L'enfer …
L'artillerie allemande pilonne notre position . Même la pluie ne peut plus tomber .
C'est un orage de fer : l'air gronde et se déchire , traversé d'éclairs et d'horribles siffle-
ments . Du 305 ou du 390 . Ça vous perfore les tympans , ça vous troue la terre et vous
l'expédie dans le ciel et la terre retombe sur nos casques par giclées . Les remblais cèdent
sous d'énormes pressions , les chevaux de frise se tordent et les barbelés sont emportés .
Nous sommes tassés au fond de la tranchée . Une ombre , a demi courbée , longe le boyau
et m'agrippe : c'est Martial . Son casque heurte le mien . Aux mouvements de ses lèvres ,
je comprends qu'il hurle quelque chose et il tend le bras vers l'abri qui nous sert de cantine .
Mais , dans ce chaos , il n'y a que le diable pour entendre . Martial rampe vers le capitaine
appuyé sur le parapet , jumelles fixées sur la cote 137 . Le capitaine s'attend à une attaque
au sol . Martial s'abat sur lui en vociférant . Le capitaine ne comprend pas ; il le repousse .
Un obus de 305 poinçonne la terre à moins de 40 mètres . Nous rentrons la tête dans les
épaules , c'est fini … la guerre prend fin ici et nous prenons en travers de nos capotes une
vague de terre . Martial est à quatre pattes ; il secoue des gars à droite . Tirs de mortier .
Un rideau vert se lève devant la tranchée . Le capitaine se tourne vers nous , main sur le
visage . Gaz ! . Nous décrochons nos masques et nous jetons sur ce qui reste du remblai ,
baïonnette au canon . Nos mitrailleurs tirent au hasard dans le nuage puant ; les machines
tressautent sur leur trépied mais dans ce tolu-bohu leur tac-tac est inaudible .
L'attaque est repoussée . L'artillerie ennemie se tait et un silence féroce s'installe sur
la ligne de front . Un gars gémit à gauche ; un autre sanglote et la pluie recommence à
tomber . Nous sommes pétrifiés , sourds , noircis de terre , collés dans le fond de la tran-
chée . Seul , Martial est debout ; il nous fait face :
- "Merde les gars … ça fait une heure que je vous appelle !! … j'ai fait une soupe au potiron
du tonnerre de Dieu ! … brûlante … elle est froide maintenant ! … ah , merde !"
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