mercredi 26 décembre 2018

DESMOND 95 . STRUCTURES DE LA CELLULE

- "Desmond … dans une heure , je reçois une délégation de biologistes"

    C'est le Président . Au téléphone .

- "J'ai donc une heure pour parfaire mes connaissances dans ce domaine …
une heure ! … vous comprenez , Desmond , je ne veux pas avoir l'air idiot ,
et la biologie je n'y connais rien , mais alors , rien du tout !"
- Moi : "……..?….."
- Lui : "J'ai demandé à Henry de me tuyoter , mais il n'est pas beaucoup plus
fort que moi et il me dit qu'il n'a pas le temps … qu'il doit téléphoner à Chou"
- Moi : "………….."
- Lui : "Quant à Gerald , il ne sait pas qu'il faut un mâle et une femelle pour …
bon … enfin … il n'y a plus que vous …"
- Moi : "Moi ?"
- Lui : "Vous avez bien quelques notions ?"
- Moi : "Euh … ce que j'ai appris à l'école … ce qu'il en reste … mais ça
commence à dater"
- Lui : "Ta-ta-ta ! … vous êtes jeune … moi , la biologie c'était il y a 40 ans …
Madame Baker … Lizbeth Baker … une vieille fille … je chahutais … j'avais
des notes déplorables … je la détestais et , obviously , elle me détestait"
- Un blanc . Quelqu'un est entré dans le Bureau Ovale : "Just a minute , Desmond !" .
A son visiteur : "La liste … thank you , Paul" . A moi : "On vient de m'apporter la
liste des … DAMNED !"
- Moi : "What'up , Mister President ?"
- Lui . Il balbutie : "Non , non ! … I don't believe that !"
- Moi : "…….?….."
- Lui : "Lizbeth Baker ! …"
- Moi : "Mister President ?"
- Lui : "Lizbeth Baker ! … c'est elle qui conduit la délégation … I don't believe that !"
- Moi : "…………."
- Lui : "Desmond , vite ! … rassemblez quelques notions … des notions de base :
les cellules … l'ADN … la reproduction … l'embryon … le système parasympathique …
vite , montez !"

COTE 137 . 117 . BONNE TAMBOUILLE

    Martial prétendait (nous ne sûmes jamais s'il avait inventé cette histoire) qu'il avait
hérité un service en porcelaine de Chine d'une vieille tante .

- Moi : "En porcelaine de Chine !?"
- Lui : "Oui , mon vieux ! … tu verrais la finesse des décors ! … pins parasols , dragons ,
pagodes … mais il y a deux inconvénients …"
- Moi : "Ah … lesquels ?"
- Lui : "C'est très fragile , tu comprends … délicat … et ça ne va pas au feu"
- Moi : "…………."
- Lui , un ton au-dessus : "Très décorée et ça ne va pas au feu !"
- Moi : "Oui , Martial … je ne suis pas sourd !"

    Or , le capitaine revenait d'une inspection à l'autre bout de la tranchée . Déprimé car ,
au Quartier Général , on s'impatiente : qu'on la prenne cette Cote 137 , nom de … !"

- Martial : Vous devez savoir , mon capitaine , que la porcelaine de Chine , ça ne va pas
au feu …"
- Le capitaine , interdit : "Qu'est-ce que vient faire la porcelaine de Chine ici … dans
cette tranchée ?"
- Martial : "Rien , mon capitaine … vous avez raison : la porcelaine de Chine n'a rien à
faire dans cette tranchée puisqu'elle ne va pas au feu"
- Le capitaine et moi : "……..?………."
- Le capitaine : "Je suppose , Martial , qu'il y a un sens caché … qu'il s'agit encore de
l'une de vos paraboles ?"
- Martial : "Parabole !? … vous savez comme les porcelaines de Chine sont joliment
décorées ? …"
- Le capitaine , méfiant : "Oui … oui … de belles décorations , c'est vrai"
- Martial : "Il n'y en a pas ici … mais à l'arrière , dans les châteaux … au Quartier Général
par exemple … richement décorées et qui ne vont jamais au feu"
- Le capitaine passe devant nous . Son pas est pesant . En ouvrant la porte de la casemate :
"Martial , les choses sont ainsi faites : on ne fait pas de la bonne tambouille dans ces
châteaux-là"

lundi 24 décembre 2018

TROIS MOUCHES 143 . PNINE II : L'ORIENT-EXPRESS

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de
paille . On avait arrêté l'Orient-Express avec tous ses passagers , immobilisé dans une
gare de banlieue , sur le quai de laquelle se reflétaient dans les flaques des paysans
pittoresques qui se tenaient là et contemplaient les fenêtres à rideaux des longues et
mystérieuses voitures .

    Des paysans contemplaient les merveilleuses voitures de l'Orient-Express qui
bourdonnaient comme des mouches dans les flaques où elles étaient arrêtées avec
tous leurs passagers . Les pailles vermeilles de leurs chapeaux pittoresques se reflé-
taient dans les fenêtres dont les longs et mystérieux rideaux se tenaient immobiles .
C'était contre un quai , dans la banlieue d'une gare .

    Aux rideaux des fenêtres , des paysans aux chapeaux merveilleux contemplaient
les passagers des voitures de l'Orient-Express à l'arrêt . Ils se tenaient là , immobiles .
Les longues pailles contre le quai de la gare reflétaient le mystère de cette banlieue
où des mouches pittoresques bourdonnaient dans des flaques vermeilles .

PARADIS 97 . PARENTÉS

- Ève . Elle est assise , les jambes ballantes , sur une chaise de l'Atelier . A l'établi ,
Dieu travaille . A quoi ? … "Ranunculus Repens" : Bouton d'Or … Affaire délicate .
L'assemblage des cinq pétales serrés requiert du Créateur une intense concentration :
"C'est qui ta maman ?"
- Dieu sursaute . Les cinq pétales tombent sur le plateau de l'établi . A celle-là , il ne
s'attendait pas : "Ma maman ? … je n'ai pas de maman …"
- Ève : "T'as pas de maman !?"
- Dieu : "Enfin si … si on veut … en un certain sens …"
- Ève : "Comment qu'elle s'appelle ?"
- Dieu . Il improvise en rassemblant les cinq pétales du tranchant de Sa Main :
"Euh … Energie … avec un grand E"
- Ève . Elle rit : "Quel drôle de nom !"
- Dieu . Ouf ! . Il a coupé court à la question fondamentale : "C'est son nom , Ève :
Energie" , et il réajuste sa loupe oculaire .
- Ève : "Et Marie , c'est qui ?"
- Dieu a repris les cinq pétales au bout de sa pince philatélique : "Marie ? …
quelle Marie ?"
- Ève : "Ben … la mère de ton fils !"
- Dieu : "Tu l'as dit : Marie est la mère de mon fils"
- Ève : "Donc , c'est ta femme"
- Dieu . Aïe-aïe , on n'en a pas fini : "Non , Ève … non …"
- Ève : "Ben Jésus , c'est ton fils"
- Dieu . Ça se précise : "Oui , tu as raison … Jésus est mon fils"
- Ève : "Donc …"
- Dieu se redresse et remet à plus tard la création du Bouton d'Or : "Ève … Jésus
est mon fils … Marie est sa mère … et Joseph est son père"
- Ève : "Joseph le charpentier ?"
- Dieu : "Lui-même"
- Ève : "J'y comprend pu rien !"
- Dieu : "………….."
- Ève : "T'es mon père , oui ou non ?"
- Dieu : "Bien sûr que je suis ton père !"
- Ève : "Et Energie est ma grand-mère ?"
- Dieu : "Oui , en quelque sorte …"
- Ève : "Et Jésus , c'est mon frère …"
- Dieu : "Euh … oui , on peut le dire comme ça … Jésus est ton frère … oui …"
- Ève : "T'aurais pas pu le dire plus tôt !?"

samedi 22 décembre 2018

AUX FEMMES . POÈME D'HIVER 2

Ignorez
Les beautés géométriques du coquillage
Et son architecture nécessaire .

Surtout ,
N'allez pas , ô femmes ,
Habiter ces maisons de calcaire !

Votre coquille ,
Il faut la secréter de l'intérieur
Afin que , seule , vous habitiez la vôtre :

Faites-vous , ô femmes , mollusques .

En sorte qu'au printemps
Le poète (par vocation conchyologue)
Découvre au détour de ses plages
Vos nacres vides , abandonnées ,
Mais si près du corps calculées ...

vendredi 21 décembre 2018

ALICE

    Pour moi , aujourd'hui , Alice n'a plus de secrets . Dieu sait si , jadis , quand je la
rencontrai pour la première fois et par la plus étrange des coïncidences à Budapest
sous les candélabres en bronze du Café Gerbeaud , elle n'était que mystère . Or , ce
que je prenais pour mystère était facticité , comme je le découvris deux ans plus tard
quand , tout à fait par hasard , je la trouvai attablée au Tiki-Ti sur Sunset Boulevard
à Los Angeles . Elle tournait une paille dans un milk-shake de fraise à la menthe
fraîche ; ses yeux bleu-lagon clignotèrent comme ceux d'une poupée en celluloïd et
sa petite bouche à peine entrouverte murmura : "Encore vous !? …"

jeudi 20 décembre 2018

DIVAGATIONS PASCALIENNES I

    Réponse à ce qui est à peine une question : pourquoi ai-je bâillé en regardant
les étoiles le 31 décembre 2018 à 23h58 ? . Il y a dans cette pseudo-question un
personnage central : Copernic . Avant lui , c'était sans façon : l'Homme était au
centre du Monde . C'était à son attention et pour son plaisir que les étoiles orbitaient
en lente majesté autour de son jardin . Comment pouvait-il penser que , des quatre
points cardinaux , cette chorégraphie n'était pas faite pour lui ? ; Copernic a foutu
par terre cette féerie : tout ça ne tourne pas autour de toi , imbécile ! ; c'est toi qui
tourne autour de ça . Ta vision est une illusion d'optique égocentrique ! . Depuis
Copernic , on en sait un peu plus , donc - règle sans exception - on n'en sait moins
qu'avant . Il est 23h58 le 31 décembre 2018 et je bâille ...

mercredi 19 décembre 2018

AUX FEMMES . POÈME D'HIVER 1

Hou , hou !
Le vilain hiver a pointé son museau
Sans prévenir
Et le poète ne l'a pas vu venir .

L'été ,
Si rond (s'en souvient-on ?)
A roulé du fait de sa rondeur
Sur l'automne .
Le poète - inconséquent poète -
Léger et confiné en ses rimes ,
A oublié les femmes …

Femmes ,
Écoutez-moi ! :
Gagnez sans tarder (vite !) vos demeures ;
Pas la maison
Où s'infiltre l'air sauvage
Mais le nid douillet d'en vous-mêmes ,
Car votre nid , c'est votre corps
Et c'est là ,
Qu'endormies ou au moins en sommeil ,
Vous passerez l'hiver .

mardi 18 décembre 2018

KRANT 151 . ZANZIBAR

    Il arriva qu'au large de Zanzibar , Krant m'appela sur la passerelle : "Que pensez-
vous de Zanzibar , chef ?"

- Moi : "De Zanzibar , capitaine ? … que devrais-je penser de Zanzibar ?"
- Krant : "Telle est ma question … Zanzibar vous dit-elle quelque chose , bien que
jamais vous n'y accostâtes …"
- Moi : "N'est-ce pas un jeu de dés ? … trois dés … on le joue à trois dés … avec
un cornet … je crois … oui … il me semble …"
- Krant : "Il vous semble bien …"

    Je quittai le capitaine et je croisai Toms dans la coursive :
"Que te dit Zanzibar , Toms ?"

- Toms : "Zanzibar ? … n'est-ce pas un jeu de dés … trois dés … et un cornet …
pourquoi cette question , chef ?"

    Je ne répondis pas et entrai dans la timonerie . Le timonier était appuyé ,
nonchalant ,  sur la barre . Avant que j'eus ouvert la bouche : "Zanzibar , chef ,
ça te dit quelque chose ?"

- Moi : "Ventredieu , oui … c'est un jeu de dés ..;"
- Le timonier , éberlué : "Un jeu de dés !?" … tournant la tête vers tribord où
se profilait une côte dans le crépuscule : "Ces lumières … c'est Zanzibar"

lundi 17 décembre 2018

DESMOND 94 . BRETTON WOODS

    Maison Blanche . 4h du matin . Je sors de la Library où s'est tenue une réunion
nocturne sur la convertibilité du dollar en or . Faut-il la maintenir ? . J'accompagne
le Président . Nous traversons une salle de détente des personnels , évidemment
déserte à cette heure .

- Le Président : "Oh , qu'est-ce que c'est ?"
- Moi . Je me retourne . Le Président s'est arrêté près d'un baby-foot . Mains derrière
le dos et le buste penché sur les huit barres de joueurs , il l'examine , intrigué .
- Lui : "Desmond , qu'est-ce que c'est ?"
- Moi : "Euh … un baby-foot , Monsieur le Président"
- Lui : "Un quoi ?"
- Moi ; "Un baby-foot … un jeu de football"
- Lui . Il s'est redressé . Il tourne vers moi un visage intéressé et soucieux de s'instruire :
"De football ? … comment ça marche ?"
 
Deux autres participants à la réunion entrent dans la pièce : Henry K. et Bob H.

- Le Président : "Avez-vous vu cela , Henry ?"
- H.K. , interloqué (pour une fois , quelque chose l'interloque) par la candeur du Prési-
dent : "Ce baby-foot , Monsieur le Président ?"
- Le Président à nouveau penché sur l'objet dont il analyse les composants . Sa main
droite actionne la barre des trois avants bleus et la gauche , les cinq demis : "Il faut
une balle , non ?"
- H.K. fait le tour du baby-foot et se place en face du Président : "Oui , Monsieur le
Président … il y a un monnayeur là-dessous … je mets une pièce dans cette fente" …
il sort de sa poche de veste un quarter qu'il introduit dans le monnayeur , attrape une
balle qu'il jette sur le terrain . A Bob H. : "Bob , prenez le goal , je tiens les avants …
Monsieur le Président , les avants et les demis bleus" . D'un geste autoritaire et peu
aimable : "Desmond ! … gardez les arrières et le goal du Président !"
- Le Président s'approche , raide et intimidé . Il saisit mollement les deux poignées
signifiées par le Secrétaie d'État . La balle commence à circuler , elle fuse , elle vient
dans les pattes des avants rouges expertement maniées par H.K. … "BING !" sonore .
Le Secrétaire d'État vient de me mettre un but .
- H.K. : "Quand j'étais au City College à New-York , je n'allais pas souvent aux
cours …"
 
Cinq minutes plus tard : 8-0 , en faveur des rouges .

- Le Président : "Desmond , vous êtes une passoire !"
 
6 heures du matin . Le Président a posé la veste , desserré sa cravate et retroussé les
manches de sa chemise . Des auréoles se sont formées sous ses aisselles . 28-0 .

- "Mister President !" . C'est John Bowden Connaly , le Secrétaire du Trésor . Il passe
la tête par la porte : "Qu'est-ce qu'on fait pour la convertibilité ?"
- Le Président , ébouriffé et transpirant : "Attendez , John ! … une minute ,
voulez-vous ! … il faut que j'en mette au moins un !"

dimanche 16 décembre 2018

TROIS MOUCHES 142 . PNINE I : CONTEMPLATION

    Nous contemplions les étoiles .
- "Ce sont des mondes" , dis-je .
- "Ou alors" , fit Berthe en bâillant tandis que trois mouches vermeilles et merveilleuses
bourdonnaient contre nos chapeaux de paille "c'est un épouvantable gâchis . Je soupçonne
qu'en réalité il s'agit d'un cadavre fluorescent , et nous , nous sommes à l'intérieur" .

    Berthe contemplait l'intérieur de mon chapeau .
- "Des pailles étoilées" , fit-elle , "vermeilles et merveilleuses" . Tandis que les cadavres
de trois mouches fluorescentes bâillaient leur épouvantable gâchis , je soupçonnai que ce
monde bourdonne de réalité .

- "Le monde des mouches est une épouvantable réalité" , fis-je .
    Nous contemplions le cadavre fluorescent de trois étoiles . Elles bourdonnaient .
- Berthe bâilla : "Je soupçonne que nous sommes à l'intérieur de nos chapeaux de paille .
Ou alors , il s'agit d'un merveilleux gâchis !"

samedi 15 décembre 2018

RHODODENDRON NAIN

- Madame Delplanque au téléphone : "Nous atterrirons à l'aéroport de Iélozovo"
- Moi : "Combien d'heures d'avion ?"
- Elle : "Dix"
- Moi : "Pffff ! … quelle compagnie ?"
- Elle : "Aeroflot"
- Moi : "Un sur dix s'écrase … vous le savez ?"
- Elle : "Ne soyez pas idiot !"
- Moi : "Nous arrivons à quelle heure ?"
- Elle : "Quatre heures"
- Moi : "Quatre heures ?"
- Elle : "Quatre heures du matin"
- Moi : "Du matin !?"
- Elle : "Oui"
- Moi (après quinze secondes) : "Vous avez réservé un hôtel ?"
- Elle : "Non … on avisera …"
- Moi : "Une voiture ?"
- Elle : "Oui … chez Hertz … une Opel … comme d'habitude"
- Moi : "On nous attend ?"
- Elle : "Oui … Nadezha Oustiojanine"
- Moi : "Qui est-ce ?"
- Elle : "Notre guide … elle sera aussi notre chauffeur … les routes sont piégeuses …"
- Moi : "………………"
- Elle : "Dans l'avion , ils servent un excellent goloubtis"
- Moi : "Qu'est-ce que c'est ?"
- Elle : "Je ne sais pas … des feuilles de chou farcies , avec du riz et de la viande hachée
… je n'en sais pas plus …"
- Moi : "Qu'est-ce que vous allez faire là-bas ?"
- Elle . Elle corrige : "Qu'est-ce que NOUS allons faire là-bas … j'ai les billets …
deux allers"
- Moi : "Comment s'appelle la ville ?"
- Elle : "Petropavlovsk … c'est au Kamtchatka"
- Moi :"Qu'est-ce que vous allez voir à Petro-machin ?"
- Elle : "Rhododendro Camtschaticum"
- Moi : "Un rhododendron ?"
- Elle : "Un rhododendron nain … 20 à 30 centimètres"
- Moi : "Vous comptez en ramener ?"
- Elle : "Oui … pour mon bassin … ce rhodo ne craint pas l'eau stagnante"
- Moi : "… et bien , chère Madame , vous irez seule à Petro-truc-machin ! … je déteste
l'avion - vous le savez - , je déteste le froid , le chou farci et les rhododendrons …
et je déteste les Opel"
- Elle : "Tant pis pour vous"
- Moi (interloqué) : "Vous n'insistez pas ?"
- Elle : "Non"
- Moi : "………?……….."
- Elle : "Mais vous ratez quelque chose : Nadezha , c'est Miss Kamtchatka … une blonde
sublime … super-sexy !" . Elle raccroche .
- Moi : "Allo , allo !"

vendredi 14 décembre 2018

ANNE-CAROLE

    Anne-Carole fut l'une de mes épouses . Elle séparait , prétendait-elle , les ténèbres
de la lumière , besogne opiniâtre qu'elle poursuivait en continu jusque dans notre lit .
Elle pesait en toutes choses le pour et le contre , elle évaluait les avantages et les
inconvénients de chaque décision , décomposait en infinies parties la moindre de mes
objections , décortiquait nos projets à la recherche des points obscurs qui rendaient leur
réalisation illusoire , alléguant que ceci n'était pas conforme au bon sens , que cela
risquait - si l'on n'y prenait garde - de provoquer quelque désagrément , voire de virer
au drame , quoique , en prenant la chose sous une autre perspective … et je voyais de
profil son joli buste appuyé sur une pile d'oreillers et ses doigts touchant ses lèvres
quand une nouvelle supputation venait inscrire une ombre menaçante dans son
soliloque et qu'elle se mettait en demeure de couper en huit ce qui l'était déjà en quatre .

    Et moi , je finissais par m'endormir . En dix ans de vie commune , jamais nous ne
changeâmes le papier peint de la salle à manger .

jeudi 13 décembre 2018

MONIA

    Elle est brune et je préfère les blondes . Elle a le port altier et j'aime , moi , le cou
dodu des femmes rondes . Elle est cultivée et j'abhorre chez les femmes la culture .
Je suis laid et je parle à tort et à travers . Mais elle m'aime . Qu'y faire ? . Je supporte
depuis vingt ans son amour , ses baisers , ses arguments , ses démonstrations et ses
syllogismes sans failles . Puis-je fuir ? . Je ne le peux pas . Il y a des femmes-pièges
et des pièges en fil de soie . Le sien , enduit de phéromone , m'encercle . L'écho de
mes mouvements vibre sur l'élégante géométrie de sa toile . Elle sait où je suis , où
me trouver , elle sait ce que je pense , il n'y a qu'une chose que j'ai su lui cacher :
c'est que je ne l'aime pas .

mercredi 12 décembre 2018

KRANT 150 . TOHU-BOHU DU GRAND COMMERCE

    Nous avions posé les bordages du Kritik contre un quai d'Heiligenhafen . Nos
madriers - ceux qui se trouveraient demain dans nos soutes - étaient là-bas , posés
sur des cales , mais les grues chargeaient devant nous un vraquier . Nous étions - loi
des ports actifs - contraints à l'attente . Krant avait tiré sur la passerelle une chaise du
carré . Il était assis . Hume était sur ses genoux et j'étais , appuyé sur la cloison , à côté
du capitaine . A terre , en-dessous de nous , une foule sans nombre bougeait et
palabrait , s'invectivait dans toutes sortes de parlers , gutturaux , angles et saxons ,
ornés d'accents , ou des langues mornes et sans timbre , gribouillait des contrats ,
faisait sur des bouts de papier des additions rapides et des comptes prometteurs , tirait
des plans sur la comète , bâtissait des châteaux en Espagne , escomptait des profits
aussi mirifiques que rapides , échangeait des monnaies , donnait des ordres , autorisait ,
signait , conseillait , menaçait , vantait ses produits , surestimait sa cargaison , disputait
à un autre chien une tête de hareng , entrait la main de l'un sur l'épaule de l'autre dans
une taverne du port, concluait devant un verre de bière , criait , protestait de sa bonne
foi , crachait sur le pavé sa chique , tombait dans les bras d'un camarade oublié ,
proposait ses services , louait sa force ou son corps car roulait sur des hanches la
grande affaire du sexe . Ce brouhaha montait jusqu'à nous avec ses couleurs , sa
sueur et ses odeurs et il semblait qu'on allait le hisser par-dessus le bastingage comme
un grand poisson vif et luisant , indomptable , impossible à maîtriser mais cependant
pris à l'hameçon .

- Krant : "Qu'est-ce que vous pensez de ceci ?"

    Les oreilles de Hume , frangées de poil vibrionnants , étaient alertées , tournées
vers le tolu-bohu .

- Moi : "A quoi devrais-je penser , capitaine ?"
- Krant , tendant sa pipe vers le quai : "Que pensez-vous de cette multitude ? …
ce chaos … est-ce qu'on peut y comprendre quelque chose ?"
- Moi : "……..?………"
- Krant : "Est-ce qu'il y a dans tout cela un fil conducteur ? … quelque chose que
nous ne voyons pas et qui nous crève les yeux …"
- Moi : "……..?………"
- Krant : "N'est-ce pas la vie ?"

mardi 11 décembre 2018

TROIS MOUCHES 142 . UN ÉTÉ À GRASSE (OU À CANNES ?) Berberova souligne

    On aurait dit qu'elle était en porcelaine , alors que moi j'avais l'impression d'être en
fonte , à mon grand dépit . Vêtue de robes légères , bleu clair et blanches , Berthe était
particulièrement jolie en été , au bord de la mer à Cannes ou sur la terrasse de la maison
à Grasse quand trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos
chapeaux de paille .

    Au bord de la maison de Grasse (ou Cannes ?) , la mer était en porcelaine , particu-
lièrement claire et bleue en été , en dépit des mouches qu'on aurait dit en fonte . Elles
bourdonnaient sur la terrasse contre la jolie robe blanche dont Berthe s'était vêtue et
j'avais , moi , l'impression merveilleuse que la paille de son grand chapeau était légère .

    Une mer de fonte . Et Berthe dans sa jolie robe au bord de la terrasse . Elle m'émer-
veillait au grand dépit de trois mouches bleu porcelaine qui imprimaient la paille claire
de son chapeau . On aurait dit qu'elles étaient vêtues d'un été blanc et léger ; elles bour-
donnaient particulièrement contre la maison de Grasse (ou Cannes ?) .

lundi 10 décembre 2018

PARADIS 95 . UN TROU NOIR ÉGARÉ

- Ève fouine dans les tiroirs de l'établi : 'T'as pu des bonbons Haribo ? … tu sais …
ceux que j'aime bien : les Dragibus ."
- Dieu est à son bureau , plongé dans des calculs complexes (vitesse orbitale et rotation
rétrograde de Vénus) . Distraitement : "Non , Ève … je n'en ai plus … tu les as tous
mangés"
- Ève : "Oh ! … qu'est-ce que c'est ?"
- Dieu , sans se retourner mais d'une inlassable patience : "Tu as trouvé quelque chose ?"
- Ève : "Oui , regarde !" . Elle tient un petit carnet entre le pouce et l'index , à hauteur
des  yeux . Elle le tient comme on tient , avec méfiance et un peu de dégoût , une chose
étrange dont on ignore comment elle s'est trouvée là . Par exemple : un crapaud entre les
draps d'un lit .
- Dieu se retourne : "Qu'est-ce que c'est ? … oh , nom de … !" . Il se lève "Mon carnet !
… je le cherche partout !" . C'est un carnet vert marbré de noir . "Où l'as-tu trouvé ?"
- Ève désigne le tiroir ouvert : "Là … tu l'avais perdu ?"
- Dieu : "Oui … oh , que je suis content !" . Il le prend des mains d'Ève , le pose sur
l'établi et caresse sa couverture .
- Ève : "C'est quoi ?"
- Dieu . De son index , il souligne le titre : "Sagittarius A"
- Ève : "Quès que c'est ?"
- Dieu : "C'est un carnet que j'ai perdu … après le Big-Bang … qu'est-ce qu'il faisait
dans ce tiroir ? … ah , je suis content !"
- Ève : "Pourquoi que t'es content ?"
- Dieu : "Parce que , Ève , j'ai là-dedans le calcul des ondes radio au centre de la
Voie Lactée ! … comprends-tu ?"
- Ève : "Non"
- Dieu : "Ça ne m'étonne pas …"

dimanche 9 décembre 2018

COTE 137 . 116 . VON KLÜCK

    Martial et moi sommes de permission . Nous avons pris le train pour Paris mais ,
à la gare de Crécy-la-Chapelle , Martial est descendu sur le quai : "Vieux , allons
voir les arbres , les champs , les fleurs ! … Paris peut attendre , non ?" . Et voilà
qu'au lieu de boire une bière à la terrasse d'un bistro de Montmartre , nous flânons
entre deux haies d'aubépine et caressons le museau des vaches aux abords de
Crécy-la-Chapelle . Martial est intarissable . Tout à coup :

- "Tu sais à quoi j'ai rêvé la nuit dernière ?"
- Moi : "Non , Martial … dis-moi"
- Lui : "J'ai rêvé que j'étais en patrouille et que je capturais le général Von Klück …
je le ramenais dans la tranchée" . Martial glousse ; "La tête du capitaine !"
- Moi : "Quel drôle de rêve !"

    Vient vers nous sur le même sentier un homme moustachu , la cinquantaine , avec
un fusil de chasse en bandoulière . Un paysan du coin , supposai-je ou , peut-être ,
le garde-chasse , rubicond , ventru et bonhomme , portant casquette … oui , le
garde-chasse …

- Martial : "Ça alors !? … regarde qui vient !"
- Moi : "Tu le connais ?"
- Lui : "Bien entendu que je le connais ! … c'est Von Klück !"
- Moi : "…….?………"

    L'homme s'approche . Il s'apprête à nous saluer . Saluer deux braves poilus retour
du front . Il touche sa casquette et sourit . Martial va droit sur lui : Hände hoch !" .
L'homme se fige , bouche bée . Il recule d'un pas . Martial saisit la bandoulière et tire
dessus , faisant tournoyer le malheureux . Il s'empare du fusil . L'homme recule d'un
autre pas mais Martial est sur lui . Il hurle : "Hände hoch ! … toi pas comprendre
allemand ?"
- Moi : "Martial ! … qu'est-ce qui te prend ? … tu es fou !?"
- L'homme : "Mais … Monsieur !" . Martial pointe le fusil de chasse sur la panse de
l'infortuné .
- Martial : "Ah , ah ! … Von Klück ! … lève les bras ! … schnell !"
- L'homme : "Mais …"
- Moi : "Arrête , Martial !"
- Martial : "Mains sur la tête ! … toi être fait , Von Klück !"

    L'homme met les mains sur la tête . Sa casquette est à terre . Il recule , le canon de
son propre fusil enfoncé dans le bide .

- Martial : "Papier" (en allemand) … toi donner papiers !"
- L'homme : "Mais , mais …"
- Moi . J'attrape Martial par la manche : "Martial , arrête !"
- Martial soudain débonnaire , à l'homme : "C'est une blague , vieux … baisse les bras" .
Il lui rend son fusil et ramasse la casquette .
- L'homme , livide : "Mais , mais … qu'est-ce …"
- Martial lui tire la moustache : "Toi pas ressembler à Von Klück … toi pas prussien …
toi pas avoir l'air méchant … Von Klück plus mince … Von Klück hargneux …
non , toi pas être Von Klück"
- Moi . J'entraîne Martial : "Allez , viens ! … ça suffit !"

    Nous nous éloignons . Nous laissons le pauvre gars pantelant sur le bord du chemin ,
le fusil dans une main , la casquette dans l'autre .

- Martial se retourne : "Bien le bonjour à Guillaume !"

samedi 8 décembre 2018

MARIAGE CHEZ DES APICULTEURS

   Elle a mis sa robe à rayures d'abeille et mes parents , pour l'occasion (si rares occasions !)
ont délaissé leurs ruches ; aussi , l'air frémit-il comme un gâteau de miel . Comme Papa et
Maman sont beaux dans leur habit de cérémonie qu'ils arborent avec une modestie d'api-
culteurs ! . "Sous les meilleurs auspices" , voilà , dit mon père , féru d'antiquités romaines ,
comment s'annonce la soirée . Et , de fait , nous avons tout pour être heureux ; sauf que ,
sous le large bord de mon chapeau noir , stagne , légère mais entêtante , si peu perceptible
qu'elle semble une illusion mais plus j'essaie de la chasser , plus elle se tapit et s'installe
comme une fausse teigne dans l'obscurité d'un rucher , menace dérisoire et se faisant toute
petite pour le paraître , et j'entrevoie sans l'avouer qu'un jour elle me tuera : une odeur
de renard mort .

- Moi , chuchotant à son oreille : "Sens-tu ?"
- Elle prend la main que j'ai posée sur son épaule : "Tes parents …" . Elle rit de son petit
rire moqueur . "Ils sentent le miel , tu sais bien …"
- Moi : "Non , c'est autre chose … cette odeur fade"
- Elle , rassurante et sombre : "Ce n'est rien , mon chéri … l'odeur d'un renard mort …"

    Ah , sur les épaules de belle-maman , ce col à la rousseur pathétique !

vendredi 7 décembre 2018

L'ATTENTE

    Fort à parier qu'elle attend quelqu'un , mais peut-être vient-il d'apparaître ce
quelqu'un - ou cette quelqu'une - sous le passage arqué des charmilles , essoufflé(e?) ,
car il (elle?) est  en retard , on avait dit midi , non ? , il s'excusera (ou elle) , tu n'as pas
idée cette circulation ! ou , Machin , cet importun , ou , tu sais ce que c'est les affaires ! ,
il lui baisera la  main , elle lui baisera les joues , il ou elle s'assoiera , ils se regarderont ,
elle droit dans les  yeux avec le sourire de celle qui ne croit pas aux excuses , eux , l'oeil
vagabond , chercheront dans les tables alentours des raisons de croire à leur fable , puis
il lui prendra les doigts ou elle lui fera la moue pour - ma chérie , ne m'en veux pas -
et elle , gracieuse , posera son menton entre ses mains ; parleront-ils d'amour , de biens
immobiliers (un héritage?) , de "L'Inconnu du Nord-Express" qu'il faut avoir lu abso-
lument , proposera-t-il un apéritif - pour me faire pardonner - Martini ? ou elle , Super
Étoile ou Coquelicot quand le garçon , noeud papillon : et pour ces (Messieurs ?)-Dames ?

jeudi 6 décembre 2018

KRANT 149 . RÊVE ET RÉALITÉ

    Ce que j'ai vu - les entrepôts de Zonguldak , les pauvres hères de Liverpool ,
les palmiers de Broken Bay - j'aurais pu l'imaginer . Je me serais épargné ces milliers
de miles marins , ces mers sans fin et ces escales puantes . Mais je devais gagner ma
vie et il y a fort à parier que j'aurais , binant mon potager , imaginé autre chose et
j'aurais fait un autre voyage .

    Voilà ce que je disais ce soir-là au capitaine , comme nous dominions la foule
criarde de Manakara , accoudés au bastingage du Kritik .

- Krant : "Vous êtes un rêveur , chef !"

    A la porte d'un baraquement , deux indigènes étaient au bord d'en venir aux mains .
L'un ,  à demi-nu , découvrait une dentition féroce et disproportionnée ; l'autre agitait
au-dessus de son maigre corps des bras si mobiles qu'on aurait dit les pattes d'une
araignée . Leurs paroles étaient noyées dans le flot des milliers d'autres proférées par
des centaines de langues roulant les R contre leurs dents , crachées par d'innombrables
gosiers , articulées par le claquement des lèvres de cette humanité affairée et qui frap-
paient la coque du Kritik comme un clapot .

- Moi : "Ces deux-là se disputent une femme"
- Krant , sourcils arqués : "Qu'en savez-vous ?"
- Moi : "Je n'en sais rien , capitaine … peut-être s'agit-il d'une dette … un conflit com-
mercial … ou une histoire de famille … mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a
une femme là-dessous …"

    Un attroupement s'était formé . Les deux gesticulaient . Autour on riait ou on cherchait
à comprendre . Soudain , l'un des protagonistes plongea le bras derrière la cloison du
baraquement et en extirpa une jeune fille voilée qu'il jeta aux pieds de l'autre avant de
quitter la place en invoquant les cieux et la malédiction .

- Krant : "Vous aviez raison , chef … c'est une femme … vous rêvez juste …
les voyages que vous auriez imaginés en binant votre potager sont ceux que vous avez
faits … croyez-moi …"

DESMOND 93 . L'ART DE CONJUGUER

    Octobre 1972 . Bureau Ovale . Je donne son cours de français au Président . Il a
 ouvert devant lui le Bescherelle que je lui ai offert .

- Le Président : "La grammaire française ouvre des perspectives enthousiasmantes , non ?"
- Moi : "Euh … que voulez-vous dire , Monsieur le Président ? … à quoi pensez-vous ?"
- Lui : "La conjugaison … la nôtre n'est pas à la hauteur" dit-il en tapotant son "Art de
conjuguer" … peut-être que je me trompe , Desmond … le spécialiste c'est vous …"
- Moi : "……….."
- Lui : "J'étais dans mon lit cette nuit … je n'arrivais pas à dormir … Pat ronfle et les négo-
ciations sur la limitation des armes stratégiques tournent en rond … alors , j'ai feuilleté mon
Bescherelle … c'est extraordinaire ! … ces temps … ces modes … ces formes …"
- Moi : "……….."
- Lui : "Je dois avouer que je m'y perds … ces français sont devilishly (diablement)
compliqués ! … mais quelle maestria !"
- Moi : "……….."
- Lui . Il tourne les pages : "Ceci par exemple : le futur antérieur ! … vous connaissez !"
- Moi : "Oui , Monsieur le Président … oui …"
- Lui : "Bien sûr , suis-je bête ! … nous n'avons pas ce truc-la chez nous …"
- Moi : "C'est exact , Monsieur le Président … ce temps n'existe pas dans la langue
anglaise"
- Lui : "Rendez-vous compte : si j'ai bien compris , ça permet de considérer comme
accompli un événement qui ne s'est pas encore produit ! … it's fantastic !"
- Moi : "……….."
- Lui : "Par exemple : dans quinze jours , je serai élu pour un deuxième mandat !"
- Moi : "……….."
- Lui . Il brandit son Bescherelle : "Damn'it , Desmond ! … on devrait leur piquer l'idée
aux frenchies !"

mardi 4 décembre 2018

TROIS MOUCHES 141 . CREVAISON A GREENVILLE ("Entre eux" . R.F)

    Il y a eu cette crevaison qui nous a surpris tous trois au milieu du pont sur le Mississipi ,
à Greenville . Là-haut , au-dessus du fleuve . Ma mère est restée dans la voiture et mon
père est sorti changer le pneu ; elle me serrait si fort que je n'arrivais plus à respirer .
Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .

    Trois mouches ont surpris ma mère au milieu du pont , au-dessus du fleuve qui bour-
donnait comme un pneu crevé . Le Mississipi serrait si fort Greenville que mon père est
sorti de la voiture pour changer de chapeau . Là-haut , les pailles vermeilles n'arrivaient
plus à respirer .

    Le Mississipi respirait contre la voiture de mon père . Il nous serrait si fort que ma
mère sortit et changea le pneu crevé . Là-haut , trois mouches vermeilles restées au milieu
du pont de Greenville bourdonnaient comme un fleuve sur nos chapeaux de paille .

lundi 3 décembre 2018

PARADIS 94 . BABEL

- "Professeur Baratine ? … ici Dieu … Dieu le Père …"
- "Buongiorno"
- "Buongiorno , Monsieur le Professeur … dites-moi … il y a une chose qui me
turlupine …"
- "Si"
- "Peut-être pouvez-vous m'éclairer"
- "Si"
- "Je ne suis pas spécialiste en la matière … c'est une des choses indépendantes
de Ma Volonté …"
- "Qual è il problema adesso ?"
- "Les langues"
- "Lingue … si …"
- "Moi-même je n'en parle couramment qu'une … une sorte de latin compréhensible
par tous"
- "Si"
- "J'apprends qu'il y a de par le monde environ 5000 langues ! … voire plus ! …"
- "Esatto"
- "C'est stupéfiant !!"
- "Si"
- "Quelle est la cause de ce désordre , Professeur ?"
- "Non è un disastro"
- "Excusez-moi , Professeur , je ne parle pas un mot d'italien !"
- Le Professeur , en latin : "Probe novamus omnes turbationem peccato importatam
in homines ipsius congruentiam" *
- "You're right , Professor !"
- "Haben sie sonst noch fragen ?"
- "No , gratias"
- "Speek je nederlands ?"
- "Een betje"
- "Zweeds ?"
- "Jag gör det . Au revoir , Professeur et encore merci"
- "Non c'é di che"
- "My tailor is rich !"

* Pour ceux qui ont perdu leur latin : "Nous connaissons bien le désordre que le péché
a introduit dans l'harmonie de l'être humain"


dimanche 2 décembre 2018

COTE 137 . 115 . HOMOLOGIE

    Patrouille . Avec Martial . Patrouille et trouille . Je ne m'y ferai jamais .

- "Tu as remarqué ?" , dit Martial
- Moi : "Quoi ?"
- Lui : "Patrouille …"
- Moi : "Quoi , patrouille ?"
- lui : "Patrouille et trouille … tu as remarqué ?"
- Moi : "Oui"

    Nous nous asseyons au fond d'un trou , pas loin de la cote 137 . Les gouttes d''une
pluie lourde font sur la boue des impacts ronds .

- Martial : "J'ai un truc pour la trouille"
- Moi . Je claque des dents . De froid . De peur . De tension : "Tu crois que c'est l'endroit
pour … on ferait mieux de …"
- Lui : "Laisse-moi t'expliquer"
- Moi : "……….."
- Lui : "Patrouille et trouille ont une similitude regrettable , tu l'admets ?"
- Moi : "Oui … bon … alors ?"
- Lui : "Quand tu prononces l'un , tu penses à l'autre … et vice-versa"
- Moi : "Oui … peut-être …"
- Lui . Il a posé son fusil en travers de ses genoux : "J'ai un truc"
- Moi : "…..?….."
- Lui : "Ça t'intéresse ?"
- Moi : "Non … enfin , oui …"
- Lui : "Il suffit de changer les mots … trouver des nouvelles ressemblances"
- Moi : "Bon , Martial … grouille ! … on va se faire repérer"
- Lui : "Une patrouille , c'est quoi ? … est-ce qu'on peut remplacer "patrouille" par un
autre mot ? … par exemple : "ronde" … "faire une ronde" … c'est à peu près la même
chose , non ?"
- Moi : "Oui … et alors ? … qu'est-ce que ça change ?"
- Lui : "Comment qu'est-ce que ça change !? … ça change tout !"
- Moi : "Je ne vois pas"
- Lui : "Ronde" , ça te fait penser à quoi ?"
- Moi : "A rien … allez , viens ! … tirons-nous d'ici !"

    Nous nous levons péniblement , sucés par la boue . Je me hisse au bord du cratère .
Martial me suit .

- "Moi" , dit-il "ça me fait penser à "blonde" .

samedi 1 décembre 2018

LES AMIS DU CONSERVATOIRE

C'était une idée de Mike ;

La température était descendue à moins 35° ,
Pourquoi pas une photo de groupe sur le lac
(Huron . Etat du Michigan)
A l'embouchure de la Rivière au Sable ?

Mes amis du Conservatoire étaient d'accord
Et même enthousiastes
Mais nous avons attendu Mike
Au moins une demi-heure .

Quand il s'est pointé avec un Rolleiflex 6x6
A 2 objectifs et visée par-dessus
Nous étions transis , et si transis
Que nous n'eûmes pas le courage de le maudire .

vendredi 30 novembre 2018

KRANT 148 . AUTOUR DU SEL

    Les dockers avaient remplis de sel la grande soute babord du Kritik . Toute la journée ,
entre l'entrepont et nos mâts de charge , ils avaient traversé l'espace torride d'un pas rapide
et saccadé , fourni sans relâche nos palans et laissé sur le sol la trace blanche de ce labeur
d'esclaves . En guise de réconfort , Vinc s'était assis sur le dernier monticule de sacs qu'il
fallait encore charger et s'élevait de son instrument la fumée légère qui parfume nos forêts
au temps des essarts . Une partie de l'équipage faisait cercle autour de lui , mêlée aux
gamins en haillons et aux dockers non moins dépenaillés , calcinés et comme barbouillés
de chaux , pendant que l'autre s'était agglutinée contre le bastingage . Nous entendions
notre lointaine nature et les indigènes la leur , si différente et cependant si proche , car
Vinc est un sorcier . Le timonier était à côté de moi . Des larmes coulaient sur ses joues
râpeuses . Quand la dernière note se fut irréversiblement dissipée dans la fin de l'après-
midi , nous serrâmes les épaules des dockers et nous regagnâmes le Kritik . Je posai ma
main sur la nuque du timonier .

- Moi : "Tu es triste , timonier"
- Lui , interloqué : "Triste !? … moi !? …"
- Moi : "Tu pleures"
- Lui et son rire mauvais : "Ah , ah , chef ! … celui qui me verra pleurer ! … par les clous
du Christ ! …"
- Moi : "Mais ces larmes qui coulent sur tes joues ?"
- Lui , tâtant ses joues humides : "Ce ne sont pas les miennes"
- Moi : "A qui donc sont-elles , ces larmes ?"
- Lui : "Ces larmes ? … ces larmes sont les tiennes … elles sont celles de ceux qui n'ont
pas pleuré en écoutant Vinc …"
- Moi : "……..?……….."

jeudi 29 novembre 2018

DESMOND 92 . STAGE 2

- "Entrez !"

    Le Président m'a demandé de passer dans son bureau privé . J'entre . Assisté de
Maryline , il signe des executive orders avec son stylo à plume .

- Sans lever les yeux et sans s'arrêter de signer : "Asseyez-vous , Desmond"
- "Bonjour Monsieur le Président"
- "Bonjour , Desmond" … Cric-cric , la plume d'or toupille … cric-cric … pffft …
les pages du signataire tournent et tournent comme les ailes d'un moulin , animées par les
doigts cyanocrylatés de Maryline … "Pat vous a dit ?"
- Moi : "Pat ? … euh , Madame la Présidente ?"
- Cric-cric … "Oui … pour mon stage …"
- Moi . Aïe : "Euh , oui … elle m'en a parlé …"
- Lui . Cric-cric … pffft … : "Alors ?"
- Moi : "Alors ,  Monsieur le Président … alors …"
- Lui : "Oui … alors … qu'est-ce qu'elle en pense ?"
- Moi : "Euh … Monsieur le président …"
- Lui : "Et vous ?"
- Moi : "Moi ?"
- Cric-cric … cric … : "Vous … qu'est-ce que vous en pensez ?"
- Moi : "Euh …"
- Lui : "Maryline n'est pas d'accord"
- Maryline . Je la regarde debout à côté du Président et le tournoiement de cet interminable
signataire . Elle : "Je trouve que c'est complètement idiot !"
- Lui : "Maryline , ça suffit ! … je vous ai demandé votre avis hier … je l'ai enregistré ,
c'est bon … n'en rajoutez pas … allez , dégagez avec ce signataire , j'ai mal au poignet …
allez , Maryline , ouste !"

    Maryline sort . Quelles hanches ! . Le Président la (les) suit des yeux . Puis il recule son
fauteuil , se cale sur le dossier et croise les jambes : "Alors Desmond … votre avis"
- Moi : "Euh …"
- Lui : "C'est bien ce que je pensais"

mercredi 28 novembre 2018

DESMOND 91 . STAGE 1

- "Toc-toc-toc" . A la porte de mon bureau . J'ai pourtant demandé qu'on ne me
dérange pas . Je suis sur un discours que le Président doit prononcer avant les
élections de mi-mandat .

- Agacé : "Come in !" (je ne traduis pas)
- La porte s'entrouvre . Un profil féminin s'infiltre dans l'entrebâillement : "Je ne vous
dérange pas , Desmond ?"
- Shit ! … c'est la First Lady … Pat … je me lève fissa : "Non , bien entendu , Madame
la Présidente … vous savez bien , vous ne me dérangez jamais !"
- Elle entre , vêtue de son tailleur jaune Geoffrey Beene : "Pour l'amour du ciel ,
Desmond ! … cessez avec votre "Madame la Présidente"! … Pat … appelez-moi Pat ! …
nous nous connaissons depuis si longtemps"
- Moi : "How can I help you , Madame la … euh , Pat …"
- Elle : "C'est au sujet de mon mari" . (Je l'aurais parié)
- Moi : "……………"
- Elle : "Vous n'allez pas le croire , Desmond ! … this is absolutely appaling (sidérant) !"
- Moi : "…….?…….."
- Elle : "Un stage … il veut faire un stage en entreprise !"
- Moi : "……..??……"
- Elle : "C'est Bob qui lui a soufflé cette idée ! … quel crétin !"
- Moi : "Bob ? … Bob qui ?"
- Elle : "Bob Haldeman" (Note :c'est le chef de cabinet de la Maison Blanche)
- Moi : "Un stage de quoi , Madame la … euh , Pat ? …"
- Elle : "Un stage de plomberie"
- Moi : "……..???….."
- Elle : "Haldeman lui a trouvé une entreprise … et un chantier"
- Moi : "Un chantier ? … le Président ??"
- Elle : "Mon mari dit qu'il ne sait rien faire de ses dix doigts … qu'il doit apprendre ! …"
- Moi : "C'est … c'est …"
- Elle : "Il faut absolument empêché ça , Desmond !"
- Moi : "C'est stupéfiant !"
- Elle : "You said it !"
- Moi : "Où est ce chantier ?"
- Elle : "Ici … à Washington … dans un hôtel … à côté du Kennedy Center … vous le
connaissez certainement : le Watergate" .

                                                                                                       (à suivre …)

mardi 27 novembre 2018

TROIS MOUCHES 140 . L'ACCOMPAGNATRICE

    Berthe se reposa cinq minutes , caressa le chat , but une demi-tasse de thé refroidi ,
me fit raconter mon enfance . Mais je n'avais rien à raconter . Trois mouches vermeilles
et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .

    Un chat racontait son enfance à cinq mouches . Il la raconta en trois minutes et demi
puis se reposa . Berthe le caressa en buvant une tasse de thé froid . Je n'avais rien à faire
que bourdonner contre son chapeau de paille .

    Mon chat reposait contre Berthe . Elle lui racontait son enfance mais , comme moi je
n'avais rien à raconter , je buvais du thé pendant que les minutes refroidissaient : cinq ,
trois … puis une demie . Je caressais ma tasse . Une mouche vermeille , émerveillée par
mon chapeau de paille , bourdonnait .

PARADIS 93 . ESQUIMAU À 2 COUPS

    Affichage sur la porte de l'Atelier : "De l'opportunité d'une Création" . Tel est le thème
d'une conférence que Dieu donne à l'Humanité . Adam et Ève , en tant que potentialité de
l'espèce , y sont conviés . On remplit les salles avec ce qu'on a sous la main . Ève , râvie :
à l'entracte , elle distribuera les esquimaux , oeuvres de Dieu comme toutes choses et un
peu de la Société Gervais . Adam , morose : ça l'embête cette conférence . Il a autre chose
à faire mais Dieu l'a invité ; il n'a pas pu se défiler .

    C'est l'heure . Adam et Ève sont assis côte à côte sur le pupitre d'écolier . Ève lève le
doigt :
- "Je peux faire pipi ?"
- Dieu : "Dépêche-toi , Ève … tu ne pouvais pas y penser avant ?"

    Ève sort . En attendant , Dieu remue ses papiers pour meubler cette préface urologique .
Seul avec Adam qu'il devine mal disposé , il ne sait pas quoi dire alors , remuer ses papiers ,
ça lui donne une contenance .

    Ève se rasseoit .

- Dieu : "Bon , on peut commencer ?"
- Ève , enjouée , repasse sa natte par-dessus son épaule nue : "Vas-y , Di-Di … on t'écoute"
- Adam , maussade : "Ouais … vas-y"
- Dieu , docte : "Si je vous ai réuni ce soir - c'est un plaisir de vous voir si nombreux - c'est …"
- Ève : "Ben !? … on n'est que deux !"
- Dieu : "Ève … c'est pas si mal … c'est pour vous faire part d'une question qui …"
- Ève : "Quelle question ?"
- Dieu : "J'allais y venir … la question de …"
- Ève : "J'adore les questions !"
- Adam : "Bon , tais-toi ! … laisse-le parler à la fin !"
- Ève frappe l'épaule d'Adam : "Ah , m'embête pas ! … j'dis c'que j'veux !"
- Dieu : "Ève !"
- Ève : "……………."
- Dieu : "La question est la suivante : ai-je bien fait de créer un monde ?"
- Ricanement . C'est Adam .
- Dieu : "Qu'est-ce qu'il y a , Adam ?"
- Adam : "Vas-y … continue … t'as bien fait ou pas ?"
- Dieu : "Euh … c'est le thème de ma conférence … il y a des développements"
- Adam se lève et sort . Avant de fermer la porte : "Un monde ou pas ? … on s'en fout :
il est là"

    Triste soirée . Ève suce sans plaisir un Crokim à la fraise , l'esquimau à 2 coups de
Gervais . Dieu range ses papiers inutiles : l'absence de Création (le Néant) , ça n'intéresse
personne . Adam lui-même , dans son champ qu'éclaire une maigre lune , regrette d'avoir ,
par sa sortie inopinée , offensé son Créateur .

dimanche 25 novembre 2018

COTE 137 . 114 . PORCELAINE DE SAXE

    Fait exceptionnel , proprement insolite : il fait beau ! . Le soleil brille au-dessus du
champ de bataille . Un oiseau chante , puis deux , puis une multitude . J'essaie de les
reconnaître : moineaux , une grive , le tsiih d'un rouge-gorge et autre chose aussi , un
bruissement léger . Qu'est-ce que c'est ? . Il n'existe plus ni chênes ni hêtres ni arbres
d'aucune sorte dans le secteur et pourtant ce sont bien leurs feuilles qu'agite un vent
désinvolte . Pas la moindre canonnade . Émerge d'une brume délicate comme on en
voyait avant la guerre les matins d'été le clocher de Montrepont . Mais c'est impossible :
Montrepont n'existe plus . Martial , le capitaine , Bertin et un général - je ne reviens pas
sur son nom : Devernay … Debernet … De quelque chose , mais qu'importe , un général -
tapent le carton . Ils sont sortis de la tranchée et ont planté quatre sièges défoncés autour
d'une caisse de biscuits … Martial abat un as de coeur et rafle les mises . De l'autre côté ,
les allemands aussi sont sortis de leurs trous . Ils boivent . L'un d'eux marche sur les mains :
ses camarades applaudissent . Coups de feu . Les allemands lancent des assiettes en l'air …
c'est de la porcelaine de Saxe . Les assiettes montent , montent dans le ciel d'azur , ralen-
tissent , se stabilisent au plus haut de leur course et - pan ! - elles explosent en mille
miettes multicolores . Les boches tirent , puis les nôtres et le général lui-même maintient
un éventail de cartes dans sa main gauche et canarde de la droite avec son revolver .
Martial étale triomphalement des suites de rois , de dames et de valets . On rit , on
s'esclaffe , la porcelaine vole en éclats . Après les assiettes , ce sont des tasses délicates
aux deux épées entrecroisées , plus difficiles à atteindre - certaines échappent au désastre -
des soucoupes , des saucières , des ramequins , une soupière se disloque , puis des verres ,
coupes , flutes en cristal de Bohême éclatent et font sur la cote 137 une pluie de quartz .
Un fridolin m'entre dans les côtes le canon de son fusil : "Komm schon , aufwachen ,
mein freund !" . Je ne comprends pas . Je veux qu'on me foute la paix . "Ich bin müde !"
sont les seuls mots d'allemand que je connais . "Ich bin müde ! … fatigué … ich bin
müde !" . On me secoue . J'ouvre les yeux . Il pleut sur ma capote . Le visage de Martial
est penché sur moi . Il n'est pas rasé . Un énorme nuage noir passe au ras de son casque .
"Qu'est-ce que tu racontes , vieux !? … réveille-toi ! … on attaque dans cinq minutes !"

samedi 24 novembre 2018

JULIETTE

Sa soeur Juliette (La soeur de Mike)
Pas vraiment bien dans sa peau .

Sexe , matérialisme , consommation à outrance .

Mike a pris cette photo
(Vous ne la voyez pas , imaginez-la !)
Un dimanche .
C'était dans la maison de Neil ,
Son père ,
A l'embouchure de la Rivière Au Sable
(Lac Huron . Michigan)

Juliette était saoule .
Elle nous a foutu dehors .

Canon EOS 650
Synchro Flash au 1/125 sec .

vendredi 23 novembre 2018

KRANT 147 . AFRIQUE À VENDRE … PRIX BAS

    Quand l'indigène jetait l'anneau de notre aussière , elle claquait dans l'eau du port comme
un coup de machette . Il me semblait que nous lâchions un continent . N'étions-nous pas
amarrés à l'Afrique , à Banjul , à ses entrepôts minables que dominait le château du Kritik ? .
L'homme rapetissait à travers le rideau de la mousson . Il était immobile , comme étonné
d'avoir libéré par ce geste minuscule une pareille masse d'acier . Je doutais cependant que
le Kritik se fut mis en mouvement . Il me semblait au contraire que c'était l'Afrique qui
dérivait en emportant sur son quai le docker , les entrepôts et l'énorme mur de la jungle .
L'homme n'agitait pas la main , je le voyais maintenant longer les filins alignés , indifférent
au déluge , parti pour un voyage sans retour car il était peu probable que nous abordions à
Banjul avant la fin des temps , petit homme solitaire parti sans baluchon avec son continent
dévasté .

    Cette vision avait de quoi serrer le coeur car nous emportions dans nos cales le trésor des
Wolof .

DESMOND 90 . LE MESSAGER

    On gratte à la porte de mon bureau . Un chien ? … je me lève , j'ouvre la porte :

- "Checkers !" . C'est Checkers , l'épagneul du Président . Il me fait la fête . J'adore ce chien
et il m'adore . "Checkers ! qu'est-ce que tu fais là ?" . Je bêtifie : "Gentil chien-chien … il
vient dire bonjour à son po-pote Desmond !" . Lui halète , jappe , tourne en rond , remue la
queue , renverse ma corbeille à papier , pose ses pattes sur mon costard . Je le câline , je le
papouille .
- "Qu'est-ce qu'il a là mon chien-chien ?" . Une sorte de pochette est accrochée à son collier :
"Hein , Checkers , c'est quoi ce truc ?"
- "Desmond !" . Je me retourne . Le Président se tient dans l'embrasure de la porte .
- "Oh , Monsieur le Président … Checkers me rend visite"
- "Détrompez-vous , Desmond ! … il est en service commandé"
- "Comment cela , Monsieur le Président ?"
- "Je lui ai demandé d'aller vous voir … mission accomplie … vas voir notre ami Desmond !
… et il y est allé tout droit … c'était un test"
- "Monsieur le Président , il y a plus de cent pièces à la Maison Blanche et Checkers n'est
jamais venu ici ! … comment …"
- "Checkers est un chien très intelligent … si j'avais envoyé Gerald , il se serait perdu dans
les couloirs"
- Moi : "……………."
- "Desmond , vous n'avez rien remarqué ?"
- "Oui , Monsieur le Président … cette pochette , qu'est-ce que c'est ?"
- "Vous n'avez pas regardé à l'intérieur ?"
- "Non , je ne me suis pas permis"
- "Ouvrez , Desmond , ouvrez ! … Checkers est mon nouveau mode de communication …
une sorte de pigeon voyageur d'intérieur"
- Je me penche . J'ouvre la pochette . Elle contient un papier plié en quatre .
- "Et bien , lisez Desmond !"
- Je déplie le papier . Je reconnais l'écriture présidentielle : Desmond , voulez-vous monter ?
J'ai à vous parler . Signature .
- Lui : "Alors ?"
- "Euh , Monsieur le Président … pourquoi pas par le téléphone ?"
- Le Président fait signe à Checkers de sortir : "Oh , Desmond ! … les lignes téléphoniques
sont sur écoutes , vous savez bien !"

mercredi 21 novembre 2018

TROIS MOUCHES 139 . TIGRE EN PAPIER

    Berthe fume en silence . Les panneaux publicitaires clignotent et s'éteignent le long du
périphérique . Un premier train de banlieue glisse au milieu d'éclairs et trois mouches ver-
meilles et merveilleuses bourdonnent contre nos chapeaux de paille . Je lui tapote la
nuque , sous les cheveux .

    Merveilleuses mouches de banlieue ! . Elles glissent le long du périphérique comme un
train d'éclairs , clignotent au milieu des panneaux publicitaires et s'éteignent . Nous nous
tapotons la nuque car , sous nos chapeaux de paille , nos cheveux bourdonnent . Berthe
fume en silence .

    Le bourdon d'une mouche vermeille s'est éteint avec le premier train de banlieue . Berthe
fume . Les merveilleux panneaux publicitaires glissent le long du périphérique et clignotent
sur sa nuque comme de silencieux éclairs . Sous mon chapeau de paille , je me tapote les
cheveux .

BOULE DE GUI

    En plus , il y a du vent . Plus nous montons , plus le peuplier oscille . Elle est au-dessus
de moi . Son harnais est relié au mien par une corde et un système compliqué de mousque-
tons . Mais il n'y a rien à faire : j'ai le vertige . Dix mètres en-dessous , le toit blanc de l'Opel
que nous avons louée à l'agence Hertz de Göteborg ressemble à un mouchoir de poche .
J'étreins l'arbre . "Ecartez-vous du tronc , nom d'une pipe ! … il n'y a pas de raisons d'avoir
peur … il n'y a pas de danger … assurez vos griffes ! …" Pour être assurées , elles le sont , profondément plantées dans l'écorce de ce foutu peuplier . Ce que je vois d'elle - Madame
Delplanque - au-dessus de moi , sont , dans l'ordre où ils se présentent : ses chaussures de
sécurité , ses jambes encore pas mal pour son âge , son short , la tronçonneuse thermique
Oregon accrochée dans son dos , ses lunettes protectrices et son casque . Elle semble parfai-
tement à l'aise , assise sur la corde de rappel . D'où tient-elle cette audace ? . Peut-être de
ses séances d'escarpolette dans son jardin de Marcq-en-Baroeul … "Les plantes épiphytes ,
vous savez ce que c'est ?" . Elle a ouvert un livre . Je le reconnais : "La fabuleuse odyssée
des plantes" par Lucile Allorge-Boiteau (700 pages . 29€) . Je lui ai offert l'an dernier .
"Oui , je sais ce que c'est" , dis-je le menton collé au peuplier . Elle veut reprendre l'ascen-
sion . La corde qui nous relie se tend . "Il y en a une  belle plus haut" . "Pourquoi avez-vous
besoin d'aller plus haut ? . Pourquoi d'ailleurs venir en Suède ? … des boules de gui , il y en
a plein nos belles campagnes ! … moi , je veux descendre" . J'ajoute : "Ce matériel d'élagage
(note : acheté au Flying Tiger de Göteborg) nous a coûté un paquet de couronnes (note : le 6
novembre 2018 à 17h51 , une couronne suédoise valait 0,097€) … j'en ai plus qu'assez ! …
et vous voulez ramener une de ces boules à Marcq-en-Baroeul ! … par Air France !?" (Göte-
borg-Landvette/Roissy-Charles de Gaulle)

lundi 19 novembre 2018

COTE 137 . 113 . PATATES

    C'est du gros . Le sol tremble sous nos pieds . "Du 420" , juge le capitaine … Qu'est-ce
qui leur prend aux boches ?

- Martial : "Qu'est-ce qui leur prend , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "Je n'en sais rien , Martial"
- Martial : "Qu'est-ce qu'ils visent ?"
- Le capitaine : "C'est derrière nous … à un kilomètre …"
- Martial : "A un kilomètre ? … il n'y a rien à écrabouiller avec du 420 à un kilomètre …
pas de fortifications , pas de paisible village …"
- Le capitaine : "Il y a nos roulantes , nos pommes de terre … ils veulent nous affamer"
- Martial : "Nos roulantes !? … nos casseroles et nos pommes de terre avec du 420 !?"
- Le capitaine : "Rassurez-vous … ils perdent leur temps et leurs obus … nos roulantes ,
on les a changées de place … on s'y attendait … elles sont plus à l'ouest"
- Martial : "Qu'est-ce que vous en pensez , mon capitaine ?"
- Le capitaine : "Je pense que c'est de bonne guerre … les pommes de terre , c'est essentiel …
autant que les munitions"
- Martial : "D'accord , mais qu'est-ce que vous en pensez ?"
- Le capitaine : "Qu'est-ce que je pense de quoi ?"
- Martial : "Ce gâchis … ce gâchis des compétences"
- Depuis le début de ce dialogue , le capitaine n'a pas relâché son observation binoculaire
de la cote 137 : "Ce gâchis ? … quel gâchis ? … quelles compétences ? … je ne comprends
pas"
- Martial : "Cette batterie qui pilonne nos arrières … où est-ce qu'elle est ?"
- Le capitaine : "A 20 kilomètres … à peu près ..;"
- Martial : "Mazette ! … à 20 kilomètres !"
- Le capitaine : "……………."
- Martial : "Faut faire des grandes études pour être artilleur ?"
- Le capitaine : "Faut faire l'école d'artillerie … la leur est prestigieuse … une des meilleures
… la meilleure du monde … l'artillerie lourde surtout"
- Martial : "C'est pour ça que je parlais de gâchis … de gâchis des compétences"
- Le capitaine se tourne vers Martial : "Que voulez-vous dire ?"
- Martial : "Faire de si grandes études dans une si prestigieuse école … la meilleure du monde
… pour faire de la purée !"

vendredi 16 novembre 2018

CLAUDIA

Claudia en 1973 .
(Imagine , lecteur , Claudia en 1973)
Pellicule noir et blanc
Ilford Delta 400 Professionnal ,
Papier baryté spécial .

C'était à Los Angeles , si je me souviens bien .
L'appareil de Mike :
Un Pentax ES Reflex mono-objectif .
Il était équipé d'un obturateur électronique
Entièrement automatique ;
Le premier au monde .

Mike l'avait expliqué à Claudia …

Elle s'en foutait .

KRANT 146 . HONORONS-LE

    Dans l'unique configuration d'une lune pleine levée à l'arrière du Kritik et dans son
axe strict , on pouvait voir Monsieur Lee à la poupe , tourné vers l'éclat de notre satellite .
Hume l'accompagnait , la queue tournée vers le ciel . Monsieur Lee portait en cette excep-
tionnelle occasion une tenue de cérémonie ; c'est ainsi que je qualifiais la chasuble brodée
qu'il passait par-dessus sa tenue de cuistot . Il tenait dans ses mains jointes une bougie d'où
s'échappait une fumée jaunâtre qui dérivait en parallèle à celle de mes chaudières et à
notre sillage d'écume . Monsieur Lee s'agenouillait sur le pont puis , caressant Hume d'une
main , il lui présentait de l'autre la bougie . Hume la reniflait avec ce qui semblait une ex-
trêve prudence quoiqu'elle fut mêlée de dévotion . Une fois pénétré de la solennité de
l'instant , il s'asseyait à côté du Grand Prêtre . Monsieur Lee levait trois fois la minuscule
flamme vers la lune puis il la soufflait et jetait la bougie à la mer .

- "Adorez-vous la lune , Monsieur Lee ?" , osai-je demander une de ces nuits .
- "Nullement" , répondit Monsieur Lee … "Je n'adore ni dieux ni astres"
- Moi : "Mais ? …"
- Monsieur Lee : "J'honore le soleil"
- Moi : "N'est-ce pas la lune ?"
- Monsieur Lee : "Hi , hi , hi ! … qui dans la lune reflète sa lumière ?"

jeudi 25 octobre 2018

LES FLEURS DE GYPSE

    La Société Hertz m'a licencié . Motif : manque de résistance physique . Je n'ai pas insisté .
Madame Delplanque prétend que je ne suis pas fait pour un boulot sédentaire . Qu'est-ce
qu'elle en sait ? . Je suis sûr que ça m'aurait convenu et Mélanie , ma collègue , était très
attirante . Bon , n'en parlons plus ! . Elle ne me lâche pas , la mère Delplanque ; je l'ai au
téléphone dix fois par jour pour des projets de voyages insensés : avant-hier au Yemen -
ignore-t-elle qu'il y a là-bas une guerre ? et une autre - ça c'était hier - dans la jungle de
Kachin en Birmanie et , aujourd'hui , elle s'est mis en tête d'explorer les gouffres de l'Île
Diego de Almagro au Chili ! . La spéléo , très peu pour moi ! . J'ai éclaté d'un rire mauvais :
"Il n'y a pas de fleurs dans les grottes ! Les plantes ne peuvent vivre sans lumière , vous le
savez bien !" . "Et les fleurs de gypse !?" , a-t-elle rétorqué . Les bras m'en sont tombés :
"Les fleurs de gypse !! … Madame Delplanque , les fleurs de gypse !!" . "Quoi , les fleurs
de gypse ? … qu'est-ce qu'elles ont les fleurs de gypse ?" . Puisant dans mon savoir géolo-
gique (je ne suis pas mauvais dans ce domaine … disons : un amateur éclairé) , j'ai pris un
ton ironico-didactique : "Les fleurs de gypse , Madame Delplanque , sont des concrétions
de gypse … Ca So4 2H2O … des spéléothèmes , si vous voulez" , ajoutai-je , Trissotin .
"Des quoi ?" . "Des concrétions … des agrégats …" . Suivit un silence navré , puis : "Zut !"
… Moi : "Quoi , zut ?" … "Zut , j'ai commandé une Opel à l'agence Hertz de Puerto
Natales et deux équipements de spéléo au bazar du coin" (note de l'auteur : nous sommes
déjà allés à Puerto Natales . Souvenez-vous : les Lampourdes de Magellan) . Moi : "Décom-
mandez !" . Elle : "Vous êtes sûr de ce que vous dites ? … les fleurs de gypse ne sont pas
des fleurs ?"

    J'ai raccroché .

mercredi 24 octobre 2018

DESMOND 89 . SUCRE D'ORGE 2

- Sonnerie . La ligne sécurisée : "Allo ?" (c'est moi) .
- "Hi , Desmond !" . Le Président . "J'ai vu Henry hier …"
- Je blêmis .
- Le Président : "Il m'a dit pour Maryline" . Rire badin .
- Moi . Voile noir . Je vais tomber dans les pommes .
- Lui : "Ça va fort pour vous … félicitations … Sucre d'Orge , c'est mignon , non ? … 
un peu osé , certes"
- Moi : "………….."
- Lui : "Allo , Desmond ? … vous êtes là ?"
- Moi : "………….."
- Lui : "Desmond !? … Desmond !? … je ne vous ai pas froissé au moins ? … Desmond ?"
- Moi : "… Monsieur le Président …"
- Lui : "Oh , Desmond ! … je sens que vous êtes offensé … I'm really sorry …je ne vou-
lais pas …"
- Moi : "Oh , Monsieur le Président … je ne …"
- Lui : "Well ! … vous savez , Maryline est comme ça … moi-même , elle m'a gratifié 
d'un surnom … quel surnom ! … ah , ah ! … vous voulez savoir ?"
- Moi : "Euh , Monsieur le Président … c'est peut-être indiscret …"
- Lui : "Indiscret ?"
- Moi : "Non … enfin … je"
- Lui : "Il est vrai que Sucre d'Orge … oui … c'est scabreux , je vous l'accorde … le mien , 
c'est pire … et vous avez mille fois raison , je ne peux pas vous le dire …" . Rire polisson . 
"Non , vraiment , je ne peux pas le dire … sacrée Maryline ! … elle n'a pas froid aux yeux , 
hein ?"
- Moi . Ma voix à peine audible : "Non … non ..."
- Lui : "Hein ? … qu'est-ce que vous dites ?"
- Moi : "Non , Monsieur le Président … en effet , elle n'a pas …"
- Lui : "Vous savez comment elle appelle Henry ?"
- Moi : "Euh … non , Monsieur le Président"
- Lui . Rire carrément égrillard : "Ah non , celui-là encore moins … et le Vice-Président … 
Gerald" . (Là , franchement graveleux) . "Ah , Gerald ! … (faussement offusqué) … là ,
elle passe les bornes !! . Non , Desmond , Sucre d'Orge , c'est mignon … vous ne devriez
pas vous formaliser" .
- Il raccroche .

- J'appelle Maryline .
- Elle : "Alloooo ?"
- Moi : "Maryline … c'est Desmond … le Secrétaire d'État , cette vieille fripouille … 
Henry K. … il m'a cafté , c'est malin ! … c'est quoi son surnom ?"
- Elle : "C'est un secret , Sucre d'Orge"

mardi 23 octobre 2018

TROIS MOUCHES 138 . AU RESTAURANT (d'après Amos Oz)

    Trois mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnaient contre nos chapeaux de paille .
Mais , arrivés au restaurant , Berthe et moi trouvâmes notre place habituelle occupée par un
couple de personnes âgées , emmitouflées dans leur manteau , les lunettes sur le nez .

    Un couple de mouches âgées , emmitouflées dans un merveilleux manteau de paille ,
bourdonnaient contre les lunettes qu'elles avaient trouvées sur le nez de Berthe . Avant
qu'elles s'occupent de moi , trois personnes en chapeau , arrivèrent au restaurant à notre
place . C'était des habitués .

    Une mouche habituée du restaurant où Berthe et moi avions notre place s'occupa des
trois personnes âgées au nez vermeil et d'un couple à lunettes arrivés avant nous . Elle les
emmitoufla dans leur manteau et bourdonna si merveilleusement qu'ils ne trouvaient plus
leur chapeau de paille .

lundi 22 octobre 2018

L'ANGÉLIQUE OFFICINALE

    J'ai trouvé un boulot chez Hertz à Arras , 58 Boulevard Carnot (tel 03 21 24 17 06) .
Accueil de la clientèle . Pas de période d'essai , un CDI direct . On a reconnu ma grande
expérience . Comme client , j'apparais dans les fichiers Hertz de la terre entière .

    Premier jour . Lundi 8h . Je prends mon service avec ma jolie collègue : Mélanie . Appel téléphonique . Je décroche : "Allo , Agence Hertz Arras à votre service … je vous écoute"

- "Ah , vous êtes là ! ? … je vous cherche partout ! …"

    Mes cheveux se dressent sur ma tête , je me vide de mon sang , la vitrine de l'Agence
fait un looping , entraînant avec elle le Boulevard Carnot , ses trottoirs , ses piétons , le bus
express de la ligne 4 , la façade de la boulangerie d'en face avec ses baguettes , ses crois-
sants et ses pains au chocolat et ce lent mouvement circulaire s'arrête sur le plafond de
l'Agence , son luminaire fonctionnel et le visage alarmé de Mélanie penchée sur moi :
"Monsieur , Monsieur , ça va ?" , puis celui du Directeur , contrarié : "Qu'est-ce qui lui
prend ?" . On m'allonge sur une banquette . Le Directeur : "Mélanie , appelez un méde-
cin ! … et prenez le téléphone , il y a un client !" . Le téléphone pend au bout de son fil ,
derrière le comptoir . Une voix lointaine , une voix d'un autre monde : "Allo ? Allo ? …" .
"Allo" , voix tremblante de Mélanie "Agence Hertz Arras … je vous écoute … oui …
un incident … oui … il s'est trouvé mal … oui … si , si , il est là , mais … non … l'Agence
de ? … je n'ai pas compris … oui , épelez , je note … Q-a-q-o-r-t-o-q … Qaqortoq … ça se
situe où ? … au Groenland !? … attendez , je me renseigne" . Au Directeur : "Une dame …
Madame Delplanque … elle veut savoir s'il y a une Agence Hertz au Groenland …" . "Au
Groenland !? … comment voulez-vous … je n'en sais rien … raccrochez , Mélanie et appe-
lez un médecin …" . A moi : "Ben mon vieux , ça commence bien !" . Mélanie au télépho-
ne : "Oui , Madame Delplanque … la quoi ? … l'angélique … l'angélique officinale … oui
… excusez-moi , nous avons une urgence"

    Je souffle : "Elle a retrouvé ma trace"

dimanche 21 octobre 2018

PARADIS 92 . COUP DE BALAI

    Dieu range son atelier . Une fois n'est pas coutume . Mais il était temps ! . Quel chaos
c'était ! . Ève entre (combien de fois a-t-elle poussé cette porte ? … dix fois par jour ?) .
"Quès c'que tu fais !?" , s'écrie -t-elle .
- Dieu : "Je range"
- Ève avise l'établi : "Ben dis donc , y a pu rien d'sus !"
- Dieu , appliqué à son balayage : "Rien … pas de création aujourd'hui"
- Ève : "J'ai vu Adam en v'nant"
- Dieu , dans Son Nuage de Poussière : "Il va bien ?"
- Ève , d'un coup de reins - hop ! - s'asseoit sur l'établi , jambes pendantes : "Ç'avait pas l'air"
- Dieu : "Il travaillait ?"
- Ève : "Non … i'était assis au bord du champ"
- Dieu . Balai-balai dans les coins .
- Ève : "I t'en veut"
- Dieu , sans cesser de pousser le balai : "Il m'en veut ? … et de quoi ?"
- Ève : "i'dit que t'l'as foutu à la porte"
- Dieu : "Ttt-ttt … c'est lui qui est parti"
- Ève . Elle balance sa jolie paire de guibolles dans le vide : "C'est pas c'qui dit"
- Dieu balaie-balaie , ploc-ploc .
- Ève : "I'dit qu'tu t'mêles de tout"
- Dieu balaie-balaie , ploc-ploc .
- Ève : "I'dit qu't'es partout"
- Dieu balaie-balaie , ploc-ploc … ploc-ploc …
- Ève : "I'dit qu'i en peut pu"
- Dieu cesse d'agiter son balai . Au contraire , il s'appuie sur le bout de son manche et
regarde sa chère créature assise sur l'établi , à l'endroit même où , singulièrement inspiré ,
il la créa : "Je trouve , Ève , que ta façon de parler se dégrade … c'est quoi ces "quès que",
ces "tl'as" , ces "qu't'es" ?" . Il se remet au travail . Ploc-ploc .
- Ève : "I'dit qu'tu l'aimes pu … i'dit qu'tu l'abandonnes … qu't'en as rien à foutre de lui"
- Dieu se redresse brusquement . Ploc-ploc !? (il était penché sur son ouvrage , sur ce coin
de l'atelier très-très sale) : "Ah non , Ève ! … surveille ton langage !"
- Ève : "…………….."
- Dieu , enroule une serpillère autour de la brosse de son balai : "Adam , Adam ! … faudrait
savoir ! … je suis trop là ou pas assez ?"

samedi 20 octobre 2018

DESMOND 88 . SUCRE D'ORGE 1

    Je suis à la machine à café .

- "Sucre d'orge !"

    C'est cette peste de Maryline ! .

- Moi : "Maryline ! … pas dans le couloir !"
- Elle : "Quoi ? … what's up ?"
- Moi : "On pourrait vous entendre … Sucre d'Orge ! … you realize ?"
- Elle : "Vous êtes catholique , Desmond ?"
- Moi : "Catholique ? … quel rapport ? …….. grand ou petit ?"
- Elle : "Eh ?"
- Moi : "Grand ou petit café ?"
- Elle : "Petit , Darling"

    J'appuie sur le bouton correspondant .

- Moi : "Maryline , please ! … ne m'appelez plus Sucre d'Orge dans le couloir !"
- Elle s'approche de moi , roucoulante . Sa cuisse touche (frotte) ma hanche . Avec ses
talons-aiguilles et son 1m80 , elle me dépasse de vingt centimètres … au moins … et
me toise d'un oeil enjôleur (aguicheur ? racoleur ?) , la paupière érotiquement (il faut
l'avouer) fardée : "Mais je peux ailleurs … dans votre bureau par exemple" . Clin d'oeil
et tirage de langue .
- La machine à café : "Pschuuut"
- Moi . Je lui tends le gobelet brûlant : "Careful , Maryline ! … it's hot !"
- Elle le prend entre ses doigts superbement manucurés : "Ouch ! … you're right !" et le
pose prestement sur le mange-debout .
- Moi : "Sugar ?"
- Elle : "No thanks …… Desmond , are you catholic ? … I think you're a practicing catholic
… a practicing integrist catholic … conservative … fundamentalist …"
- Moi : "… et moi je pense que vous êtes une peste"
- Elle rit : "Cher Sucre d'Orge !"
- Moi : "Maryline , je vous interdis ! … ça va finir par se savoir !"

    Quelqu'un au bout du couloir ! … c'est Dear Henry … il vient vers nous .

- Moi : "Good Lord , Maryline ! … taisez-vous !"
- Henry K. , à dix pas , jovial : "Hi , Maryline !"
- Maryline : "Bonjour , Monsieur le Secrétaire d'État"
- Henry K. : "… Ah who do I see ? … mais c'est ce cher Sucre d'Orge !"

vendredi 19 octobre 2018

SUBTILE ÉGYPTE

C'est très compliqué , l'Egypte .

Il y a les Empires , les Périodes , les Dynasties et ,
Avant notre ère , les comptes à rebours

… et ce qui n'est pas pour simplifier ,
Il y a une Basse et une Haute Égypte !

Un beau jour , Seqénenrê Taâ , roi thébain
Chasse les Hyksôs …
Thoutmosis Ier et son petit-fils Thoutmosis III
Font la guerre aux Nubiens .

Le Nil , lui , suit son cours
Et sur une plage , des dromadaires inépuisables
Longent la Mer Rouge .

Plus tard , bien plus tard ,
Allenby ,
Haut-Commissaire du Protectorat britannique .

L'Égypte , c'est subtil .

jeudi 18 octobre 2018

KRANT 145 . DANS TROIS JOURS À ZANZIBAR

   Les nuits de latitude sud me donnaient le vertige . Leurs ciels sans nuages bruissaient
de quelque chose d'immense . Je renversais la nuque sur les 360° tous azimuts d'une
demi-sphère . Le crissement des os de mon crâne , le gargouillis de mon estomac me
tenaient en suspension molle sur le pont . Le grincement des drisses et le ronron des
pistons Stirling m'étaient consubstantiels (existe-t-il en français un équivalent à ce mot
letton ?) . Je ne les entendais pas . La nuit bruissait d'autre chose et j'allais devenir elle
ou peut-être le gaz d'une étoile … ou un effet de marée entre deux galaxies . Le Kritik
filait sans moi . La fumée des chaudières se dissipait …

- "Chef !"

    Je sursautais . Krant était sur la passerelle . Le fourneau de sa pipe rougeoyait …

- Krant : "Il était temps ! … vous alliez vous envoler …"
- Moi : "……………"
- Krant : "J'ai besoin de vous … dans trois jours , nous serons à Zanzibar"

mercredi 17 octobre 2018

L'INTÉRÊT DE L'ENDROIT , C'EST L'ENVERS

J'ai vécu , enfant , dans une maison
Que le soleil aplatissait sur un dédale de marches .
Mais , de ce lieu aveuglant ,
Je n'ai que le souvenir d'un centre obscur
Où je formais des rêves de forêts .

Primitive était ma cabane
Et c'est elle que j'habitais , autour d'un feu .

mardi 16 octobre 2018

KEVIN

Un cliché de ce crétin de Kevin
Dans sa propriété du Lac Huron (Michigan)
A l'embouchure de la Rivière au Sable .

Mike a pris cette photo en 1970
Avec un des premiers appareils Polaroïd :
Le Polaroïd Automatic 340 .

Mêmes caractéristiques que les 320 et 330
Mais le 340 a en plus quatre gammes d'exposition
Et quatre réglages de sensibilité .

Kevin est un plouc accroché à sa fierté .

lundi 15 octobre 2018

TROIS MOUCHES 137 . C'EST ENCORE MOI QUI SOULIGNE

    J'aperçois Berthe de temps à autres , toujours entre chien et loup au moment où trois
mouches vermeilles et merveilleuses bourdonnent contre les chapeaux de paille . Elle
balance sa balalaïka au rythme de ses pas , puis elle fond dans la nuit comme du papier
à cigarette mouillé que le vent emporte .

    Trois mouches aperçues entre chien et loup : elles emportent les pas de Berthe dans la
nuit vermeille . Au rythme d'une balalaïka , elles se fondent en merveilleux bourdonne-
ments comme des pailles de papier . En d'autres temps , j'aurais balancé mon chapeau et
ma cigarette contre le vent mouillé .

    Les chiens sont comme des loups quand , dans ces nuits merveilleuses où bourdonnent
les balalaïkas , j'aperçois Berthe . A ce moment , le papier mouillé de ma cigarette fond sur
ses pas et , toujours , trois mouches se balancent au rythme du temps et le vent emporte
mon chapeau de paille .

dimanche 14 octobre 2018

UNE CARRIÈRE AVORTÉE

Maire de Périgny la Rose (10400 . Aube) ,
Élu au premier tour (55,16% des voix . Liste RPF-MRP-CNIP)
Le 26 avril 1953 ,
J'ai démissionné le soir même …

A 17h ,
Au cours des jeux intervillages qui ,
Par pure coïncidence ,
Avaient lieu chez nous le jour du scrutin ,
L'équipe de Montpothier nous a battu à plate couture
Au tir à la corde .

La restitution de la coupe
(Nous la détenons depuis le Moyen-Âge . 1314)
A ces gros lourdauds
Aurait été le premier acte de mon mandat .

samedi 13 octobre 2018

COTE 137 . 112 bis. LE LAIT D'HÉRA

    Une des rares nuits claires de la guerre . Voie lactée . Martial s'y entend , on peut dire
qu'il s'y promène . Ailleurs , un obusier de 120 mm s'occupe mollement de réduire
Montrepont en les plus petits morceaux possibles .

- Martial : "La Grande Ourse , la Petite Ourse et , là-bas , Cassiopée avec ses cinq étoiles
… tu vois ?"
- Moi : "Euh …"
- Martial : "La Grande Ourse , merde , tu ne la vois pas !? … la casserole !"
- Moi : "Ah oui , la casserole , oui , je la vois"
- Martial : "La Petite Ourse avec l'Etoile Polaire"
- Moi : "Oui , je la vois … c'est la plus brillante"
- Martial , doctoral : "Alpha Ursae Minoris"
- Moi : "Hein ? … qu'est-ce que tu dis ?"
- Martial : "C'est l'Etoile Polaire"
- Moi : "D'où tiens-tu cette science , Martial ?"
- Martial . Le voilà qui fait le mystérieux : "Ah , c'est une belle histoire !"
- Moi : "………….."
- Martial : "Une très belle histoire !"
- Moi : "………….."

    Nous sommes assis au fond de la tranchée , le cou démonté vers le ciel .

- Martial : "Tu ne veux pas savoir ?"
- Moi . Je me tourne vers lui . Son profil est éclairé par cette giclée de lait qui , je l'appren-
drai bien plus tard et bien après la guerre en lisant un livre de mythologie , jaillit du sein
d'Héra : "Savoir quoi ?"
- Martial : "N'as-tu pas dit à l'instant : d'où tiens-tu cette science , Martial ?"
- Moi : "Oui , tu as raison … j'ai dit ça , et alors ?"
- Martial : "Ça n'a pas l'air de t'intéresser"
- Moi . Je proteste faiblement : "Si-si"
- Martial , vexé : "Bon , n'en parlons plus"

    Il m'a fait la gueule pendant deux jours .

vendredi 12 octobre 2018

PARADIS 91 . UN NOUVEAU TRUC

- "Youp-la-boum , youp-la-boum !" . Dieu danse dans son atelier , sur un pied , puis sur
l'autre et lance en l'air une pince multiprise comme un bâton de majorette .
- Ève entre , comme elle entre là dix fois par jour au moins : "……..?…….."
- Dieu : "Youp-la-boum !" , au risque de prendre la pince sur son nez divin .
- Ève : "Quès qui s'passe !? … quès qui t'arrive !? … fais attention , tu vas te la prendre
sur le nez !"
- La pince tombe sur le sol . Dieu cesse de s'agiter , tourne vers Ève un visage radieux ,
s'approche de Sa Créature préférée et l'entraîne dans une valse à cinq temps : "Droite-
gauche-droite , Ève , droite , gauche , droite-gauche-droite , comme je t'ai appris"
- Ève : "Mais t'es fou ! … quès qui t'prend ?"
- Dieu lâche Ève et tourne sur lui-même comme un derviche mevievi : "J'ai mis au point
un truc sensass … finie la Création à plein temps … Ève , Ève , des vacances , enfin ! …
du repos !"
- Ève : "Arrête de tourner ! … c'est fatigant ! … c'est quoi ce truc que t'as inventé ?"
- Stop . Dieu s'immobilise , face râvie , bras écartés : "Ma chère Ève … les choses vont
se faire d'elles-mêmes … au gré du hasard … du hasard et de la nécessité …"
- Ève : "…….?………"
- Dieu , dans une dernière rotation suivie de peu par une nuée d'anges , derechef face à
Ève : "Tu comprends ?"
- Ève : "Non"
- Dieu se met à marcher de long en large (de l'établi au panneau mural où sont rangées
ses clés plates de 6 à 22) : "Il y a longtemps que j'ai ça en tête … bla-bla-bla … bases
moléculaires … bla-bla-bla … séquence des gènes … structure des chromosomes …
bla-bla-bla …" et Dieu de droite à gauche puis de gauche à droite … "mutations …
bla-bla-bla … changements phénotypiques … bla-bla-bla …"
- Ève : "…….?………"
- Dieu . Arrêt soudain : "Tu comprends ?"
- Ève : "Rien ! … mais alors , rien du tout !!"
- Mais Dieu n'entend pas Ève : "Ah , comme je suis content !"
- Ève : "Comment ça s'appelle ton invention ? … moi , j'ai rien compris … c'est embrouillé
… c'est des mots compliqués … comment ça s'appelle ?"
- Dieu . Ève est là devant lui . Il l'avait oubliée : "Hein ? … qu'est-ce que tu veux dire ?"
- Ève : "Comment ça s'appelle ce truc incompréhensible que t'as inventé ? … que t'as l'air
tout content"
- Dieu . L'Esprit-Saint souffle pas loin : "Euh … attends … on pourrait appeler ça … euh
… oui … oui , c'est ça : l'évolution"

jeudi 11 octobre 2018

KRANT 144 . GORGONE MÉDUSÉE

    Tropique du Capricorne .

    Nous assistions à l'un de ces "merveilleux" couchers de soleil .

- "Quelle merveille !" dit Toms , notre quartier- maître .

    En letton , le mot "merveille" est une boîte à prodiges ; seuls les dieux la manipulent et
c'est à leur bon vouloir qu'elle est ouverte aux hommes .

- Krant : "Merveille !? … il n'y a rien de prodigieux là-dedans … c'est un coucher de soleil
… pas un miracle !"
- Toms , sur sa lancée d'esthète : "... une cascade de lumière ! …"
- Krant : "Comme vous y allez ! … une cascade est une chute d'eau que je sache !"
- Toms : "…………"
- Krant : "Ce que nous voyons , c'est un phénomène particulier de réfractions …"
- Toms : "Mais …"
- Krant : "Pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ? … pourquoi ces métaphores ?
… pourquoi tourner autour du pot ? …"

    A mes lecteurs de langue française (y en a-t-il ?) , c'est ainsi que je traduis l'expression
lettonne du capitaine .

- Moi : "Tourner autour du pot" , capitaine … n'est-ce pas une autre métaphore ?"

    La pipe du capitaine qui passait d'un coin de sa bouche à l'autre se figea . Ma remarque
l'avait-elle médusé ? . Qui dit "médusé" dans toutes les langues du monde se réfère à l'une
des trois gorgones , celle qui changeait en pierre qui la regardait .

- Krant : "Médusé , avez-vous pensé ?" . Il tamponna son fourneau de devin contre le bastin-
gage . "Voyez -vous , chef , nous ne pouvons nous empêcher de dire … ou de penser … les
choses autrement qu'elles sont … peut-être fus-je simplement "surpris" par votre remarque …
quoique "surprise" est aussi une image "

    Le mot "surprise" , son équivalent en letton , induit l'idée d'embuscade . Avais-je pris au
piège un Krant pétrifié ?

mercredi 10 octobre 2018

LA MÈRE DE MIKE : MICHÈLE

Michèle , la mère de Mike .

Elle déteste qu'on la prenne en photo
Et elle déteste Mike .

Il le lui rend bien .
Chaque fois qu'il la voit , il lui tire le portrait
(Ici - vous ne voyez pas la photo mais vous pouvez l'imaginer -
Avec un Nikon D 3200 + AF-S DX VR)
Et elle nous fait une crise d'urticaire cholinergique .

La seule chose qui la calme ,
C'est un week-end à l'embouchure de la Rivière au Sable
(Lac Huron . Michigan) .

mardi 9 octobre 2018

MARIA 4

    Mais qui est cette gamine ? . Une fillette est montée sur l'estrade . "Qu'est-ce que tu
veux ?" . Parker se penche . Elle , réservée , grosse fille aux immenses yeux noirs , pas
vraiment américaine : "J'ai eu combien de voix ?" . Parker : "Hein … qu'est-ce que tu
dis ?" . La Présidente du jury : "Talbott … cette petite a chanté … elle veut savoir com-
bien elle a eu de voix" . Parker se redresse . Il sort de la même poche la même liste et
d'une même autre poche (la poche de poitrine) la paire de lunettes dont il écarte les bran-
ches du même coup sec du poignet . "Je vais te dire ça , petite" , et installe sur son nez
l'instrument optique de ce qui n'est plus une révélation car Leslie a gagné . "Comment
t'appelles-tu ?" . "Maria" . "Maria comment ?" . "Kalogeropoulos … Maria Kalogero-
poulos" . "Comment ?" . Parker cherche sur sa liste . "Comment as-tu dit ?" . "Maria
Kalogeropoulos" . "Maria comment ? … Kalo … Kalo avec un K ?" . A la Présidente :
"Comment s'appelle-t-elle ? … je n'ai pas compris" . La Présidente pose sa main gantée
sur l'épaule de Maria : "Comment t'appelles-tu , ma chérie ? … ton nom … j'ai oublié" .
Maria Kalogeropoulos" . Parker : "C'est pas américain … c'est quoi ? … grec ?" . "Oui ,
c'est grec" , dit Maria . "Ah , j'ai trouvé … Maria Kalo … Karo … poulos … c'est com-
pliqué ton nom" . Soudain réticent : "Tu veux savoir ? … tu veux vraiment ?" . "Oui" .
"Euh … personne n'a voté pour toi , pauvre Maria ! … zéro voix …" . La Présidente
descend de l'estrade avec précaution , ces acrobaties ne sont plus de son âge . Les techni-
ciens entassent le matériel dans un camion . Talbott est seul maintenant avec Maria sur
l'estrade . "Qu'est-ce que tu as chanté ?" . "Norma … casta diva" . "C'est pas américain
… c'est peut-être pour ça … ton nom , c'est ?" . Ka-lo-ge-ro-pou-los" , articule Maria .
"C'est difficile à dire … Kaloge …" , tente Parker . "Mais on peut dire Callas , c'est plus
facile" , dit Maria . L'ange est en vol stationnaire au-dessus de l'estrade .

    "Maria Callas" , répète pensif Talbott Parker ...

MARIA 3

    C'est fait : Leslie White est la diva . Les longues Chevrolet , Cadillac et Chrysler ont
emporté les fillettes . Le menton et les mains posés sur le dossier de la banquette avant ,
elles redisent à leurs parents quel merveilleux après-midi ça a été . "Leslie a gagné" ,
admettent-elles . Par-dessus leur épaule , les mères posent la main sur celle de leur fille ,
consolation , baume au coeur "Tu as été formidable , Stacy … Pearle ou Blondie …
tu étais très bien ma chérie ..." . Le public s'est dispersé dans un tintamarre de chaises ,
sitôt empilées , les piles traînées en un pressant remue-ménage . Sur un lampadaire ,
un couple de pigeons roucoule et là-bas , au sixième étage d'un immeuble de rapport ,
un teckel arlequin jappe . Personne n'a entendu l'ange . Talbott Parker sur l'estrade boit
une bière . Il a desserré sa cravate . Un homme et une dame (la Présidente du jury) con-
versent avec lui . On commente , on épilogue , on se congratule . "Ça s'est bien passé …
la petite Leslie a du talent !" . "Ouais , c'est vrai …" , dit Parker pour dire quelque chose .
D'avoir gueulé toute l'après-midi , ça l'a … il est crevé , il a hâte de rentrer chez lui .
Alentours , les techniciens roulent des câbles et rangent les hauts-parleurs dans leurs
coffres . L'ombre gagne Harrison Street . Il fait plus frais . Talbott Parker tourne le dos
à ses interlocuteurs . Il regarde le soleil qui , dans l'axe de la rue , descend entre les im-
meubles . On n'est pas animateur si on n'aime pas les gens , mais il en a sa claque , Talbott
… vraiment marre ! … et la voiture est garée à deux pâtés de maison , 300 mètres au moins
à se taper à pieds ! … 55 ans … encore pas mal d'années à tirer , des centaines d'animations ,
des fillettes en quête de gloire , des tombolas , des mauvais orchestres , des élections de
miss , des Présidentes parfumées au Youth Dew … oh , my God ! … crevé , je suis crevé !
… enfin , ça s'est bien passé , tout le monde est content … Il regarde la marque de sa bière
sur la bouteille … pas mal … rafraîchissante … un peu pesante sur l'estomac …

                                                                                           (à suivre …)

dimanche 7 octobre 2018

MARIA 2

    Parker déplie le papier blanc (plié en quatre) . Silence dans Harrison Street . Talbott ,
Talbott ! … délivre-nous , dis-nous ! … le papier est à l'envers … retourne-le , Talbott ! …
Talbott Parker retourne le papier . Il décrypte , il hésite … Le nom de l'élue est-il illisible ?
… ou imprononçable ? … Mais déjà Parker , animateur professionnel , avant d'avoir démêlé
les pleins et les déliés de Madame la Présidente , cette dame en robe à fleurs au premier
rang , inquiète ("Nous sommes-nous trompés , avons-nous bien jugé , y avait-il un ange
parmi ces fillettes que nous n'avons pas entendu , cet idiot de Parker sait-il lire ?) , clairon-
ne : "La gagnante est … est … (au bord du dévoilement , le drap glisse mais couvre encore
le nom de l'élue , le coeur de chaque fillette prêt à basculer , cinquante flèches pointées sur
cinquante coeurs) est ……….. Leeeesliiiiie Whiiiite ! … Leslie White …" . Il se tourne vers
les fillettes percées , déçues mais délivrées ("Leslie , où es-tu ? … viens me rejoindre sur
l'estrade !) d'où émerge - rose , blonde , enrobée de volants , Leslie si typiquement améri-
caine , sûre d'elle-même , de sa blondeur , des aigus de sa voix , de son sex-appeal , elle
s'avance , enfant-roi . Elle triomphe évidemment , elle n'a jamais douté , elle agite haut les
mains et envoie à la foule ses baisers (Personne n'a entendu l'ange . Quel ange ?) . Une
dame chapeautée , sortie de la coulisse , lui offre un bouquet . "Qu"est-ce que tu as chanté ,
Leslie , rappelle-nous" , Parker tend son micro à Leslie et sort une fiche de sa veste (le pa-
pier au blanc secret a disparu) , maid Leslie le devance : "Down in the Valley" . "Down in
the Valley" , confirme l'animateur . "Leslie , tu es formidable ! … on l'applaudit !" et lui-
même , bien que tenant son micro et sa fiche , bat des mains . Personne n'a entendu l'ange .
Les longues Chevrolet s'engagent dans Harrison Street .

                                                                                                       (à suivre …)

samedi 6 octobre 2018

MARIA 1

    New York . Harrison Street . 3 juillet 1930 . Concours de chant . 17h . 32° à l'ombre .
"Les résultats !" hurle Talbott Parker , l'animateur . Il agite , agite , sa manche roulée ,
son avant-bras , agite très haut dans le courant d'air étouffant d'Harrison Street le papier
blanc plié en quatre sur le nom de celle "celle , Mesdames et Messieurs , que notre presti-
gieux jury …" avant-bras maintenant tendu à l'horizontale et le papier blanc agité vers
des dames et des messieurs d'âge très mûr , ils s'éventent , ils sont pressés d'en finir mais
témoignent par leurs sourires approbatifs qu'ils sont le prestigieux jury (qui a entendu
l'ange ? : personne) et que c'est de leur débat et de leurs controverses secrètes que résulte
le verdict , "celle que notre jury a élue parmi les cinquante talentueuses jeunes filles …
elles ont si bien chanté ces demoiselles , on les applaudit !" , les cinquante concurrentes
alignées en un cordon convulsif face au jury , de l'autre côté de l'estrade . Le papier blanc
tourne dans le ciel , au bout du bras de Parker . Il enferme dans sa blancheur terrible un
nom , le nom d'une seule (incognito mais déjà paré de gloire) et les espoirs et illusions de
toutes les autres . Cinquante paires d'yeux suivent , exorbités , la zigzagante et aléatoire
trajectoire du papier blanc . Parker sort de la poche de sa chemise une paire de lunettes .
D'un coup sec du poignet , il écarte les branches puis il ajuste sur son nez cet instrument
optique de la révélation . Les choses et les êtres , alors , suspendent leurs productions :
la foule des parents , amis et voisins son brouhaha , les hauts-parleurs leurs grésillements ,
ses vibrations le métro aérien , sur un lampadaire un couple de pigeons ses roucoulements ,
les postes de radio dans les appartements les plus élevés leurs sinueuses et instables récep-
tions , la chaleur son rayonnement et l'univers lui-même son bruit fossile . Toutefois relève-
t-on l'aboiement lointain d'un teckel arlequin dans l'ondoyant voilage d'un sixième étage ,
sanctionné par une porte claquée . Silence donc dans Harrison Street , enfin …

                                                                                                       (à suivre …)

vendredi 5 octobre 2018

LA COMTESSE

Moi ,
Comtesse Amélie de la Folye ,
Blasonnée d'azur à trois roseaux d'or rangés en pal
Et chargés d'une merlette de sable ,
Admets que le temps a passé .

Sur ma jeunesse ,
Sur mon rimmel (London . Stay Matte . 7€99 le tube)

Aussi sur mon château de Saint-André-les-Vergers (10120 . Aube) ,
Délabré .

C'est pour me consoler que ,
Les jours de fête ,
J'orne mon bibi d'une coiffe burlesque en plumes noires et rouges
(15€25 TTC . Déguiz Fêtes . Offres d'hiver : - 50%)

Total : 15€61 , remise comprise .

jeudi 4 octobre 2018

TROIS MOUCHES 136 . RÉCEPTION CHEZ TONIO KROGER

    Quand trois mouches vermeilles et merveilleuses se mirent à bourdonner contre nos
chapeaux de paille , la musique se tut . Il y eut une pause et l'on passa des rafraîchisse-
ments . Le commis principal s'empressait en personne , avec un plateau de salade aux
harengs , et servait les dames . Devant Berthe il mit même un genou en terre en lui pré-
sentant la petite coupe , ce qui la fit rougir de plaisir .

    Berthe servait les rafraîchissements aux dames dans des coupes vermeilles avec pailles .
Elle avait de la terre sur les genoux , ce qui la fit rougir . Elle présenta même le plateau
au commis principal en personne . Une petite musique se mit à bourdonner et trois mou-
ches qui passaient s'empressèrent autour de la salade de harengs . Il y eut une pause et ,
de plaisir , nous nous tûmes et mîmes nos chapeaux .

    La musique bourdonnante des mouches fit une pause . Quand elles se turent , le commis
principal s'empressa autour des dames et de leurs chapeaux . C'est avec plaisir que Berthe
lui présenta ses merveilleux genoux quand il passa devant elle chargé d'un plateau de
rafraîchissements avec pailles , de salades et de petites coupes en terre où les harengs eux-
mêmes se mirent à rougir .

mercredi 3 octobre 2018

KRANT 143 . SOUCIS , BAUME AU COEUR

    Il y a sur les océans des lieux cousins germains de nos terrains vagues , mais ceux-là
aussi éloignés des continents que ceux-ci sont au coeur de nos villes , si intriqués qu'on
les a oubliés et abandonnés aux ronces . Entre deux courants ou deux familles de vent
sont ces espaces marins où il ne se passe rien et où il n'y a à faire qu'à attendre . On bas-
cule d'un système dans un autre comme un pendule au bout de son oscillation , quand
mouvement et temps s'annulent . A certains êtres , l'inaction est insupportable et l'absence
de préoccupations , la porte ouverte à l'angoisse .

    Toms était prostré sur un banc de la coursive .

- Moi : "Toms , as-tu des soucis ?"
- Lui : "Non … j'aimerais tant en avoir …"
- Moi "……..?…….."
- Lui : "… je m'ennuie … je n'ai rien à faire … qu'est-ce que je peux faire ?"
- Moi : "Dans deux jours ça ira mieux … nous serons à Saint-Georges … un tas de
tracas t'attendent là-bas …"
- Toms , maussade : "…………."
- Moi , à court d'arguments : "Dors !"
- Toms : "Dormir !? … c'est comme mourir …"
- Moi : "…….?……."
- Toms : "Sais-tu que nous allons mourir ?"
- Moi : "Toms ! … est-ce un souci ?"
- Toms : "Non … c'est le contraire d'un souci … l'angoisse"
- Moi : "…….?……."
- Toms . Il soupire : "Qu'est-ce que je pourrais bien faire ? …"

mardi 2 octobre 2018

LE PÈRE DE MIKE : NEIL

Imaginez la photo .

Ici , en robe de chambre ,
Dans la maison qu'il a construite de ses propres mains
A l'embouchure de la Rivière au Sable
(Lac Huron . Michigan)

Sur la table basse ,
Une théière et une tasse en porcelaine de Chine .
C'est pour Neil un rituel :
Le thé avant la toilette .

Rien de bien passionnant dans sa vie ,
A part qu'il fut le premier homme à poser le pied sur la lune …

Mike a pris cette photo
Avec un Hasselblad Lunar Mahogany Hand Grip .

lundi 1 octobre 2018

VUE SUR MER

Les bords de mer ,
Ce sont ces inévitables bateaux .

Au loin . Ennui .

Quand ils passent
Sur la ligne qu'on appelle horizon ,
Chargés dont ne sait qui
Dont ne sait quoi

Pareils d'un jour sur l'autre

Et puis un soir ,
A la fin du mois d'août ,
Les vacances sont finies .