Le Président est affaissé dans son fauteuil . Les traits de son visage se sont retirés
dans ses pitoyables bajoues . Il a le teint gris . Sur son bureau : des piles croulantes
de livres , de journaux et de toutes sortes de brochures .
- Lui , désignant ce fatras d'une main désabusée : "On ne m'aime pas , Desmond !"
- Moi : "……………"
- Lui : "On me déteste"
- Moi : "……………"
- Lui . Il cite : "L'abominable Tricky" , "Le Psychopathe" , "La Guimauve" ,
et j'en passe !"
- Moi : "……………"
- Lui . En grimaçant , il s'extrait du fond de son fauteuil et cherche quelque chose dans
le tas : "Il y a même un gars qui préconise de m'assassiner ! … attendez … que je le
trouve" . Il fourgonne dans l'amoncellement de paperasses comme avec un tisonnier et
comme s'il risquait de se brûler . "Ah , voilà" . Il brandit un petit livre au-dessus de sa
tête puis le porte à hauteur de ses lunettes : "Comment s'appelle-t-il ce type ?" Il lit :
"Pablo Neruda … vous connaissez ?"
- Moi : "Euh … Monsieur le Président … c'est un poète chilien … prix Nobel …"
- Lui . Ses yeux écarquillés de stupéfaction se plantent sur ma petite personne d'intel-
lectuel : "Un poète !? … prix Nobel !? …" . Il feuillette le livre : "Vous savez ce qu'il
écrit votre poète , prix Nobel ? … il me compare au Malin … à un ange exterminateur
… un être sanguinaire … il faudrait me ficher un pieu d'argent dans le coeur !" .
Il rejette le volume sur le monceau de publications .
- Moi : "……………"
- Lui . Soupir . Puis me regardant des coussins de son fauteuil où il s'est à nouveau
enfoncé : "Et vous , Desmond , m'aimez-vous ?"
- Moi : "Euh … Monsieur le Président … je …"
- Lui , écartant les mains : "M'aimez-vous au moins un peu ? …"
- Moi , ébranlé par son désespoir : "Oui , Monsieur le Président … bien entendu …
vous m'êtes sympathique"
- Lui . Long silence . Silence interminable . Ses yeux ne me lâchent pas . Ils ne cillent
pas . Puis : "Bien ! … bien ! …" . Il se redresse et sa voix retrouve d'un coup son
irrésistible autorité : "Desmond , appelez Henry … urgent ! … nous allons bombarder
Hanoï !"
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