vendredi 3 février 2017

LA VILLE DE BOUILLON

    Bouillon … quel ennui , quel spleen , quel blues ! . J'y ai pourtant écrit mes plus
beaux poèmes ; je veux dire: ceux que j'étais capable d'engendrer au mieux de ma
forme et qui ont plu à ces lecteurs étranges de l'arrondissement de Neuchâteau . A
toutes les octaves , j'ai chanté les sortilèges de la Semois :

    "Ô Semois , tes eaux noires convient le mauvais oeil
      A faire de mon âme un fabuleux cercueil"

    On savait lire à cette époque , même les alexandrins les plus poussifs et les plus
abscons . A petit talent , petit succès , grâce à quoi l'imprimerie Bouriaud qui mit en
forme mon ouvrage reporta de quinze jours son dépôt de bilan .

    C'est la seule fortune littéraire dont je puisse me targuer . Mes essais philosophiques ,
nettement plus proches du génie , sont restés à l'état de colis postaux . Aucun éditeur
n'en a jamais publié une ligne . Ma "Critique de la Conception Husserlienne de la
Logique Pure" est un manuscrit de 3000 pages raturées , annotées et pleine de repentirs ,
enfermé dans mes tiroirs et qui n'en sort que la nuit quand des illuminations foudroyantes
me jettent hors de mon clic-clac vers les sommets de l'abstraction .

    Mais qui , à Bouillon , s'intéresse à la définition des lois idéales de la pensée logique ? .
On peut rencontrer un public local pour les pauvres charmes de la Semois , mais qui , à
Bouillon , se préoccupe de la signification régulatrice et impérative des lois formelles ?

    Il y a des villes ouvertes qui n'étouffent pas le génie . Namur par exemple . Mais c'est
à 22 kilomètres et j'ai horreur des voyages .

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