Il y a , au large de Lulea , deux îles jumelles …
En fait d'îles , Holman et Angeson sont deux bancs de sable accrochés à de perfides
hauts-fonds , si mobiles que les géographes ont renoncé à les fixer sur une carte , se bor-
nant à indiquer par des pointillés leur position supposée , à plus ou moins cinq miles de
la côte où la seule ville digne de ce nom est Lulea .
Les habitants de Lulea ne cultivent ni ne pêchent . Il n'est venu à l'idée d'aucun d'eux
de guider le soc d'une charrue ou tisser les mailles d'un filet . Et si , aux plus grands coef-
ficients de marées , un poète ou un aventurier (il n'y a ni l'un ni l'autre à Lulea) , captivé
par l'opalescence des îles jumelles , avait posé ses paumes sur leurs courbes , dérogeant
aux tabous ancestraux , il aurait reconnu à l'examen ce qu'il savait d'intuition : que de la
fondation au mamelon de quartz rose qui les couronne , Holmon et Angeson sont faites
d'un sable si mouvant que mortel où seul aborde , parfois , à la fin de l'été , un morse
d'Oulu à bout de souffle .
De quoi vivent donc les habitants de Lulea ? . Ils vivent à la marge du grand commerce
maritime …
La nuit , si les énormes nuages qui pèsent d'habitude sur les forêts de sapin débordent
le rivage et voilent aux yeux de capitaines innocents la lune et le fond stellaire de la voie
lactée , hommes et enfants de Lulea s'assemblent sur les dunes qui bordent la ville et plan-
tent là lampions et lanternes pendant que les femmes entonnent des chants siréniens .
A l'aube du lendemain , un soleil livide éclaire le désastre . Pour remercier Holmon et
Angeson , les habitants de Lulea tranchent la tête d'un nouveau-né dans la première ligne
de vagues , au milieu des barriques , cordages , madriers , malles , tables à cartes qui sont
venus ici s'échouer . Jusqu'au soir , ils procèderont à l'inventaire : quoi pour construire des
maisons , quoi pour réparer l'église , quoi pour confectionner des croix et enterrer dignement
les infortunés .
On fera après le compte des cargaisons à recycler .
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