En toute ville tonitruante , c'est le bruit qu'elle fait qui couvre le craquement de ses
fondations . Marzük avait vécu richement du grand commerce terrestre mais des voies
maritimes concurrentes étaient ouvertes . Des Venise et des Bruges , des Raguse et
Trébizonde menaient de nouvelles danses . Les plus avisés des habitants , sous prétexte
de prendre des vacances ou de fuir les pollutions nuisibles à leurs poumons délicats ,
quittèrent la ville sans tapage . L'avenir était ailleurs , sur les côtes mirifiques et , a ce
sujet , il n'était nul besoin d'affranchir les naïfs .
Car une foule de crève-la-faim et de petits épargnants se pressaient aux portes de
Marzük , mirage du désert , pour obtenir un droit d'entrée , un travail et un permis de
construire . Cela se payait d'or et la ville , qui courait sans le savoir à la faillite , s'enri-
chissait . Mais l'or qu'elle entassait dans ses coffres n'était plus l'or d'antan : c'était un
or qui ne produisait rien ; un or stérile . On continua à bâtir en hauteur et , doucement ,
Marzük s'enfonçait dans le sable . On autorisa les pauvres à construire sur les remparts ;
c'est ce qu'ils firent avec les moyens du bord , formant une banlieue oisive (le travail
s'était mis à manquer) et volontiers hargneuse . On négligea la propreté des rues . Pour
contrebalancer la baisse des rentrées fiscales , l'Administration se débarrassa d'une partie
de sa milice et des services de la voierie . L'insécurité gagnait en même temps que la
crasse , mais toujours , aux portes de la ville , on voulait entrer ; on voulait avoir sa part
du gâteau sans entendre que la tourtière sonnait le creux .
On divisa les palais en appartements HLM , sur les remparts on remplaça les loge-
ments insalubres par des mobil-homes empilables , on combla les niveaux inférieurs
pour construire toujours plus haut et toujours plus mal . Quand enfin on se rendit
compte qu'il n'y avait plus rien à gratter dans ce désert , la population évacua une ville
pestilentielle .
Marzük est aujourd'hui comme ces termitières géantes qu'on voit dans le bush
australien .
FIN
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