vendredi 20 octobre 2017

DE LA DIFFICULTÉ DE PENSER

    J'essayai d'obtenir une solution buvable de mes pensées , de les dissoudre dans
un liquide parfaitement limpide et d'observer à travers les parois du tube à essai
les formes accomplies de leurs contours . L'affaire n'était pas simple parce que ,
sans cesse , mes pensées m'échappaient ; elles arrivaient sans prévenir et s'éva-
nouissaient plus vite qu'elles étaient venues . A peine jaillissaient-elles comme
expulsées d'un magma que la cage à mots qui devaient en principe les traduire perdait
elle-même sa forme et que l'informe retournait à l'informe . Le seul moment où il
semblait que je pusse les atteindre , c'est dans le sommeil , mais alors j'étais dans ma
chambre , loin de mes pipettes et quand , excité par la proximité du gibier , je m'éveil-
lais et me trouvais assis entre les draps embrouillés , je ne savais plus à quoi j'avais
pensé .

    Je montai donc un système complexe propre à favoriser la concentration (au sens
de concentré et en opposition à dilution) et dépliai un lit de camp dans mon laboratoire .
J'enfilai par un trou de nez une canule que je reliai à une batterie de ballons plus ou
moins chauffés et plus ou moins agités , raccordés par des compte-gouttes , l'ensemble
géré par informatique et un logiciel tout à fait américain , et j'introduisis dans ce dispo-
sitif mes pensées brutes .

    Elles étaient insolubles et me demeurèrent impénétrables .

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