorgée . Extra cette blonde ! … la blanche est pas mal non plus …
je sais qu'Il en a dans Son frigo .
- Dieu : "C'était déjà pas mal , mais je pouvais faire davantage : j'ai créé les poissons ,
les oiseaux , les bêtes sauvages … je me déplaçais dans ma création : dans les airs ,
dans l'eau des rivières , j'explorais des jungles !"
- Adam .: "T'as pas une blanche ?"
- Dieu : "Une quoi ?"
- Adam : "Une 7.2 blanche"
- Dieu : "Si … pourquoi ?"
- Adam : "Elle pétille"
- Dieu : "Oui , c'est vrai"
- Adam , d'un ton rogue : "Comment peux-tu le savoir , Toi , l'Être Pur et Abstrait et si
supérieur à moi ?"
- Dieu : "Triple buse ! … parce que je suis dans tes papilles !"

samedi 23 novembre 2019

AUDIENCE PONTIFICALE 8

    A la recherche de réponses audibles , je sollicite (et obtiens) une 8e audience .
Le Saint-Père , bien qu'au plus mal - il a contracté un rhume avec surinfection
bactérienne aux pneumocoques - me reçoit dans la Salle d'Audience du Vatican .
Le Docteur Renato Buzzonetti est à ses côtés .

- Moi : "Très Saint-Père , comment ça va ?"
- JP II crispe ses mains sur les accotoirs de son trône : "Rrrrrrrr"
- Moi , à Renato : "Qu'est-ce que vous lui donnez ?"
- RB : "Du zinc"
- Moi : "Du zinc ?"
- RB : "Oui … c'est une bonne défense pour la muqueuse rhinopharyngée …
ça rend plus difficile l'adhésion virale"
- Moi : "Des antibiotiques ?"
- RB : "Surtout pas ! … aucun effet sur les virus"
- Moi . Je caresse la main du Pape : "Comment se sent-il ?"
- RB : "Comme vous le voyez : pas si mal"
- Moi : Hum ……….. il peut répondre à des questions ?"
- RB : "Ça dépend lesquelles"
- Moi : "Par exemple : Marie était-elle vierge ?"
- RB : "Mon cher , je veux bien parier qu'il n'en a pas la moindre idée ! … qui sait ça ?"
- Moi , à JP II : "Saint-Père … avez-vous entendu ma question ?"
- JP II : "Rrrrrr"
- RB : "C'est les bronches"

DESMOND 118 . CHIEN DE GARDE

- "Vous connaissez mon berger allemand , Desmond"
- "Euh , Monsieur le Président … vous avez un berger allemand ? … je l'ignorais"
- "Mais enfin , Desmond , vous le voyez tous les jours !"
- "Monsieur le Président , Checkers est un épagneul !"
- "Je ne vous parle pas de Checkers … Checkers est un gentil chien-chien … je vous
parle de mon berger allemand , ce chien féroce"
- Désolé , Monsieur le Président , je ne vois pas …"
- "Et vous ne l'entendez pas aboyer ?"
- "…….?…….."
- "Personne n'ose plus entrer dans le Bureau Ovale … moi-même , quelquefois ,
il me fait peur"
- "Monsieur le Président , je ne …"
- "Il y a deux jours , il a voulu mordre Henry … si je n'étais pas intervenu !"
- "……………."
- "C'est vrai … avec vous , il se tient à carreau … vous êtes un pacifique … quand il
vous renifle , je vois bien qu'il sent qu'avec vous , moi son maître , je ne crains rien …
et vous pouvez le caresser … vous êtes bien le seul ! …"
- "Monsieur le Président , vous vous moquez ? … it's a joke ?"
- Le Président , soudain rayonnant : "Bob !"
- "Bob ?"
- "Bob Haldeman !"
- "Monsieur Haldeman ?"
- Le Président , avec un épouvantable accent allemand : "Bob Haldeman , le redoutable
Chef de Cabinet de la Maison Blanche !"

jeudi 21 novembre 2019

COTE 137 . 138 . LE HCC

    Enième tentative contre la Cote 137 . Enième échec . Nous nous sommes repliés
avec nos blessés . Nous avons aussi ramené dans la tranchée - ils sont allongés sur
le caillebotis - quelques camarades qui ne chanteront plus la Madelon .

- Martial : "C'est le HCC qui a commandé cette géniale attaque , mon capitaine ?
- Le capitaine est épuisé . Il a mené l'assaut à la tête de la compagnie . Il ôte son
casque et déboutonne sa vareuse : "Le quoi ?"
- Martial : "Le HCC"
- Le capitaine que cette attaque avortée et meurtrière porte au bord des larmes :
"De quoi parlez-vous , Martial ? … qu'est-ce que c'est que cette chose-là ?"
- Martial : "Vous ne savez pas ce que c'est ?"
- Le capitaine s'essuie le front : "Jamais entendu parler … comment dites-vous ?"
- Martial , imperturbable : "Le HCC"
- Le capitaine : "…….?………"
- Martial : "Je pense que c'est le HCC … ça leur ressemble"
- Le capitaine se laisse tomber sur une caisse . Il n'en peut plus : "Qu'est-ce que c'est ,
Martial ? … qu'est-ce que vous racontez ? … le HCC , qu'est-ce que c'est ?"
- Martial : "C'est une sorte de club"
- Le capitaine , suspicieux : "Si c'est encore un de vos traits d'humour , Martial …"
- Martial : "De l'humour , mon capitaine ?" . Et il tend le bras vers nos types amochés
et nos camarades tristement morts pour la France .
- Le capitaine regarde par là , sur le caillebotis : "Merde !"
- Martial : "Un club très chic , mon capitaine … n'entre pas qui veut"
- Le capitaine s'est penché en avant . Il enferme son visage entre ses paumes :
"Bon … Martial … dites ce que vous avez à dire …"
- Martial : "Vous voulez savoir ce que c'est que le HCC ?"
- La voix du capitaine parvient étouffée , de l'intérieur de ses mains : "Oui …
dites toujours … ça doit être amusant …"
- Martial : "Pas tellement …"
- Le capitaine relève la tête et regarde Martial qui est resté debout à côté de lui ,
appuyé sur son Lebel : "Alors ?"
- Martial : "Le HCC ? … : les Héros-du-Château-de-Chantilly"
- Le capitaine soupire .
- Martial : "C'est le HCC qui a commandé cette attaque d'une géniale stupidité ?"
- Le capitaine , abattu comme jamais : "J'ai bien peur que oui … oui , c'est le HCC …"

WELWITSCHIA MIRABILIS

    Marcq-en-Baroeul . Dans le jardin de Madame Delplanque . Je la pousse sur son
escarpolette . Elle n'arrête pas de parler . Ses paroles s'envolent et me reviennent par
bribes dans un mouvement pendulaire . Je ne l'écoute pas parce que je sens qu'il y a
dans l'air un de ses projets saugrenus - sinon pourquoi m'a-t-elle fait venir chez elle ? -
mais ses mots empreignent mes tympans de leur crispante stridence : "Angola …
unique … désert …" . Quand la force de gravité la fait fondre sur moi , follement
échevelée et la robe éployée , excitée par la tension des cordes , je la reçois à son point
d'équilibre puis , par une pression de mes paumes subtilement augmentée sur ses reins ,
je la renvoie au bout de son oscillation vers le port buissonneux du houx centenaire qui
borde sa propriété , dans l'axe du portique , et les flocons épars d'altocumulus qui , par
cette belle journée , décorent le ciel de leurs trainées fibreuses . "Assez !" , crie-t-elle
entre deux croassements de la structure et je la laisse baller librement . Mais , sans
attendre qu'elle s'immobilise , je me fais un café court sucré à la machine à café dans sa
cuisine . J'avale une première gorgée brûlante quand je la vois , par la fenêtre , descendre
avec souplesse de la planche , traverser le jardin en remettant sa chevelure et sa robe dans
leurs plis , franchir la porte avec sa mine d'institutrice , se faire elle aussi un café , avant de m'apostropher : "Avez-vous entendu ce que j'ai dit ?" . "Non" . "Nous partons demain
pour l'Angola … Welwitschia Mirabilis … une espèce panchronique , vous savez ce que
c'est ?" . "Non" , dis-je , les fesses appuyées sur le plan de travail . Elle : "C'est unique …
je vous expliquerai dans l'avion … j'ai les billets"

mercredi 20 novembre 2019

TROIS MOUCHES 171 . LE TEMPS GÉOLOGIQUE DE NABOKOV

    Nous habitions dans des cabanes en bois préfabriquées au milieu d'un univers
de granit précambrien . Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient
contre nos chapeaux de paille .

    Trois mouches précambriennes bourdonnent contre la paille boisée de nos cabanes .
Elles fabriquent le chapeau granitique de l'univers au milieu duquel , merveilleusement ,
nous habitons .

    Un univers précambrien de mouches . Un habitat préfabriqué . Des cabanes
vermeilles . Des bourdonnements de granit . Au milieu : trois merveilleux chapeaux
de paille ...

lundi 18 novembre 2019

KRANT 185 . UN VOYAGEUR IMMOBILE

    Krant avait sillonné le globe dans tous les sens . Latitudes , longitudes , il les avait
toutes franchies . Peu d'hommes au monde avaient autant voyagé et peu d'hommes
avaient porté leurs pas dans aussi peu d'endroits . Ceux de Krant avaient usé le teck
de la passerelle et de la salle des cartes , les pavés des darses de Koenigsberg et
- si l'on excepte les quelques ports où , par obligation , il avait quitté le bord - aussi
peu le plancher des vaches que possible . En somme , notre capitaine était un homme
immobile qui bougeait énormément !

    Je m'ouvris de ce paradoxe à Monsieur Lee .

- Monsieur Lee : "Qui parle de bouger avec ses pieds ?"
- Moi : "N'est-ce pas la meilleure façon de transporter un corps ?"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! … les Okakis pensent qu'il n'est nul besoin de bouger
pour aller quelque part … n'est-ce pas la conduite de notre capitaine ?"

samedi 16 novembre 2019

PARADIS 119 . SYNCHROTRON 2

- Dieu appelle le CERN .
- Le CERN : "Allo … le CERN à votre service"
- Dieu : "Anna ?"
- Anna : "Euh , oui , c'est moi … nous nous connaissons ?"
- Dieu : "Je vous ai appelé hier … vous m'avez passé Monsieur Humbert Pasquier et
nous avons été coupés … je peux lui parler ?"
- Anna : "De la part de ?"
- Dieu : "Jéhovah Dieu , horloger … dites bien à Monsieur Pasquier que je n'ai rien à
voir avec Babich Horlogerie"
- Anna : "Oh, Monsieur Pasquier m'a raconté ! … c'est une blague !"
- Dieu : "Anna , croyez-vous en Dieu ?"
- Anna : "Monsieur Dieu … euh , Monsieur-qui-que-vous-soyez , cette plaisanterie a
assez duré … et nous sommes très occupés …"
- Clic !




- Dieu rappelle le CERN .
- Le CERN : "Allo … le CERN à votre service"
- Dieu , avec l'accent du New-Hampshire : "Isaac Howard … Professeur Isaac Howard … Département de physique du M.I.T … Auriez-vous l'obligeance de me passer Humbert
Pasquier du PS ?"
- Anna : "Tout de suite , Professeur"
………. Quelques secondes plus tard ……… :
- HP : "Allo"
- Dieu : "Isaac Howard du M.I.T , Département de physique … bonjour , cher collègue"
- HP : "Euh … bonjour … que puis-je ?"
- Dieu : "Le synchrotron à protons … à quoi ça sert ?"
- HP (!?) : "Ben , à accélérer les protons , pardi !"
- Dieu : "D'où viennent-ils ces protons ?"
- HP : "Ben … du booster"
- Dieu : "Du booster ?"
- HP : "Le PSB … faut bien accélérer les faisceaux de protons du Linac 2 avant de les
injecter dans le synchrotron !"
- Dieu : "Le Linac 2 , m'avez-vous dit ?"
- HP : "Oui … un accélérateur linéaire … les accélérateurs linéaires utilisent des cavités
radiofréquence … bla-bla-bla … les protons franchissent bla-bla-bla … charge positive …
bla-bla … répulsion et une attraction bla-bla-bla … aimants quadripolaires permettent
de …"
- Dieu : "Ouh-la-ouh-la … c'est bien compliqué ! … pourquoi vous ne m'avez pas
demandé ? … je vous aurais expliqué ! … les constituants élémentaires de la matière ,
c'est d'une simplicité … comment dirais-je ? … d'une simplicité biblique !"

vendredi 15 novembre 2019

PARADIS 118 . SYNCHROTRON 1

- Dieu : "Allo-allo-allo ?" … Sonnerie … On décroche :
- Le CERN : "Allo … le CERN à votre service"
- Dieu : "Ah , bonjour ! … à qui ai-je l'honneur ?"
- Le CERN : "Anna"
- Dieu : "Anna ! … bonjour Anna … vous vous occupez du synchrotron à protons ?"
- Anna (rire) : "Oh , mon Dieu , non ! … je suis la standardiste !"
- Dieu : "Ah ! … Anna , pouvez-vous me passer le responsable ?"
- Anna : "Euh … de la part de ?"
- Dieu : "Dieu"
- Anna : "Monsieur Dieu ? … c'est … c'est votre nom ?"
- Dieu : "Je n'en ai pas d'autre"
- Anna : "Votre prénom , Monsieur Dieu ?"
- Dieu : "Mon prénom ? … pourquoi me demandez-vous ça ?"
- Anna : "C'est le règlement , Monsieur … nous devons avoir votre identité complète"
- Dieu : "Yahvé … parfois on m'appelle Jéhovah"
- Anna : "Qu'est-ce que je note ?"
- Dieu : "Allons-y pour Jéhovah … il épelle : J-é-h-o-v-a-h"
- Anna . Elle enregistre sur son ordinateur : "Monsieur Jéhovah Dieu … votre profession ,
Monsieur ?"
- Dieu : "Créateur"
- Anna : "Créateur ? … c'est une profession ?"
- Dieu : "Et comment !!"
- Anna consulte une liste : "Euh , excusez-moi , Monsieur Dieu … je n'ai pas "créateur"
sur ma liste … vous êtes chercheur ?"
- Dieu : "Mettez : horloger … Grand Horloger"
- Anna sur son ordinateur : "Monsieur Jéhovah Dieu - horloger … veuillez patienter ,
je vais vous passer Monsieur Humbert Pasquier , le responsable du PS"
- Dieu : "Le PS ?"
- Anna : "Le synchroton à protons … c'est bien cela que vous vouliez ?"
- Dieu : "Absolument !"
……….. attente ………..
- Une voix : "Humbert Pasquier , du PS"
- Dieu : "Bonjour Monsieur Pasquier"
- HP : "Alors ma montre , où en êtes vous ?"
- Dieu : "Votre montre ?"
- HP : "Ne faites pas l'idiot , mon vieux , ça fait trois semaines que ça devait être fait !"
- Dieu : 'Il y a erreur , je pense"
- HP : "Vous n'êtes pas Babich Horlogerie-Bijouterie ?"
- Dieu : "Non , je suis Dieu"
- HP : "Jehovah Dieu … oui , c'est ce que me dit Anna … vous n'êtes pas l'Horlogerie
Babich ?"
- Dieu : "En aucune façon … je suis Dieu , Créateur de toutes choses"
- HP . Hésitation : "Bon , mon vieux , si c'est une blague … je n'ai pas que ça à faire ,
j'ai des particules à accélérer !"
- "Clic !"

jeudi 7 novembre 2019

AUDIENCE PONTIFICALE 7

    Vatican . Septième audience ! . Ça commence à me coûter cher en billets de train !

- Moi : "Les anges , ce sont des esprits , c'est bien ça ?"
- JP II hoche la tête de haut en bas et de gauche à droite .
- Moi : "Euh … oui ou non ?"
- JP II dodeline de la tête .
- Stanislaw Dziwisz , son Secrétaire particulier : "Quand il fait ça , ça veut dire oui"
- Moi : "Les anges sont de purs esprits ?"
- Dziwisz : "Je suppose que oui"
- Moi , au Saint-Père : "Vous pouvez me confirmer , Saint-Père ?"
- JP II , à nouveau , branle du chef … c'est inexploitable …
- Moi , à Dziwisz : "Que dois-je comprendre ?"
- Dziwisz : "Pas grand-chose , mon pauvre ! … moi-même , je ne …"
- JP II , tout à coup , se tortille sur son trône . Il s'énerve : "Gzwlszyhkzblwsz …"
- Moi : "Qu'est-ce qu'il a dit ?"
- Dziwisz : "C'est du polonais … Le Saint-Père vous dit que c'est un mystère …
qu'il n'y a rien à comprendre là-dedans"

mercredi 6 novembre 2019

DESMOND 117 . DUOS

    Juillet 1971 . Kissinger revient de son voyage secret en Chine , dit Pole I (nom de code)
comme Marco Polo . Il a rencontré Chou En Laï , le Premier Ministre de la République 
Populaire de Chine .  Le lendemain de son retour , le Président nous a réunis dans le Bureau 
Ovale , Kissinger , Alexander Haig son adjoint et moi .

- Le Président : "Alors , Henry … comment avez-vous trouvé notre Stan ?"
- Kissinger : "Stan ?"
- Le Président : "Stan Laurel … notre triste comique chinois …"
- Kissinger : "Vous voulez parler de Chou , Monsieur le Président ?"
- Le Président : "Comment va-t-il ? … avez-vous réussi à le faire rire ?"
- Kissinger : "Euh , non , Monsieur le Président … j'ai bien peur que non … Taïwan …"
- Le Président : "Vous aurez peut-être plus de chance avec le gros"
- Kissinger : "Le Grand Timonier ?"
- Le Président : "Ah oui , le Grand Timonier ! … ne suis-je pas moi aussi une sorte de 
timonier ? … qu'en pensez-vous , Alexander ? … suis-je un grand ou un petit timonier ?"
- Haig : "Monsieur le Président … je …"
- Le Président revient à Kissinger : "Sérieusement , Henry … Stan a-t-il les coudées 
franches ?"
- Kissinger : "Euh …"
- Le Président : "Il paraît que Hardy le tient par les couilles"
- Kissinger : "Attendez , Monsieur le Président … Hardy , c'est lequel des deux ? … 
je ne me souviens plus … c'est le gros ou le petit ?"
- Le Président : "Taïwan … qu'en pense-t-il le gros ?"
- Kissinger : "Je ne sais pas , Monsieur le Président … celui que j'ai vu c'est le maigre"
- Le Président : "Stan ?"
- Kissinger : "Stan , oui …"
- Le Président : "Vous n'avez pas l'air sûr , Henry"
- Kissinger : "C'est-à-dire que … vous … je m'embrouille … j'ai rencontré Chou et il n'est 
absolument pas gros … pas gros du tout !"
- Le Président : "Tout ça m'a l'air confus , Henry … c'est peut-être le décalage horaire ?"
- Haig : "Si je peux me permettre , Monsieur le Président … si l'on suit votre … votre 
métaphore …"
- Le Président : "Ma métaphore !? … quelle métaphore ? … je ne vous suis pas , 
Alexander"
- Moi : "Monsieur le Président , je pense que Monsieur Haig parle de ce duo : Chou 
et Laurel … euh , je veux dire : Chou et … comment s'appelle l'autre ?"
- Kissinger : "Oliver"
- Le Président : "Oliver ? … vous voulez dire que le Grand Timonier est Oliver ?"
- Kissinger, à bout de nerfs : "Oui , c'est cela , Mister President"
- Haig : "Et Chou serait Stan ?"
- Le Président : "Vous avez tout compris , Alexander !"

dimanche 3 novembre 2019

TROIS MOUCHES 170 . PAS LOIN DE CHEZ LOLITA

    De l'autre côté de notre rue , juste en face de notre maison , Berthe et moi remar-
quâmes qu'il y avait une brèche occupée par un terrain vague envahi de mauvaises
herbes avec ici et là des buissons aux couleurs vives , un tas de briques et quelques
planches qui traînaient , et aussi l'écume mauve et chromée de chétives fleurs
d'automne comme on en trouve au bord des routes . Trois mouches vermeilles et
merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .

    Trois vagues de mouches , couleur de brique , avaient envahi le terrain juste en face
de notre maison . Elles écumaient , merveilleuses et chétives , la paille vermeille du
chapeau de Berthe . Au bord de la route , par une vive brèche dans les buissons qui ,
ici et là , bourdonnaient de fleurs mauves , je remarquai un tas de mauvaises planches
qu'occupait l'automne et où traînaient des herbes chromatiques comme on en trouve de
l'autre côté de notre rue .

    Sur la route , juste en face de notre maison , dans une brèche de l'automne , trois
mouches aux vives couleurs occupaient un tas de briques envahi de mauvaises herbes .
Elle bourdonnaient comme ces remarquables buissons bordés de chromes écumants
qu'on trouve ici et là , traînant sur quelque planche chétive ou de l'autre côté de notre
rue sur le terrain vague où Berthe et moi nous émerveillons des fleurs mauves sur nos
chapeaux de paille .

vendredi 1 novembre 2019

FLO 2

    Il me semble que je vous ai déjà parlé de Flo . Le 10 juillet 1992 , à 20h30 ,
juste après le JT , elle m'a quitté . C'était définitif avait-elle affirmé . Elle ne
reviendrait pas . Pourtant , 10 ans plus tard , presque jour pour jour , juste après
le JT un bon moment occupé par la tentative d'assassinat de Jacques Chirac ,
quelqu'un a sonné . J'ai ouvert : c'était Flo (je ne l'ai pas reconnue tout de suite)
avec ses valises . Avant de la laisser entrer (je vivais à l'époque avec Katinka ,
une corniste russe qui roulait les "R" . Non seulement je "vivais" mais je l'avais
 épousée !) , j'ai demandé à Flo si , enfin , elle avait fait le clair en elle . Sa
réponse fut vague . Elle m'a bousculé et s'est installée d'abord dans la chambre
d'amis puis dans notre lit où nous avons dormi à trois pendant une quinzaine de
nuits . Le 1er août , elle nous a quitté sans nous prévenir . Elle a laissé un mot
sur la table du séjour : "Ton dentifrice est vraiment dégueulasse ! . Flo ."

COTE137 . 137 . LE CRAPOUILLOT

    Trève sur le front . Je joue aux cartes avec Bertin et notre téléphoniste . Martial est
assis au fond de la tranchée . Il lit un journal . Il a l'air de drôlement s'amuser : ses
épaules tressautent au rythme de ses gloussements . Le bec de sa pipe trépide entre
ses dents . Le capitaine sort de sa cagna : "Qu'est-ce que vous lisez , Martial ?"
- Martial , toujours gloussant , lève à bout de bras le journal ouvert :
"Ça , mon capitaine !"
- Le capitaine : "Le Crapouillot !?"
- Martial : "Oui … voulez-vous le lire ?… je vous le prête"
- Le capitaine : "Vous n'y pensez pas , Martial ! … ce torchon anarchiste ! …
pas étonnant que ça vous fasse rire !"
- Martial : "Vous avez tort , mon capitaine … c'est vraiment comique !"
- Le capitaine tend le bras : "Donnez-moi ça !"
- Martial referme le journal et le donne au capitaine .
- Le capitaine : "Je vais y jeter un coup d'oeil"
- Martial : "N'oubliez pas de me le rendre , mon capitaine"

    Pendant une heure , nous entendons le rire du capitaine à l'intérieur de son abri ,
d'abord discret puis de moins en moins . Quand il ressort , le journal est plié sous son
bras . Avec son mouchoir , il se tamponne les yeux"
- Martial : "Alors ?"
- Le capitaine hoquète : "Alors quoi ?"
- Martial : "Le journal , mon capitaine … vous l'avez lu ?"
- Le capitaine essaie de se retenir d'hoqueter : "Euh … oui … je l'ai parcouru" ,
parvient-il à dire en s'épongeant les yeux .
- Martial : "Parcouru !? … une heure ! … vous l'avez parcouru de A à Z ! … vous
êtes passé à l'Anarchie , mon capitaine ?"
- Le capitaine ne peut plus se retenir . Il éclate de rire . Les larmes coulent sur ses
joues . "Ah" , dit-il , la poitrine agitée de soubresauts "ça fait du bien !"
- Moi , Bertin et le téléphoniste , bien que nous ne sachions pas de quoi il retourne
- par contagion - nous mettons à nous bidonner .
- Le capitaine en rendant son journal à Martial : "Vous avez raison , Martial …
c'est très drôle ! … diablement drôle ! … n'oubliez pas de me porter le prochain
numéro …"

mercredi 30 octobre 2019

PARADIS 117 . BILAN DE LA CRÉATION

    Dieu tourne en rond dans son atelier , les mains derrière le dos . Ça sent le bilan .
Adam , journée de travail terminée , vient de son champ . Il entre sans frapper . Il
est crevé . Dieu entame un monologue à voix haute et ça tombe bien qu'Adam soit
là , il lui servira d'auditoire : "Assieds-toi !" . Adam s'effondre sur une chaise .

- Dieu : "J'ai créé quelque chose à partir de rien …"
- Adam mâchouille un brin d'herbe . Ses paupières sont à moitié closes .
- Dieu : "Puis , ce quelque chose - du minéral - je l'ai enjolivé : aux éléments natifs ,
j'ai ajouté les sulfures , les oxydes , les carbonates etc … etc …"
- Adam ferme les yeux .
- Dieu : "… et je suis passé au cran supérieur , un saut dans l'inconnu : l'organique ,
la Vie !" . Dieu s'arrête de marcher comme stupéfait par sa propre intrépidité :
"Ai-je bien fait ? … j'étais si tranquille avec le soufre et la calcite !"
- Adam maintenant perçoit une voix lointaine : celle de Dieu .
- Dieu : "Ensuite - je suis incorrigible ! - j'ai compliqué l'organique . J'ai multiplié les
cellules … je les ai spécialisées , combinées et …" . Dieu suspend son discours , effrayé
par la hardiesse de son plan . "… et j'ai inventé la conscience !"
- Adam s'est endormi .
- Dieu : "La conscience … au début , tu comprends , c'était une sorte de conscience
bas de gamme … une toute petite conscience , mais réfléchie quand même … j'ai mis
du "je" dans un chat pour qu'il s'aperçoive que le mulot qu'il met en pièces , ça n'est
pas lui … de même que le chat de la voisine qui lui dispute sa gamelle , c'est un autre
chat"
- Adam : "Rrrr-rrrr …"
- Dieu : "Après - qu'est-ce qui m'a pris ? - me suis-je laissé emporter par mon euphorie
créatrice - tout cela fonctionnait si merveilleusement ! - alors , j'ai mis au point la cons-
cience réflexive … je t'ai donné , Adam , à toi et à tes semblables - pas aux chats - la
possibilité de te penser toi-même et de te pencher sur ta propre conscience"
- Adam se réveille .
- Dieu se tourne vers lui : "Tu ne dis rien ?"
- Adam s'étire . Adam se frotte les yeux . Adam bâille .
- Dieu reprend sa marche circulaire : "Et pour couronner le tout , je t'ai fourni la cons-
cience morale !"
- Adam : "……………"
- Dieu écarte les bras de chaque côté de sa nuée de gloire : "Là , fiasco total !"
- Adam , soudain intéressé : "Tu veux que je m'en occupe ?"
- Dieu : "Surtout pas !!"

mardi 29 octobre 2019

AUDIENCE PONTIFICALE 6



    Vatican . Salle des Audiences Pontificales :

- Moi : "La Sainte Trinité"
- JP II : "………."
- Moi : "Le Père , le Fils et le Saint-Esprit"
- JP II : "………."
- Moi : "Saint-Père … qu'est-ce que vous en pensez ?"
- JP II : "………."
- Moi : "C'est curieux , non ? … un Dieu unique en trois personnes !"
- JP II : "………."
- Moi : "Dieu a promis d'envoyer son Fils … ça fait deux"
- JP II : "………."
- Moi : "… et Jésus parle de son Père à tout bout de champ … ça fait toujours deux :
lui et son Père … les mêmes … je compte bien ?"
- JP II : "………."
- Moi : "Mais le Saint-Esprit ?"
- JP II : "………."
- Moi : "Vous ne dites rien ?"
- JP II : "Miummiummiummium"
- Moi : "Hein ?"
- Un hallebardier : "Notre Saint-Père le Pape vous a béni … circulez !"

lundi 28 octobre 2019

POLACCA

    Il n'y a qu'un dépanneur à Polacca . Dan Monongye est un indien hopi . Son aïeul
est un fermier , Poo La Ka Ka (Polacca est son anthropotoponyme) , fondateur invo-
lontaire de la ville - du bourg dira-t-on car Polacca , avec à peine 2000 habitants , ne
mérite pas l'appellation de ville . Dan a pas mal de compétences : garagiste ainsi qu'en
témoigne la vieille dépanneuse Mack stationnée sur son terre-plein , plombier , élec-
tricien , réparateur d'électro-ménager ; il fait aussi office de cabaretier et , occasionnel-
lement , de pharmacien . Il n'y a pas si longtemps , dans les années cinquante , on
parvenait à Polacca par un chemin caillouteux ou par le Polacca Wash , l'un des quatre
"lavages" qui drainent le plateau de Black Mesa . Il (ce bourg) se trouve aujourd'hui à
l'intersection de deux routes : un axe est-ouest - l'Arizona State Route 267 - qui permet
de relier Gallup à Tuba City et la Route Sud depuis Winslow . Au point de jonction de
ces deux voies , le carrefour est équipé de feux tricolores opérationnels pendant les
week-ends et battant en semaine d'un morne et solitaire clignotement orange . C'est à
cet endroit que Dan a construit de ses mains et sans autorisation un garage (avec pompe
gasoil) auquel il a adjoint par la suite un abri en planches et tôles où il stocke ses outils ,
ses pièces détachées , ses matériaux , ses fûts de bière , et dans lequel il a réservé quel-
ques mètres carrés pour le bar , ouvert jour et nuit , toute l'année même le dimanche et
les jours fériés . Bien entendu , le vieux Neil Mahle et sa femme Tawnia sont là pour le
seconder . Quoi d'autre à Polacca ? : des logements sans charme pour 2000 habitants
dont le revenu par tête est l'un des plus bas du pays (10.381 dollars) et dont 39% vit
sous le seuil de pauvreté fédéral . Il y a aussi un Bureau de poste (code postal : 86042) ,
trois églises incompréhensibles , et un centre de désintoxication géré par les Alcoholics
Anonymous , animé deux fois par an par un hypnothérapeute de Gallup .

    Tel est , en gros , ce qu'on peut dire d'un Polacca inventé de A à Z .

KRANT 184 . IMMOBILITÉ DU CHAT

    Je venais de me fâcher avec un de mes mécaniciens . Pour me calmer , je montai
sur le pont et gagnai la cuisine de Monsieur Lee . Je me mis à tourner dans ce lieu
exigu en fumant - une fois n'est pas coutume comme disent les français - une de ces
infectes cigarettes du timonier . Hume était assis sur le garde-manger , la queue entre
les pattes . Son regard vert me suivait , interrogateur me sembla-t-il .

- Moi , désignant Hume à Monsieur Lee sans m'arrêter de tourner : "Ce chat me
pose une question"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! …"
- Moi : "………….."
- Monsieur Lee : "Il ne vous demande rien"
- Moi : "………….."
- Monsieur Lee : "… mais il vous dit quelque chose …"
- Moi : "Et que me dit-il ? "
- Monsieur Lee : "Vous n'entendez pas , chef ?"
- Moi , encore un pied dans ma dispute avec le mécanicien : "Que devrais-je entendre ?"
- Monsieur Lee : "Ce que vous dit ce chat"
- Moi : "… Mais … Monsieur Lee … il n'ouvre pas la bouche !"
- Monsieur Lee : "C'est inutile … ce qu'il vous dit se passe de mots …
et de miaulements …"
- Moi : "Un chat ne parle pas que je sache !"
- Monsieur Lee : "Celui-ci me parle à longueur de journée"
- Moi : "De quoi vous parle-t-il , Monsieur Lee ?"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi !"
- Moi : "Parlez-vous le langage des chats ?"
- Monsieur : "J'apprends … Hume est un bon professeur"
- Moi : "Pouvez-vous traduire ce qu'il me dit ?"
- Monsieur Lee : "Hume vous dit de jeter par dessus bord cette horrible cigarette
et d'arrêter de bouger"

samedi 26 octobre 2019

TROIS MOUCHES 169 . UNE HISTOIRE D'AMOUR ET DE TÉNÈBRES

    Les secrets des autres fascinaient Berthe , non en tant que commérages - qui désirait
qui , qui sortait avec qui , qui avait acheté quoi , pourquoi trois mouches vermeilles et
merveilleuses bourdonnaient contre leurs chapeaux de paille - mais comme une mosaï-
que complexe ou un puzzle géant qu'elle s'appliquait patiemment à assembler , prêtant
une oreille attentive aux conversations , un sourire indulgent , dont elle n'avait pas
conscience , aux lèvres .

    Je sortais avec Berthe . Pourquoi ? : son sourire aux lèvres géantes me fascinaient .
Je lui achetais ou lui prêtais des chapeaux merveilleux aux pailles vermeilles . Mais elle
n'avait pas conscience que ce que je désirais avec mes commérages complexes (je les
appliquais contre son oreille attentive avec la patience d'un assembleur de puzzles)
c'était sa conversation indulgente et la mosaïque de ses secrets .

    Je n'avais pas conscience que Berthe avec une oreille aussi indulgente ne prêtait
aucune attention aux commérages que j'assemblais patiemment sur mes lèvres comme
une mosaïque géante : pourquoi trois mouches bourdonnaient-elles de désirs ? , qui
achetait ces merveilleux chapeaux aux pailles vermeilles ? - non plus à ces autres
secrets sortis de conversations fascinantes . Son sourire appliqué avait la complexité
d'un puzzle .

vendredi 25 octobre 2019

DESMOND 116 . BAGUETTE TÉLESCOPIQUE

    Je suis assis en face du Président , dans son bureau privé .

- Le Président : "Je sors d'une réunion au Pentagone … le SIOP , vous connaissez ?"
- Moi : "Euh … non , Monsieur le Président"
- Lui : "Vous avez de la chance : c'est effrayant ! … SIOP : Single Integrated
Operational Plan … autrement dit : Plan d'Exécution des Frappes Nucléaires … pour
le dire encore autrement : comment réduire l'URSS et la Chine à la surface en téflon
d'une poêle à frire !"
- Moi : "……..!?…….."
- Lui , écrasé dans son fauteuil . Les épaulettes de sa veste sont remontées au niveau
de ses oreilles : "Des gens sérieux : Melvin (note de l'auteur : Melvin Laird Secrétaire
à la Défense) , Earle (re-note : Earle Wheeler , chef d'État-Major interarmées) et un
dénommé Don C. Lamoine que je ne connaissais pas . C'est ce colonel qui tenait la
baguette"
- Moi : "Euh … la baguette … quelle baguette ?"
- Lui , du plat de la main , frappe l'accotoir de son fauteuil : "Oh , vous savez , ces
baguettes télescopiques pour montrer quelque chose sur un tableau … ou une carte
murale … très ingénieux … 1m à peu près , une fois déployée … avec un bout en
feutre pour éviter les bruits métalliques … j'ai trouvé ça très bien … j'ai demandé au
colonel de m'en livrer une … très-très pratique … très astucieux …"
- Silence . Le Président semble revenu en esprit dans cette réunion du Pentagone .
A quoi pense-t-il ? . A la baguette que ce colonel quelque chose va lui faire parvenir
avec une lettre d'obséquiosité dégoûtante ?
- Lui : "C'est terrible ! … Kissinger était là aussi … lui aussi a trouvé cette baguette
très ingénieuse … il a demandé à la manipuler … le colonel a promis de … de …"
- Moi : "…………"
- Lui : "Terrifiant ! … rendez-vous compte , Desmond : Alpha , Bravo et Charlie …
ce sont les trois grandes cibles … 4000 bombes nucléaires … nous les avons en magasin
… il ne restera rien ! … rien !"
- Moi : "…..?……."
- Lui tourne vers moi un visage effaré et des mains écartées devant lui comme pour
me livrer son désespoir : "Ah , il avait belle allure ce fringant colonel … il agitait sa
baguette dans tous les sens … elle frappait les continents sans faire aucun bruit …
grâce au petit bout de feutre , vous comprenez ? … j'en avais le tournis !"

jeudi 24 octobre 2019

DAMIA

    Damia , toujours d'accord . Acceptant fatalement toutes mes décisions .
Les acceptant avec une étrange tristesse détachée . Nouveau papier peint
(pour l'entrée) , intissé vert amande ? : oui . Peut-être préfères-tu celui-ci ,
corail avec ces motifs géométriques ? . Il n'est pas mal non plus . Moi , il
me plaît . Oui , si tu veux . Lequel alors ? . Comme tu veux . La tête légè-
rement inclinée , les paupières baissées vers je ne sais quoi d'accablant ,
un chagrin sans raison pesait sur la commissure de ses lèvres . Dis donc ,
la symphonie de Mahler … la n°7 … ça te dit ? … ce soir , à 20h30 …
Ce soir ? … à 20h30 ? … Mahler ? … elle soupire . Si ça te fait plaisir .
Et cet été , l'Italie , la Toscane , qu'en penses-tu ? … pourquoi pas …
L'Italie … la Toscane … Sa longue chevelure , pourtant flamboyante ,
glissait sur son épaule . Damia , ô Damia ! …

    J'ai fini par en avoir marre ...

PARADIS 116 . JOSUÉ 6.20

    Adam frappe à la porte de l'Atelier .

- Dieu . Il travaille (création) : "Entrez !"
- Adam entre . Il tient un gros livre dans ses mains : "Salut !"
- Dieu : "Adam ! … quelle surprise ! … où étais-tu passé ?"
- Adam : "Tu m'as chassé de chez toi , alors …"
- Dieu : "C'est vrai , je t'ai chassé du Paradis … mais ce n'est pas une raison pour faire
la tête ! … enfin ! tu es là et je ne vais pas te faire une scène … quel bon vent t'amène ?"
- Adam montre le Livre qu'il a dans les mains : "Ça !"
- A la tranche dorée , Dieu reconnaît le Livre : "La Bible ! … tu lis la Bible ?"
- Adam : "Oui , c'est instructif , j'apprends plein de choses"
- Dieu , en bon hôte , furète dans son frigo : "Qu'est-ce que je te sers ? … une Kro ? …"
- Adam pose son livre sur l'établi : "Oui , je veux bien"
- Dieu : "Alors , tu ne m'as pas dit à quoi je dois ta visite"
- Adam : "A Josué 6.20"
- Dieu revient vers l'établi avec deux verres-ballons et deux canettes de Kro : "A quoi ?"
- Adam : "A Josué 6.20"
- Dieu : "Je t'avoue que je ne connais pas la Bible par-coeur … Josué 6-20 , qu'est-ce
que ça raconte ?"
- Adam , pendant que Dieu décapsule les canettes , lit à haute voix : "Ils s'emparèrent
de la ville et vouèrent à la destruction en le passant au fil de l'épée tout ce qui s'y trouvait :
hommes et femmes , enfants et vieillards , jusqu'aux boeufs , aux brebis et aux ânes .
(Josué 6.20)"
- Dieu , scandalisé , laisse tomber le décapsuleur sur l'établi : "Quelle horreur !"
- Adam : "Je te le fais pas dire !"
- Dieu verse la Kro en prenant bien soin d'incliner les verres : "La Kro , c'est ta préférée ?"
- Adam : "C'est tout l'effet que ça te fait ?"
- Dieu : "Qu'est-ce que tu veux dire ? … moi , je la préfère à température ambiante"

mardi 22 octobre 2019

COTE 137 . 136 . VOYANCE

    Martial revient de permission . Nous sommes une dizaine à assister au déballage de
son havresac . Solennel , comme le prêtre dispose sur l'autel ses accessoires liturgiques
avant l'office , il aligne son bric à brac sur la table bancale (réchappée de Montrepont)
où , à l'occasion , le capitaine étale les cartes du secteur . Si nous nous pressons autour
de notre camarade , c'est que cette cérémonie - chaque fois que Martial revient de per-
mission - est rarement exempte de surprises . D'abord , rien que de banal bien qu'allé-
chant car Martial est prodigue : conserves de sardines de Saint-Guénolé , un pot de
moutarde de Dijon , pâté Hénaff , tabac à priser Scotch Snuff (où a-t-il dégoté ça ?) ,
deux bouteilles de cidre - dans une tranchée de première ligne , une épicerie de luxe -
et …

- Le capitaine : "Qu'est-ce que c'est que ça , Martial ?"
- Martial extrait de son sac un objet sphérique et translucide . Il le fait tourner sur les
cinq doigts de sa main gauche : "Une boule de cristal , mon capitaine"
- Le capitaine : "Je vois bien que c'est une boule de cristal ! … qu'est-ce que vous allez
faire avec ça ?"
- Martial : "Mais … mon capitaine … des prédictions , pardi ! … que voulez-vous que
je fasse d'une boule de cristal !?"
- Moi : "Tu crois à ces trucs-là ?"
- Martial , offusqué : "Ces trucs-là !? … il s'agit de voyance , mon vieux ! … c'est une
science : la cristallomancie !"

    Les gars sont maintenant agglutinés , formant un essaim de capotes luisant de pluie ,
comme magnétisé par le pur cristal et ses tournillements au bout des doigts de Martial .

- Le capitaine : "Je vous avoue que je suis sceptique"
- Martial : "Dans cette boule de cristal , mes amis , je vois l'avenir"
- Le capitaine : "Vous pouvez nous faire une démonstration , Martial ?"
- Martial : "Vous voulez , mon capitaine , connaître votre avenir ? … écartez-vous les
gars … apportez-nous deux sièges … je vais dire son avenir à notre capitaine"
- Le capitaine : "Euh … tout compte fait , non ! … sur le front , l'avenir ! … je préfère
ne pas savoir"
- Martial , déçu : "Ah ? … y a-t-il un amateur ?"
- Lourd silence … bon ! , Martial remet la boule de cristal dans son sac … "je pensais
vous faire plaisir"
- Moi : "Martial , personne ne veut connaître l'avenir … mais tu as le don de voyance ,
on n'en doute pas !"
- Le capitaine : "Ne soyez pas désolé , Martial ! … au poker , vous n'avez pas besoin
de boule de cristal pour ratiboiser la solde de vos camarades !"