jeudi 16 février 2017

LE CONDAMNÉ

    Le 10 février 1932 , je fus condamné à mettre sur l'échafaud un point final
aux 12000 jours de mon existence ; ils avaient empuanti l'atmosphère . Dix
minutes après la sentence , une fois la salle évacuée , je me souviens comme si
c'était hier du photographe pâle comme la mort qui tenait sur son épaule gauche
le trépied de la chambre noire et dans la main droite la valise de la chambre elle-
même , impassible , attendant que les forces de l'ordre et les huissiers eussent
poussé dehors le dernier protestataire . Car le public avait protesté . Il trouvait
le verdict inique . Pas moi . Si j'ai bien compris (c'est ce que m'expliqua mon
avocat) , l'assistance avait trouvé la décision des jurés ridicule et d'une bien-
vaillance risible , voire dérisoire . Je trouvai saugrenu qu'on veuille dans le
ridicule séparer le risible du dérisoire comme un corps de sa tête . Ces bons
citoyens eussent préféré que chacun de mes membres fut attaché à un cheval
de trait et qu'après dislocation , on plaçât le tronc résiduel sur un grill où il
rôtirait à feu doux . Certes , je n'avais pas volé un petit pain ou deux oranges
à l'étal du marché ; j'avais commis un septuple meurtre dans des conditions que
je qualifiais moi-même de cruelles . Circonstances aggravantes , j'avais prémédité
la chose depuis ma venue au monde et , plus que d'avoir occis mes frères , papa
et maman , papy et mamie , on m'en voulait de les avoir débités en tranches .

    Mon procès fut d'un ennui mortel . Je m'en désintéressai et , du plafond à
caissons de la salle d'audience , je connaissais chaque détail .

    Quelques jours avant son assassinat , le Président Doumer refusa de me
gracier . Ce fut le dernier acte public de sa vie . Le 3 mai 1932 , à 4 heures du
matin , l'aumônier me remit aux bons soins du Docteur Guillotin .

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